Hebdo blog : Lors de la première soirée des Enseignements de la passe, consacrée aux étapes logiques de la construction du fantasme : la désactivation du programme de jouissance, vous occupiez la position d’extime. De cette position particulière, quel trait de la soirée vous a le plus frappée?
Sonia Chiriaco : Ce qui m’a le plus frappée dans cette soirée, c’est que nous avons assisté à un véritable travail de laboratoire. Le travail d’élaboration de chacun se fait in vivo, quasiment en direct. Chaque AE apporte ce qu’il a découvert dans sa propre analyse mais aussi ce avec quoi il tâtonne encore, et il s’expose dans son tâtonnement. C’est tout l’intérêt de ces débats extrêmement vivants et où la parole est authentique, spontanée, même si elle se fait à partir d’un exposé sur un thème donné, ce soir-là le thème du fantasme.
J’ai été également frappée par l’usage, inhabituel jusque-là, qu’ont fait nos collègues du terme d’outrepasse, considérant que ce moment de la passe 3, ce moment actuel d’enseignement, c’est l’outrepasse. Je me souviens qu’il y a quelques années, mes collègues AE et moi-même réservions ce terme à ce moment prolongé dans l’analyse même, après la traversée du fantasme, jusqu’à la passe conclusive, suivant en cela, me semble-t-il, ce que nous avait transmis Jacques-Alain Miller dans son cours « L’Un tout seul ». Ce nouvel usage du terme d’outrepasse témoigne d’une certaine liberté à l’égard de nos outils conceptuels et participe de l’aspect laboratoire.
Je dirai encore qu’occuper la place d’extime le temps d’une soirée de la passe, c’est une chance ! L’extime est un peu un agitateur qui, par sa lecture, peut faire surgir de l’imprévisible et par là, inciter chacun à aller plus loin dans son élaboration, à s’arracher encore ces petits bouts de savoir qui vont permettre d’approcher encore, de traquer, de cerner le sinthome qui ne peut se dire comme tel. Et tout le monde, orateurs, auditeurs, profitent de ce qui s’invente là. Bref, j’oserai dire que cette soirée était une performance et j’ai été ravie d’avoir été invitée à y participer !
H. B. : Dans les quatre cas exposés lors de cette première soirée qui concernait les étapes logiques de la construction du fantasme, il n’y a pas eu de témoignages de « moments éclairs » de traversée du fantasme, avez-vous souligné, mais plutôt une reconstruction de cette traversée dans l’après-coup. Or, vous observiez que ces témoignages émanaient de collègues masculins. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces « moments éclairs» qui se situeraient plutôt sur un versant féminin ?
S. C. : C’est vrai que j’ai été surprise par cette constatation et j’ai dit mon étonnement : nos collègues masculins ont parlé de la traversée du fantasme comme d’un moment dont ils ne pouvaient reconstruire la logique qu’après-coup, et justement dans ce moment actuel de leur enseignement ; cette soirée était justement une occasion pour eux de faire cette lecture après-coup. Or, nous avons tous en tête des témoignages féminins qui évoquent, dans l’analyse même, ce moment soudain de la chute de l’objet qui a entraîné d’un seul coup la déconstruction du fantasme, de la fiction, faisant alors apercevoir la logique qui était à l’œuvre dans ce montage. J’ai moi-même parlé de ce moment éclair dans mes premiers témoignages. Plus récemment, Hélène Guilbaud en a fait le titre de son exposé aux journées 46, « En un éclair », et elle a très bien montré comment toute sa construction, en se désagrégeant, s’est ordonnée logiquement.
Lacan dit des femmes qu’elles n’ont rien à perdre. Est-ce ce rapport au phallus qui fait la différence entre nos collègues AE femmes et hommes concernant leur rapport au fantasme et à l’objet ? C’est une piste. Je pense que cette question est à mettre au travail dans le laboratoire des AE.
H.B. : Pour qui penserait que l’on peut séparer le savoir extrait d’un trajet analytique mené à son terme des enseignements cliniques articulés à une sémantique des symptômes, ces soirées apportent un formidable démenti. Ce sont en effet, des lieux de transmission d’une clinique précise, audacieuse. Le désir d’élucidation de ce qui est au cœur de l’expérience analytique rejoindrait-il le vif de la recherche clinique en une question brûlante ?
S. C. : S’il y a un vrai engouement pour ces soirées d’AE, c’est bien qu’il s’agit là de la matière vivante de la psychanalyse. Ce qui s’y dit, ce qui s’y élabore, peut toucher chaque analysant, qu’il soit dans le début de son analyse ou qu’il approche de la fin. Ces résonnances montrent que la psychanalyse est bien vivante, ce n’est pas un corpus de savoir figé. Les exposés, la discussion, les questions de la salle, tout cela participe à un travail à l’œuvre. Chaque AE s’expose, s’avance, peut se contredire lui-même. Par exemple, dans l’argument de cette soirée, on pouvait lire que la fin de l’analyse menait à un « Je suis cela ». Or, finalement, et heureusement, aucun de nos collègues AE n’a dit « Je suis cela » mais plutôt « C’est ça, j’ai affaire à ça », ce qui n’est pas du tout la même chose ! Le sinthome n’est pas une identification, ce n’est pas une nomination. Au fond, à la fin de l’analyse, ce que l’on saisit ce sont des indices, des indices du choc traumatique de lalangue sur le corps, il n’y a pas de dernier mot.
La preuve, c’est que ces soirées de la passe vont se poursuivre et c’est tant mieux !
Les enseignements de la passe ont lieu au local de l’ECF, 1 rue Huysmans. La première a eu lieu le 13 décembre 2016, à 21h15.