Dans son Séminaire L’Éthique de la psychanalyse, Lacan reprend la construction freudienne de l’appareil psychique gouverné par l’opposition entre le principe du plaisir et le principe de réalité pour l’aborder du côté de l’expérience proprement éthique. Se faisant, il rend hommage à la découverte freudienne : l’être humain, parlant, n’est pas adapté au bonheur.
Lacan relève que Freud prend son départ d’un système orienté vers le leurre et l’erreur, système capable de faire halluciner la satisfaction d’un besoin plutôt que de le satisfaire. Il adjoint à ce système de leurre, un appareil qui s’y oppose pour y introduire une instance de réalité.
Lacan souligne que le principe de réalité doit son efficace non à une simple instance de contrôle, mais au mode par lequel il opère : tâtonnements, rectification, détour, précaution, retouche, retenue, correction, compensation, opposition, … soit à ce qui paraît être la pente fondamentale de l’appareil psychique.
Le conflit est à la base et Freud cherche comment l’appareil supportant les processus secondaires peut contourner le déchaînement de catastrophes qu’entraîne fatalement le libre fonctionnement de l’appareil du plaisir. Qu’est-ce qui justifie cette opposition, s’interroge Lacan, si ce n’est la présence de quantités immaîtrisables de libido, pulsion ou jouissance – rencontrées par Freud dans sa pratique et qui, à l’occasion, font une percée au-delà du principe de plaisir ? Un hiatus entre deux instances apparaît pour Freud, que Lacan situera entre savoir et jouissance.
Le savoir dont il s’agit est celui de l’inconscient aux prises avec le tâtonnement dans l’épreuve de rectification, ses essais et ses erreurs. Puisque toute pensée s’exerce par des voies inconscientes, elles ne sont accessibles à la conscience que par les mouvements articulés de la parole. La structure signifiante s’interpose entre la perception et la conscience et c’est là qu’intervient l’inconscient structuré comme un langage, entre cuir et chair [1].
Certains sujets se plaignent de ne pas pouvoir faire le tri, d’être envahis par des pensées, les mots des autres, d’être poreux, perméables à tout… autant de formulations indiquant que la fonction de filtre entre soi et le monde n’opère pas. Quelque chose trie et tamise dit encore Lacan. « L’homme a affaire à des morceaux choisis de réalité » [2]. C’est à cet endroit qu’en tant que formation de l’inconscient l’on peut également situer le rêve, entre cuir et chair.
À l’instar d’un symptôme, il est un Janus fonctionnant comme un compromis entre deux désirs, celui de dormir et la réalisation du désir. Mais surtout, le rêve ménage à l’inconscient pulsionnel une porte de secours, en favorisant la régression hallucinatoire il lui permet de déverser son excitation sans risque (puisque l’on dort, pas de passage à l’acte !) et d’autre part, grâce au travail qui s’opère sur les pensées inconscientes par les lois de la condensation et du déplacement, de la métaphore et de la métonymie, il instaure entre perception et conscience, entre cuir et chair la fonction de tamis propre à l’inconscient structuré comme un langage. Le rêve tel un rébus figure bien la fonction de tampon qu’il peut exercer entre le sujet et le monde extérieur ou celui, plus intime, des pulsions.
Au-delà du principe de plaisir
Si le rêve évite en les régulant « les déchaînements de catastrophes qu’entraînerait fatalement le libre fonctionnement de l’appareil du plaisir », du même coup, il laisse apercevoir la face mortifère de la pulsion.
Lacan, dans son Séminaire L’Éthique, relevait qu’un hiatus entre le principe de plaisir et le principe de réalité était apparu à Freud ; dans Je parle aux murs[3], il notera que ce qui est surtout apparu à Freud, c’est que le principe de plaisir n’a rien à voir avec l’hédonisme, il est même plutôt principe du déplaisir.
Le rêve comme voix royale menant à l’inconscient peut s’avérer être une fenêtre ouverte sur le réel de la pulsion de mort, un aperçu auquel peut conduire une analyse menée jusqu’à son terme.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 64 et 75.
[2] Ibid., p. 59.
[3] Lacan J., Je parle aux murs, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011.