Interne dans une structure d’urgence psychiatrique, je me rends pour la première fois à l’hôpital depuis le début du confinement, pour assurer une garde. À chacune d’elles, depuis le début de l’épidémie, une question se pose : « Faut-il mettre un masque pour accueillir les patients ? »
Au début du mois de mars, certains soignants proposaient déjà le port généralisé du masque, que ce soit pour protéger leur famille, les patients et/ou eux-mêmes, ou encore par respect des indications sanitaires.
Je m’étais donc posée la question pour chaque cas, l’un après l’autre, et j’y avais toujours répondu par la négative. Pas de masque lors de l’entretien psychiatrique avec ce patient, ni avec celui-ci.
C’était quelque chose du même ordre qui me permettait d’assouplir les règles de cette institution très cadrante, qui prend en charge des patients juste après un passage à l’acte.
Par cette question aux apparences pragmatiques, il s’agissait pour moi d’un acte en tant qu’il pourrait être « fondateur du sujet » [1]. En tant qu’il permettrait peut-être d’introduire un autre espace : « l’acte qui instaure ce discours [analytique] a la propriété de pouvoir faire advenir un autre état du sujet » [2], en l’occurrence ici de favoriser la mutation du passage à l’acte en une prise de parole.
En me rendant à cette première garde, il me semblait que j’allais m’orienter de la même façon, ma chaise étant à plus d’un mètre du patient.
Le premier patient que nous avons accueilli ne présentait aucun symptôme du COVID-19, mais il portait déjà un masque à son arrivée. Et lorsqu’il m’a demandé à pouvoir l’enlever pendant l’entretien, je me suis entendue lui répondre « non ». Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui a changé entre le temps 1 du début du mois de mars, et le moment présent ?
Alors que d’importantes mesures sont déployées à l’échelle nationale pour endiguer la propagation du virus, ne pas porter de masque, et en l’occurrence permettre que le patient l’ôte, ne reviendrait-il pas à n’en rien vouloir savoir ?
Jacques-Alain Miller dit de la séance analytique que « C’est une durée spéciale en ce que rien ne se passe, c’est un laps [de temps] sans événement extérieur. » [3] Il met donc en lumière la « neutralisation du champ perceptif » [4] nécessaire pour permettre à la séance d’advenir. Ces éclairages m’ont permis de m’orienter lors des entretiens d’accueil, dans le temps 1. Il était alors possible de ne prendre en compte que l’espace du bureau où je me trouvais avec le patient. Or, dans le temps 2, l’espace semble s’ouvrir sur un au-delà du bureau. Suis-je alors obligée par la situation exceptionnelle de considérer autre chose que l’ici et maintenant ? Cela ne comporte-t-il pas le risque de laisser des éléments protocolaires s’insinuer dans l’espace de l’entretien ?
C’est un échange avec un autre patient de la journée qui m’a indiqué une piste quant à une possible façon de faire avec ces nouveaux éléments. Lorsqu’il m’a vue l’accueillir masquée, il a aussitôt déclaré : « vous portez un masque parce que vous pensez que je suis contagieux », témoignant du fait que ce masque engendrait pour lui une méfiance supplémentaire. Je lui ai alors répondu qu’il s’agissait plutôt de le protéger lui, car c’était moi qui pouvais être contagieuse. Cela l’a apaisé, et lui a permis de poursuivre l’entretien.
Il s’agit donc d’envisager le masque comme un élément supplémentaire avec lequel chacun devra composer pour permettre le maintien d’un espace où un patient puisse prendre la parole.
[1] Aflalo A., « L’acte analytique, huit remarques », La Cause freudienne, n°71, juillet 2009, p. 104.
[2] Ibid.
[3] Miller J.-A., « La séance analytique », La Cause freudienne, n°46, octobre 2000, version CD-ROM, Paris, EURL-Huysmans, 2007, p. 5.
[4] Ibid.