La question de l’inclusion est souvent perçue comme une réponse aux effets de ségrégation que Lacan évoque à plusieurs reprises1, liés à la déliquescence de l’ordre symbolique ainsi qu’à l’avènement du discours de la science et du capitalisme.
Méconnaissance de la jouissance
Charles Gardou, auteur de travaux sur la question du handicap, analyse ces effets de discours en prenant une position inverse : « Être inclusif n’est donc pas faire de l’inclusion, pour corriger a posteriori les dommages des iniquités, des catégorisations et des ostracismes. C’est redéfinir et redonner sens à la vie sociale […] en admettant […] que l’humanité est une infinité de configurations de vie et une mosaïque d’étrangetés2 ». Il ne s’agit donc pas de réparer le sujet souffrant, ce qui justifierait le maintien des ségrégations, mais de transformer le social pour « articuler le singulier et l’universel3 ». Même s’il reconnaît « un esprit d’utopie » à son entreprise, C. Gardou récuse l’idée que ce « nouvel ordre inclusif »4 ne serait que chimère. Il apparaît cependant que ce qu’il ne considère pas dans ces propos, c’est le réel de la jouissance.
Dans ce contexte du sujet de Droit, l’inclusion de l’enfant, notamment autiste, s’articule à la question scolaire. Tout enfant a le droit d’être inscrit dans une école pour avoir accès aux apprentissages. Le pas est vite franchi de considérer que les « prises en charge » dans les institutions de soins relèvent de la ségrégation.
Comment une institution qui s’oriente de la psychanalyse traite-t-elle ces questions ? Car il est clair que dans la « subjectivité de [l’]époque5 » une institution qui n’inclurait pas l’école dans son cadre serait intenable. Il s’agit donc de nouer psychanalyse appliquée et apprentissages.
Répondre à sa question de sujet
Éric Laurent indique qu’une « institution orientée par la psychanalyse [ne] promeut [pas] une écoute passive, par opposition [à celles] défendant les apprentissages actifs. Bien au contraire, [elle] est un lieu où se déploie une très grande activité » qui se base sur la construction d’une « chaîne singulière amalgamant signifiants, objets, actions et façons de faire »6.
Aline, par exemple, jeune fille mutique, apprend dans un atelier à manier la tablette pour avoir accès aux personnages des dessins animés qui lui permettent d’entrer en lien avec l’Autre ; elle apprend aussi à l’école l’usage des ciseaux pour pouvoir découper les personnages. Elle passe ensuite au mot PIXAR qu’elle découpe en lettres, puis à d’autres mots, correspondant à ses intérêts propres et à son entourage familier.
Les effets de perte, de bords pulsionnels, de désincarcération de la jouissance mortifère, qui s’ensuivent sont effets, sinon d’inclusion, certainement de déségrégation. Il semble que ce soit moins le consentement à une perte de jouissance qui ouvre à la possibilité des apprentissages, que l’élaboration d’un savoir singulier, à partir d’outils multiples, qui ait pour conséquence cette perte. Ce n’est pas sans satisfaction, ni plus-de-jouir, puisque l’élaboration de ce savoir peut être partagée et procurer du plaisir.
Pour que cela soit possible, il y a une condition du côté de celui qui cherche à se faire partenaire de l’enfant. Il s’agit de repérer ce qui le préoccupe, le symptôme qui le travaille, dans son rapport à la langue, au corps et à la jouissance, aux objets pulsionnels et autistiques. Le développement de ce travail subjectif peut impliquer l’appel, l’offre et l’accès à des éléments dits d’apprentissage, mais ils ne sont pas imposés par l’Autre, ils sont saisis par l’enfant pour répondre à sa question de sujet.
Guy Poblome
[1] Cf. notamment Lacan J., « Note sur le père », La Cause du désir, n°89, mars 2015, p. 8.
[2] Gardou C., La Société inclusive, parlons-en !, Toulouse, Érès, 2012, p. 152.
[3] Ibid., p. 134.
[4] Ibid., p. 149.
[5] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.
[6] Laurent É., La Bataille de l’autisme. De la clinique à la politique, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2012, p. 109-110 & 70.