Lui rendre hommage, c’est le lire. C’est avec cette indication que ce numéro de L’Hebdo-Blog, Nouvelle série rend hommage à notre collègue Jacques Borie. L’un après l’autre les textes de ce numéro dressent le portrait d’un psychanalyste décidément vivant. « Lacan, la vie » [1], que vous trouverez en ouverture, nous a été transmis par Nicole Borie à qui s’adressent nos pensées chaleureuses. Jacques Borie l’a écrit à l’aube du XXIe siècle, il y démontre avec force combien la politique de la psychanalyse était toujours au cœur de ses préoccupations.
« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver » [2], dit merveilleusement René Char. Suivons les traces sérieuses, engagées et pertinentes d’un psychanalyste concerné [3]. Nous évoquerons dans cet éditorial son livre, Le Psychotique et le psychanalyste, témoignage d’un clinicien au plus près du dire des sujets qu’il a rencontré dans sa pratique.
Jacques Borie y trace un parcours qui commence par la rencontre d’une demande inopinée, celle qu’un sujet psychotique au jeune praticien qu’il était et qui a eu un effet de précipitation alors qu’il se trouvait au seuil hésitant de son autorisation. Il le décrit ainsi : « le temps n’était pas aux atermoiements, […] je n’avais d’autre choix que de me faire partenaire de la jouissance paradoxale de ce sujet : traiter le réel de la langue par la langue elle-même » [4]. Avec ce moment d’autorisation, Jacques Borie fait sien le syntagme lacanien : « La psychose, c’est ce devant quoi un analyste ne doit reculer en aucun cas. » [5] Cette phrase est le fil rouge du livre, qui démontre, en s’appuyant sur une série de cas et sur le mode du singulier, une manière de manœuvrer, avec un style qui réunissait le pragmatique, le démocratique et l’ironique [6].
Lors d’un entretien donné à la revue Vacarme, au moment de la publication de son livre, il explique combien la manière de faire de Lacan l’avait marqué : ce dernier ayant inventé « une façon de […] questionner qui sort de la psychiatrie classique : il invente une forme de conversation à bâtons rompus qui nous guide encore aujourd’hui » [7].
Jacques Borie savait, à partir de la clinique et de l’étude rigoureuse, que dans la psychose il est nécessaire d’accompagner le sujet pour « trouver un abri » où la langue « cesse un tant soit peu d’être un gouffre sans cesse réouvert » [8]. Il précise dans ce même entretien qu’il lui semble que Lacan « a été le premier à avoir l’idée que, dans la psychose, il y avait à repérer un dérèglement intime entre le langage et le vivant » [9].
« Rendre la langue plus habitable » [10] est une indication précieuse. Une des traces qu’il nous invite encore à suivre.
[1] Cf. Borie J., « Lacan, la vie », L’Hebdo-Blog, n°219, 9 novembre 2020, publication en ligne (www.hebdo-blog.fr).
[2] Char R., En trente-trois morceaux et autres poèmes, Paris, Gallimard, 1995, p. 54.
[3] Cf. Borie J., Le Psychotique et le psychanalyste, Paris, Éditions Michèle, 2015, p. 13.
[4] Ibid., p. 14.
[5] Lacan J « Ouverture de la Section clinique », Ornicar ?, n°9, avril 1977, p. 12.
[6] Cf. Borie J., Le Psychotique et le psychanalyste, op. cit., p. 83-91.
[7] Borie J., « Le psychotique et le psychanalyste », entretien, Vacarme, n° 62, hiver 2013, p. 207-227, disponible sur le site de Vacarme (www.vacarme.org).
[8] Borie J., Le Psychotique et le psychanalyste, op. cit., p. 86.
[9] Borie J., « Le psychotique et le psychanalyste », entretien, op. cit.
[10] Borie J., Le Psychotique et le psychanalyste, op. cit., p. 86.