Stella Harrison tente ici de saisir pourquoi Jacques-Alain Miller, dans son texte d’introduction au prochain Congrès de l’AMP, énonce que « Le sexe faible, quant au porno, c’est le masculin, il y cède le plus volontiers. »[1]
Lacan, quand il invente les formules de la sexuation, indique qu’un homme c’est un sujet qui jouit de son fantasme et ne peut atteindre son partenaire sexuel que par l’objet a qui, dans le fantasme, cause son désir. Si La femme, elle, n’existe pas, une femme peut avoir rapport à la jouissance phallique et à la jouissance supplémentaire car elle n’est pas toute dans la fonction phallique. La jouissance supplémentaire a deux faces, précise J.-A. Miller : « C’est, d’un côté, la jouissance du corps, en tant qu’elle n’est pas limitée à l’organe phallique. […] Mais, deuxièmement […] c’est la jouissance de la parole »[2]. « C’est exactement, poursuit J.-A. Miller, la jouissance érotomaniaque, au sens où c’est une jouissance qui nécessite que son objet parle. »[3]
Que son objet lui parle ?
Nous voilà au cœur d’un discord ardent car ni le phallus ni l’inconscient ne parlent et la jouissance sexuelle, phallique, qui n’a que faire de l’Autre, est souveraine. La diffusion massive de l’image du porno travaille pour cette jouissance solitaire qui se protège de la rencontre réelle des corps. Même si prolifèrent à présent de nouveaux sites de rencontres qui semblent démentir cette seule tension vers le virtuel, nous objectons à nommer « rencontre » ces instants fugaces. Pourquoi ? Un mot d’abord sur la place du phallus dans le désir féminin. Quelles conséquences pourrions-nous tirer de ces passages des Écrits ? Commençons par « La signification du phallus » en 1958, Lacan écrit : « son désir à elle, elle en trouve le signifiant dans le corps de celui à qui s’adresse sa demande d’amour »[4]. La femme, si elle désire le phallus, aime le partenaire pour ce qu’il (ou elle) n’a pas. Mais, et déjà en 1960, Lacan, toujours visionnaire, nous propulse au XXIe siècle dans « Subversion du sujet et dialectique du désir » en écrivant, du sexe mâle, qu’il est « le sexe faible au regard de la perversion »[5], et il établit un répartitoire des modes de jouir :
Côté mâle, « la perversion […] accentue à peine la fonction du désir chez l’homme, en tant qu’il institue la dominance, à la place privilégiée de la jouissance, de l’objet a du fantasme qu’il substitue à l’Autre barré »[6]. Cet objet se distingue par sa permanence, sa fixité, condition nécessaire à la survie du désir. L’on peut donc penser qu’avant la fin d’une analyse menée à son terme, le désir, côté homme, est fragile par essence, comme ligoté au fantasme. Ce désir, « c’est un objet qui se satisfait du court-circuit de la parole. L’objet fétiche, c’est par excellence l’objet qui ne parle pas, l’objet inerte, l’objet en effet objectifié, objectalisé, et cohérent avec une exigence de jouissance qui admet que la parole reste hors jeu »[7]. Ce mode de jouissance est maître aujourd’hui, à l’heure où le porno est accessible à tous, à l’heure où, en cliquant sur « Charme » sur votre smartphone ou votre écran TV, jaillissent joyeusement les images d’organes sexuels et d’objets des plus spectaculaires. Le phallus se dévoile comme un réel ; sa représentation crève l’écran, ravalée, disponible, cocasse. L’homme s’y montre en position de faiblesse.
Du côté féminin, la jouissance est divisée. Avançons qu’une femme a plus d’un faible : le premier l’amène à prendre sa part dans la forme fétichiste du désir en tant qu’elle est inscrite dans la fonction phallique. Le second l’incite à quêter la lettre d’amour qui viendrait dire ce qu’elle-même ne saurait dire de son être de femme, pas-toute ; elle déchante et chante encore, comme la célèbre Lucienne Boyer en 1930, Parlez-moi d’amour […] Votre beau discours, mon cœur n’est pas las de l’entendre. Comme l’écrit Pierre Naveau « La condition de la rencontre est donc que le sujet divisé accepte que sa défense contre l’infini soit dérangée par ce qui, justement, le divise, c’est-à-dire par ce qui le surprend. Rencontre résonne avec surprise. »[8] Si J.-A. Miller put dire le sexe masculin « le sexe faible au regard du porno », n’est-ce pas en ce qu’il peut aisément trouver à se loger dans la forme fétichiste, figée et fragile donc, du désir ?
Au temps des gadgets, au timing du clic, quand règne l’urgence d’une jouissance instantanée, le sexe faible s’incarne chez l’idiot, et cela quelle que soit son anatomie, l’idiot dont la compulsion à jouir silencieusement déracine le désir d’un autre, le désir de la rencontre. La cure analytique vise à rompre avec cette pulsion homéostatique, avec la puissance mortifère du fantasme. C’est bien ce que nous avons pu apprendre de l’intervention de Bruno de Halleux lors de la soirée Enseignement de la passe du 13 janvier 2015. C’est d’une rencontre nouvelle, mordue par le langage, dégagée pour lui de l’image du corps féminin et de son poids menaçant, que B. de Halleux a témoigné, la parole prenant alors sa place.
[1] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », présentation du thème du Xe Congrès de l’AMP à Rio en 2016, http://wapol.org/fr/articulos/Template.asp?intTipoPagina=4&intPublicacion=13&intEdicion=9&intIdiomaPublicacion=5&intArticulo=2742&intIdiomaArticulo=5
[2] Miller J.-A., « Un répartitoire sexuel », La Cause freudienne, n° 40, Paris, Navarin/Seuil, 1999, p. 18.
[3] Ibid.
[4] Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 694.
[5] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 823.
[6] Ibid.
[7] Miller J.-A., « Un répartitoire sexuel », La Cause freudienne, n° 40, op. cit., p. 17.
[8] Naveau P., Ce qui de la rencontre s’écrit, Études lacaniennes, Paris, Éditions Michèle, 2014, p. 82.