Dans la préface du dernier ouvrage de Jean-Claude Maleval, La différence autistique[1], Jacques-Alain Miller souligne le choix de l’auteur qui, plutôt que d’évoquer l’autisme comme une entité nosographique, le présente en tant que différence[2]. L’intitulé laisse entendre la différence revendiquée par les autistes eux-mêmes comme une forme de vie, une façon d’être dans le monde spécifique à l’autisme et loin d’un quelconque déficit.
J.-A. Miller nous indique que « Les autistes, en effet, comme les homosexuels avant eux et les transsexuels après, se sont mis depuis ces dernières années à se poser en sujets de droit. Ils se sont formés en communauté, […] et interviennent désormais dans la clinique qui les concerne »[3]. Leur démarche s’inscrit dans la tendance actuelle à la dépathologisation généralisée de la clinique. La psychanalyse, d’une certaine manière, a contribué à ce que les frontières entre le normal et le pathologique s’estompent. Cependant, alors que les militants de la dépathologisation s’appuient sur des points de certitude, le discours analytique est élaboré à partir d’un trou dans le savoir. Dans son allocution à Vincennes[4], Lacan propose une thèse générale en élevant la folie au rang d’universel. Son « tout le monde est fou »[5] témoigne du caractère boiteux de toute invention subjective venant rendre compte d’un point d’énigme rencontré. Tous fous car tous pris par les embrouilles du corps, avec des solutions plus ou moins bricolées. Le corps fait problème pour tous les parlêtres, sans exception. Chacun se doit de composer avec ce qui lui fait énigme dans son corps, et pour cela, il faut le temps.
Nous vivons dans une époque de « démocratie sanitaire », où le sujet de droit vient se substituer au sujet de l’inconscient, collapsant le temps logique de chacun et laissant peu de marge à la réflexion. Comment interpréter « les impasses croissantes de notre civilisation »[6] ? Comment tenir compte à la fois de ce malaise généralisé, et de ce qui est en jeu pour un sujet dans sa singularité, ce qu’il éprouve et qui le fait souffrir ?
J.-C. Maleval nous donne une piste sur la façon de subvertir le discours courant. En se penchant sur l’expérience vécue des autistes, un par un, sans préjugés, à partir du détail de leurs témoignages, il réussit à déplacer le sens du mot différence, et montre « en quoi ils diffèrent subtilement entre eux. »[7]
L’actualité nous incite à repenser la clinique « issue du discours du maître »[8], dans une société traversée par de profonds changements. Lacan l’a déjà reconsidérée selon la logique du discours analytique : « Ce discours nous impose de la repenser aujourd’hui à nouveaux frais »[9]. Le 22 janvier, l’ECF se réunira pour Question d’École, dont l’après-midi sera consacré à la dépathologisation de la clinique, à ses incidences sur notre pratique au quotidien, ainsi qu’aux questions politiques qui en découlent.
Parions avec J.-A. Miller que « notre clinique s’en trouvera bien affinée et sensiblement renouvelée »[10]. Pour la défendre, il faudra retrousser ses manches, et se lancer dans le débat public.
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[1] Maleval J.-Cl., La Différence autistique, Paris, PUV, 2021.
[2] Miller J.-A., « préface », La Différence autistique, op. cit., p. 5-14.
[3] Ibid., p. 6.
[4] Lacan J., « Lacan pour Vincennes ! », Ornicar ?, n°17/18, printemps 1979, p. 278.
[5] Ibid.
[6] Lacan J., « La psychanalyse. Raison d’un échec », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 349.
[7] Miller J.-A., « préface », La Différence autistique, op. cit., p. 8.
[8] Miller J.-A., « Conversation d’actualité avec l’École espagnole du Champ freudien, 2 mai 2021 (II) », La Cause du désir, n°109, décembre 2021, p. 36.
[9] Ibid.
[10] Ibid.