C’est à l’Armée du Salut, où elle travaillait, qu’on lui a dit de venir au CPCT. Elle est en retard, toujours, un de ses défauts », et comme elle s’énerve vite lorsqu’elle est contrariée, au travail c’était compliqué. Mais surtout, Livia est occupée par des pensées qu’elle garde pour elle et qui prennent toute la place.
Aînée d’une fratrie de trois, une place à laquelle elle dit « avoir tout pris », elle aurait dû avoir une sœur jumelle, mais à la naissance il n’y avait qu’elle. Enfant, une tante lui a dit qu’elle avait dévoré sa sœur et qu’elle était un monstre. A cela, elle ne croit plus mais ce dire aura orienté sa position subjective: elle a la place de celle qui a pris sa vie à l’autre, elle n’a pas le droit de vivre.
« Avoir tout pris » lui permettra d’évoquer sa famille et la question de son être de déchet, de sacrifice. Sa mère d’abord, qui s’occupait des petits et qu’elle devait aider. Son père dont l’absence de désir aurait présidé à sa naissance, pour qui elle se sent « un cheveu sur la soupe ». Enfin les violences et abus du grand-père sur des membres de la famille. De cela, sans doute trop réel, elle en parle comme si elle l’avait vécu dans sa chair – elle aurait aimé ne rien savoir. Ce qu’elle a subi, Livia l’abordera à partir de ce point : lors d’une soirée, un copain la force à un rapport sexuel. Elle se laisse faire, elle était dans un état bizarre. Ces « rapports forcés » se poursuivront durant huit mois : il appelait, elle y allait, se vouant ainsi à être l’objet de jouissance de l’Autre avec l’idée qu’il aurait pu s’en prendre à sa sœur. Elle n’a rien dit à sa famille mais elle aurait voulu que son père s’aperçoive de quelque chose et la retienne. Elle me dit s’être sentie seule.
Elle sera très en retard à la séance suivante et me téléphonera pour l’annuler. Je lui répondrai « à tout à l’heure ». Elle viendra, il sera question de tri, des sacs de vêtements et de livres entassés chez sa mère. Elle sera absente les deux autres séances. Je lui laisserai un message pour prendre de ses nouvelles et lui dire que je l’attendais à notre prochain rendez-vous.
A la 8e séance, elle sera moins en retard, moi je le serai un peu ce qui suscite, chez elle, de la surprise. Ne pas être la seule face à un Autre ainsi décomplété, aura un effet apaisant. Quelque chose alors commence à compter et qui passera par l’Autre, l’appui d’un autre auquel elle peut consentir.
Le fait de parler à un Autre fait limite au trop de pensées dans lequel elle se perdait, en lui offrant un point d’où s’entendre. A la 10ème séance Livia arrivera très inquiète à l’idée d’être enceinte, car elle perçoit certains signes, dans son corps, d’un début de grossesse et ne sait que faire. Je lui proposerai de faire un test de grossesse, ce qu’elle fera dès après notre entretien et qui s’avère positif. Elle associera alors, en séance, autour d’un événement vécu dans son adolescence, un geste violent pratiqué sur sa petite sœur. Elle craint d’être dangereuse pour son futur enfant.
Au cours des séances suivantes, un savoir s’élabore autour de cette grossesse en lien avec l’histoire de sa naissance. Durant le traitement, Livia a fait une fausse couche et a perdu un embryon, mais a gardé le second. Elle me dira que cela lui rappelle sa mère. Pourtant, elle a fait un pas de côté par rapport au destin maternel, en subjectivant quelque chose du réel rencontré durant sa grossesse. Elle a pu ainsi cheminer vers ce qu’elle énonce pour l’instant comme « un droit de vivre ».