Divines[1] est un film qui traite du féminin dans notre modernité en tant qu’il prend le pas sur le viril comme le souligne Jacques-Alain Miller[2]. La réalisatrice a pris le parti de mettre en scène une femme forte, ne craignant ni la mort ni la castration. L’héroïne du film fait le choix de la jouissance phallique et l’écriture des dialogues le souligne à travers des signifiants marquants ; ce qu’elle veut c’est « Money Money ! » et « avoir du clitoris » comme le lui reconnaît la caïd du quartier, elle-même chimère androgyne. Imaginairement ces personnages font exister La femme, aussi bien celle qui fait l’homme mieux que tout homme, que la divine et intouchable prêtresse aux atours féminins exacerbés.
Mais ce film ne s’arrête pas à la mise en scène d’une quête de jouissance phallique, il va bien au-delà par les contingences de la rencontre amoureuse qui confrontent l’héroïne à ce qu’elle a de pas toute. Un homme, un danseur, la révèle autre à elle-même. Se dessine alors à l’horizon un point vers lequel toute la trajectoire du personnage pourrait basculer, le début d’une relation amoureuse l’autorisant à lâcher un peu sa jouissance phallique. C’est sur ce point précis de la jouissance féminine fondamentalement divisée entre jouissance phallique et jouissance Autre, que Divines est une œuvre qui touche à quelque chose d’universel.
Houda Benyamina s’est défendu d’avoir voulu réaliser un énième film sur les banlieues et pour cause, cet universel de l’énigme de la jouissance féminine transcende tous les cadres sociaux culturels. La réalisatrice nous a également proposé cette prédiction : « Le vingt et unième siècle sera féminin ! ». J.-A. Miller[3] nous démontre que cette montée du féminin, si elle apparaît au premier plan aujourd’hui, ne date pas d’hier. Il en fait la conséquence d’une contingence bien particulière, celle du moment imprévisible où une découverte scientifique va trouver son application pratique dans le quotidien. Ce type de contingence, qu’on le veuille ou non détermine plus que n’importe quel choix politique, économique ou social la destinée de l’humanité, et ce à différents niveaux.
Si Divines n’est pas qu’un film sur les banlieues, il ne s’agit pas non plus d’un film féministe militant. Ce que sa réalisatrice a su saisir et porter à l’écran c’est ce point subtil du parcours d’une femme où se dessine la division de sa jouissance. Freud nous en avait donné un premier repérage chez la petite fille fondé sur l’anatomie et le complexe d’œdipe : « Nous avons depuis longtemps compris que le développement de la sexualité féminine est compliqué par la tâche consistant à abandonner la zone génitale originairement directrice, le clitoris, pour une nouvelle zone, le vagin. Maintenant, une seconde transformation de ce type, l’échange de l’objet-mère originel contre le père, ne nous semble pas moins caractéristique et significative du développement de la femme. »[4] Au-delà de l’Oedipe et des pièges imaginarisants de l’anatomie, Lacan a su formaliser cela en termes logiques dans son tableau de la sexuation[5]. Il pose ainsi que « La femme n’existe pas », c’est-à-dire que les femmes ne constituent pas un ensemble pouvant être pris comme un tout. Qu’elles sont chacune face à ce qu’elles ont de plus singulier et que d’autre part une femme n’est pas toute dans la jouissance phallique. Divines illustre ce parcours d’une fille vers une femme, d’une jouissance vers l’Autre. Lorsque la rencontre amoureuse a lieu, la protestation virile de la jeune femme face à son partenaire est remarquablement mise en scène dans une danse qui confine au combat, Houda Benyamina l’a qualifiée comme telle pour l’opposer dans son écriture cinématographique à une seconde scène de danse où l’héroïne s’abandonne dans les bras de son partenaire et accepte enfin de lui livrer son prénom, non sans avoir maintenu l’énigme jusqu’au dernier moment. Subtile évocation, dans l’ivresse d’un tournoiement, de cette Autre jouissance qui renvoie au manque de signifiant dans l’Autre.
Seulement voilà, « […] la jouissance qu’on a d’une femme la divise, lui faisant de sa solitude partenaire, tandis que l’union reste au seuil. »[6] Face à sa division et à l’impossible de structure du rapport sexuel, la jeune fille va céder sur son désir et rebrousser chemin vers une jouissance phallique. Ici se joue la destinée annoncée de ce drame.
Saluons l’artiste qui a écrit et réalisé ce film en parvenant à puiser dans son propre inconscient ce savoir insu et qui pourtant relève de l’universel.
[1] Le 9 juin 2017 s’est tenue à Béziers une soirée cinéma et psychanalyse, autour de la projection du film « Divines » suivie d’un débat avec sa réalisatrice Houda Benyamina.
[2] Cf. Séminaire VI de Lacan, 4ème de couverture.
[3] Cf J.A. Miller, Radio Lacan, « Les psychanalystes dans la politique », Question 2
[4] S. Freud, « De la sexualité féminine », OCF.P, XIX, 1931, p. 9
[5] J. Lacan, Le Séminaire XX, 1972-73, « Encore », p. 73
[6] J. Lacan, Autres écrits, « L’Etourdit », p. 466