S’agissant du détail du Jardin des délices illustrant le thème des 54èmes Journées de l’ECF « Phrases marquantes », les spécialistes n’ont pas manqué de relever la signification phallique du couteau enchâssé entre les deux oreilles, la lame renvoyant ostensiblement à la symbolique freudienne de la castration.
Pour autant, le plus célèbre triptyque de l’histoire de l’art garde son pouvoir d’énigme. S’agit-il, à l’origine, d’un simple speculum, c’est-à-dire d’un miroir destiné à l’éducation morale du Prince ? Composé de trois panneaux, ce polyptyque ne serait-il pas plutôt le speculum nuptiarum destiné au mariage d’Henri III de Nassau avec Louise-Françoise de Savoie, leur faisant voir ce que sera le lien nuptial ? Ou s’agit-il de la vision mystique de l’union d’Adam et Eve par Dieu et du rapport harmonieux entre l’homme et la femme avant l’exil du Paradis ? Dès lors, pourquoi l’Enfer et son troupeau de monstres figurent-ils sur le panneau de droite ? Ce lieu maudit est illustré par le thème de la mauvaise auberge, obsession propre de l’époque médiévale dénonçant l’emprise du jeu, de l’alcool et de la débauche sur des âmes vouées à la perdition. Doit-on enfin considérer que le triptyque renvoie à l’étonnante hérésie des adamites qui prônaient le retour à l’innocence originelle en vivant nus comme des vers – cette hérésie s’étant développée à Bois-le-Duc où vivait Jérôme Bosch ?
En vérité, nous devons à Lacan l’interprétation convaincante. Dans « L’agressivité en psychanalyse », Lacan se réfère aux sphères narcissiques transparentes « où sont captifs les partenaires épuisés du jardin des délices1 », à l’atlas des images agressives issues de l’imago du corps morcelé, au moi marqué par la furieuse passion d’imprimer dans la réalité l’image spéculaire dont il se rend captif2.
Si l’artiste visionnaire du XVe siècle inspire à Lacan des formules saisissantes, gageons que le tranchant de l’énonciation se fera également entendre aux 54èmes Journées de l’ECF.
Nous vous y attendons nombreux.
Laura Sokolowsky
[1] Lacan J., « L’agressivité en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 105.
[2] Cf. ibid., p. 115-116.