Sournoisement découragés par l’évaluation, les protocoles, les méthodes informatiques d’autocontrôle et la logique mercantiliste des actuels modes de gestion hospitalière, les praticiens en psychiatrie se trouvent souvent atteints dans leur désir. À l’occasion, ladite gestion promeut des projets et des activités de toutes sortes, autant de tentatives de réanimer un désir émoussé, tout en le détournant de la clinique, de sa compréhension et de son élaboration. Essaient-ils de compenser, par cette excitation, une espèce de triste destin touchant au cœur de la pratique ? Dans tous les cas, ces distractions sont loin d’être efficaces pour traiter ce que la clinique a d’impossible à supporter.
Dans cette conjoncture, les présentations de malades1 se sont avérées être un véritable lieu de résistance. Tel qu’il se pratique dans nos Sections cliniques du Champ freudien, ce dispositif de la psychiatrie classique renouvelé par Lacan opère comme la caisse de résonance d’une parole singulière, parole susceptible d’enseigner un public. C’est dans le contexte actuel que se révèle particulièrement son effet vivifiant sur ceux qui travaillent dans les services mêmes : son effet de réveil du désir pour la pratique, de renouvellement du goût pour la clinique. Face à la tristesse de ne rien vouloir savoir, nous voilà remis sur la piste du gay sçavoir. Là où notre pratique et la clinique reprennent la valeur d’une énigme jamais tout à fait déchiffrée, mais toujours passionnante. Un savoir jamais acquis, à reconquérir à chaque fois, un savoir toujours nouveau.
Dans ce numéro de l’Hebdo-Blog, nous abordons justement cet aspect vivifiant de la présentation clinique sur les équipes et les praticiens hospitaliers. À quoi ça tient ? Quels sont ses leviers ? Comment ça se joue dans la singularité de chaque service ?
Reprenons, pour terminer ce propos, la référence de Lacan à Mallarmé2 qu’Éric Laurent évoque dans l’entretien que vous découvrirez dans ce numéro : ce dont il est question dans nos présentations, ce sont des pièces de monnaie. À ces jetons effacés qui circulent en silence entre nous et nos patients dans les services de psychiatrie, les présentations cliniques donnent la chance de révéler le message qu’ils recèlent, de retrouver leur éclat et de nous faire prendre la mesure de leur véritable valeur.
Bonne lecture !
Adriana Campos
[1] Les « présentations de malades » ou « présentations cliniques » sont des entretiens uniques entre un psychanalyste et un patient qui se réalisent au sein du service qui le prend en charge, ceci en présence d’un public en formation. Contrairement à leur utilisation par la psychiatrie classique, où il était question de montrer les symptômes psychopathologiques du malade, Lacan a transformé ce dispositif pour en faire un espace de témoignage, de transmission et d’enseignement du patient envers le public. Ces entretiens, où la parole du sujet est mise à l’honneur, s’avèrent d’une grande richesse pour ceux qui se laissent enseigner par ceux-ci et, souvent, en lui donnant l’occasion de revenir sur son histoire et de s’entendre, pour le patient lui-même.
[2] Cf. Mallarmé S., « Crise de vers », Paris, Eugène Fasquelle éditeur, 1897, exporté de Wikisource, https://fr.wikisource.org/wiki/Divagations_(1897)/Crise_de_vers, p. 15.