Dans le champ analytique, le savoir a un statut original [*], il n’obéit pas à la seule linéarité des chaines causales, la reproductibilité expérimentale ne suffit pas à établir des concepts dont la visée est éthique, la psychanalyse avertie du statut fluctuant de la vérité appuie son enseignement sur le réel d’un objet et la trace qu’il inscrit au un par un. Ainsi, l’établissement d’une théorie stable qui nous offrirait le confort que nous mériterions sans doute – « un repos sur l’acquis » [1] – se ferait au prix de l’anéantissement du tranchant de la cause analytique. Freud nous y a rendu sensibles pour les constructions en analyse [2], c’est vrai également des articles, ouvrages, et enseignements analytiques : une marque singulière poinçonne l’enseignement de chacun d’un style issu du symptôme.
Si l’inconscient est inconsistant et si l’interprétation opère par l’envers un détachement de bouts de savoir dans la cure, l’enseignement de la chose analytique passe par une forme de performativité homogène à la motérialité [3] de l’inconscient. Comment, en effet, transmettre quelque chose de ce qui ne peut s’avérer vrai d’être réel que pour un, puisque le corps est dans le coup et que le corps, en général, c’est « papeludun » [4] ?
Ce n’est pas pour autant un morcèlement « éclectique » [5] que propose l’École de la Cause freudienne dans les enseignements qui l’engage : Son Tu peux savoir, bien qu’ouvert à tous, n’est pas Babel : d’une lecture à une autre, d’une conférence à une autre, un savoir se formule, passant de style en style, à partir de quelques outils solides : le phallus, le fantasme, le sujet, le transfert, le symptôme, la pulsion… Autant de petites boussoles qui passent de corps en corps pour « rejoindre à son horizon la subjectivité de [notre] époque » [6].
Si l’ECF produit autant d’articles, de soirées d’enseignement, de publications, suivis non seulement par les plus jeunes, mais aussi par des analystes qui se forment « entre guillemets » [7] depuis fort longtemps, c’est sans doute que Lacan a su communiquer, au sein de son École, un peu de son art du « dépassement continuel » et du mouvement « d’auto-réfutation » propres à son enseignement [8].
Comme pour l’analyste en fonction dans la cure, celui qui « enseigne » « n’est efficace qu’à s’offrir à la vraie surprise » [9] « car ce dont il s’agit c’est de ce [que l’analyste] a à savoir. […] Ça ne veut rien dire de “particulier”, mais ça s’articule en chaîne de lettres si rigoureuses qu’à la condition de n’en pas rater une, le non-su s’ordonne comme le cadre du savoir » [10].
[*] Programme et inscriptions aux enseignements ouverts de l’École de la Cause freudienne sur : events.causefreudienne.org
[1] Miller J.-A., « La “formation” de l’analyste », La Cause freudienne, n°52, novembre 2002, p. 19.
[2] Cf. Freud S., « Construction dans l’analyse », Résultats, idées, problèmes, t. II, 1921-1938, Paris, PUF, 1985, p. 269-282.
[3] Cf. Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 13, disponible sur CAIRN.
[4] Lacan J., « Lituraterre », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 16.
[5] Miller J.-A., « La “formation” de l’analyste », op. cit., p. 20.
[6] Lacan J., « Fonction et champs de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.
[7] Cf. le titre du numéro 52 de la revue La Cause freudienne : La formation entre guillemets des psychanalystes.
[8] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. De la nature des semblants », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 8 janvier 1992, inédit.
[9] Lacan J., cité par R.-P. Vinciguerra, in « Qu’est-ce qu’un psychanalyste ? (I) », disponible sur le site de l’École de la Cause freudienne.
[10] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, op. cit., p. 249.