Une superproduction hollywoodienne financée par Disney, une écrivaine à chapeau avide de plateaux télés, un jeune prodige enfui de sa Picardie natale pour « monter » à Paris et dont les critiques s’arrachent le deuxième volet de l’autofiction crue… Aurions-nous succombé cette semaine aux sirènes du marketing généralisé qui transforme illico les œuvres d’art en produits culturels, à la fascination du visage sans regard de Dark Vador, aux derniers talents littéraires à scandale, comme autant d’objets de consommation destinés à combler notre désir, dans le circuit sans fin du discours capitaliste où tout est possible, tout s’achète et tout s’oublie ?
Ce serait méconnaître la puissance de subversion de nos auteures, toutes trois guidées par un sens aigu de la clinique : sous le masque de l’icône drapée de noir, Clotilde Leguil décèle la puissance de la figure paternelle et de ses différents avatars, Sophie Simon révèle comment le geste scriptural et la communauté de lecteurs qu’il engendre peut permettre qu’un corps se dessine et se tienne dans le monde, tandis que Dominique Corpelet montre à quel impossible le récit de soi est voué.
Prendre au sérieux l’acte créatif, c’est donc bien oser se brûler les yeux à ce qu’il tente de cerner au plus près : un père bascule irrémédiablement au moment de la naissance de son fils, une petite fille ne sait pas comment donner forme à la pelure de son corps, un acte d’amour se révèle tentative de mise à mort. Ou comment les voiles de la fiction donnent à apercevoir la noirceur incandescente de l’objet même de la psychanalyse, la solitude et la détresse du sujet humain, et les histoires qu’il s’invente pour y parer.