Quelle ironie de consacrer un numéro de L’Hebdo-Blog, nouvelle série au divertissement que l’on associe volontiers à l’amusement, lorsque précisément toute activité extérieure et sociale est proscrite ! Divertir puise sa signification dans la racine latine divertere : détourner. Le divertissement viendrait donc détourner l’attention d’un individu afin qu’il ne pense plus à ses préoccupations du moment.
Dès l’annonce de cet enfermement qui est le nôtre depuis un mois maintenant, j’ai élu Le Lambeau [1] de Philippe Lançon comme livre de chevet et me suis plongée dans le quotidien de La Servante écarlate [2]. Comme divertissement, on peut dire que c’est assez surprenant ! Ces deux histoires, qui n’auraient rien de comparable a priori, mettent en scène des corps emprisonnés dans un espace étroit pour un temps indéfini. Écho certain à la situation actuelle : un réel s’infiltre dans ce qui est sensé m’en détourner. Devons-nous y voir là l’écriture d’une fiction qui met en jeu, tout en tentant de la border et la voiler, une jouissance que l’actualité vient toucher. Cette fiction se présente, selon l’expression heureuse de Jacques-Alain Miller, comme « une production marquée au coin du semblant » [3], rien d’autre qu’un « mode de jouissance […] qui s’impose à l’animal humain du fait qu’il est produit de la structure du langage » promettant « ‘‘des histoires à dormir debout’’ […] [qui] permettent, réveillés, de continuer à dormir » [4].
Un divertisse-ment donc.
Pour autant, certains analysants s’étonnent d’une recrudescence de leurs symptômes qu’ils auraient espéré voir eux aussi confinés pour l’occasion. Parfois très inventifs dans leurs distractions, ils n’en témoignent pas moins de l’insistance du réel, comme si par leur fonction de vérité menteuse, ces divertissements rataient leur cible et arrachaient le « pansement, [l’]élucubration de savoir qui vient essayer d’apaiser cette blessure » [5] originelle, levant alors un pan de voile sur l’histoire qu’ils avaient écrite jusque-là, cette « vérité à la structure de fiction » [6]. S’impose alors une « fixion » [7] qui insère la fixité du réel et « qui, revenant à la même place, insiste et réveille » [8]. Une fixion dénonçant le mensonge de la fiction.
[1] Lançon P., Le Lambeau, Paris, Gallimard, 2018.
[2] Atwood M., La Servante écarlate, Paris, Robert Laffont, 2017.
[3] Miller J.-A., « Une psychanalyse a structure de fiction », La Cause du désir, n°87, juin 2014, p. 74.
[4] Brousse M.-H., « La fiction polymorphe », La Cause du désir, n°87, op. cit., p. 5.
[5] Miller J.-A., « Une psychanalyse a structure de fiction », op. cit., p. 74.
[6] Ibid., p. 73.
[7] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 479.
[8] Brousse M.-H., « La fiction polymorphe », op. cit., p. 6.