… Le poète nous indique-t-il qu’il existe un lieu où lever notre aveuglement sur ce qui noue le corps et le langage, à partir de sa pratique de la lettre, et de la rencontre avec les autres corps parlants ?
Patricia Wartelle, (membre de l’ECF, DR de l’ACF-CAPA), évoque Michel Butor lors d’une soirée qui rend hommage à l’écrivain disparu le 24 août dernier, qui avait placé la ville de Laon sur son chemin de vie et d’écriture, parmi quelques lieux d’exception. La soirée est organisée conjointement par la MAL et par l’ACF-CAPA, et ouvre une série de rencontres avec des artistes invités cette année, qui seront orientées par la perspective du thème des J46. Le regard est du côté du monde. En nous donnant à voir son monde, l’artiste nous invite ou parfois nous force, en tant que lecteur, spectateur ou auditeur, à y être concerné, impliqué, c’est-à-dire regardé, par l’objet même qu’est le monde qu’il invente.
C’est à cause de cet effet que produire des images revient toujours à chercher un regard. Et ce, quelles que soient les images, et les modalités de leur production. Balzac épinglait sur son mur des étiquettes, avec les noms de ses tableaux préférés. Le mot se fait image, et l’image s’épingle comme pur signifiant. Alors que le regard lui, échappe, et ne peut jamais s’attraper. Le regard est un objet freudien. C’est un objet lacanien. C’est un objet cause de désir.
La soirée s’ouvre sur Lieu de lumière, Locus lucis, film réalisé par Michel Butor sur la Cathédrale de Laon.
« Vous approchez par les quatre points cardinaux, puis vous grimpez en cercles jusqu’au au sommet, puis vous touchez les murs des enceintes concentriques, puits de lumière. Vertige de vides emboîtés en colonnes… »
Comme dans La Modification qui l’a rendu célèbre, (Prix Renaudot en 1957 qui couronne cet opus du nouveau roman alors expérimental), vous êtes en train de regarder le film, ce sujet à la deuxième personne auquel s’adresse l’auteur, et vous êtes modifié, parce que ça vous regarde.
Attraper cette modification est une idée fixe du mouvement qu’on a appelé Nouveau Roman. Construction hyper réaliste, faite de séquences emboîtées, La Modification est l’expérience d’une transformation mentale, transformation du désir, qui s’effectue sous nos yeux, le temps d’un voyage en train de Paris à Rome. Cette expérience intense et troublante, condense et transforme la vie de ce personnage par ailleurs sans qualités particulières, comme peut le faire une analyse en d’autres lieux.
Philippe Béra, (membre de l’ECF), explique comment le poète, qui était aussi son ami, lui a ouvert les yeux sur le monde invisible, sur ce qui du monde reste la plupart du temps invisible, obscurci, voilé. Boris Vian fait dire à Colin, son personnage de L’Ecume des jours : « Je passe le plus clair de mon temps à l’obscurcir parce que la lumière me gêne » On n’est pas avec Michel Butor dans le même univers. Boris Vian joue avec les mots et avec lalangue, pour inventer un monde absurde et poétique. Michel Butor, le réaliste, attache notre oeil au détail qu’il scrute et décrit, qu’il enserre et fait surgir pour nous, tel… une boîte de sardine sortie de nulle part, qui nous regarde.
Transformation passage, modification seront explorés au cours des trois soirées suivantes, en bords de scène, justement dans cette zone entre l’œil et le regard, successivement avec Xavier Lot chorégraphe que rencontrera Myriam Papillon (ACF-CAPA), puis Marc Gérenton plasticien sculpteur, commissaire de l’exposition Statu Quo, que rencontrera Jean-Philippe Parchliniak, (ECF), enfin Nouveau Héros de Nicolas Kerszenbaum.