« Combien nous coûtent les mensonges ? Ce n’est pas tant que nous puissions les confondre avec la vérité… Le véritable danger, c’est qu’à force d’en entendre, nous ne soyons plus du tout en mesure de reconnaître la vérité. Alors, que pouvons-nous faire ? Quel autre choix avons-nous que d’abandonner même tout espoir de vérité et de nous contenter, à la place, de belles histoires. »
(Valeri Alekseïevitch Legassov [1], Chernobyl [2], épisode 1.)
Les fake news portent n’importe quelle assertion au registre d’une vérité supposée. Ce sont des énoncés simples qui tendent à entretenir le doute, par une allusion. Il est fort complexe de les invalider, au risque de s’époumoner et de leur donner consistance.
Sont-elles le fruit de notre modernité [3] ? Elles auraient fait leur apparition en Russie, à l’ère post-glasnost [4] et auraient atteint leur apogée durant la campagne et le mandat présidentiel de Donald Trump.
Les fake news diffèrent des mensonges d’état du siècle dernier. La nouveauté tient ici, peut-être, à un double mécanisme. Leur mode de diffusion et la forme du message. La diffusion se fait en réseau. Elle est instantanée, ubiquitaire, profuse, massive. De cette démultiplication numérique qui pousse à l’envahissement du champ de la pensée, le sujet peut chercher à s’en protéger par un « ne rien vouloir savoir ». Il peut chercher, au contraire, à les invalider (recrudescence de sites de fact-checking [5]).
Sur la forme, le message est court, percutant, intarissable. Les fake news, en plus du message qu’elles véhiculent produisent un effet de corps. Chez certains auteurs, elles tiennent plus de la vocifération que de l’énonciation. Elles visent toujours, chez le lecteur ou l’auditeur, la jouissance mauvaise ancrée dans le corps.
Les fake news, comme les propagandes d’autrefois, trouvent néanmoins leur racine commune dans le discours paranoïaque. Les thèmes récurrents autour du racisme, de l’homophobie, des haines multiples, dénoncent l’insupportable de la jouissance de l’Autre. L’Autre jouit plus, et mieux. La jouissance propre au sujet lui étant inassimilable, il l’attribue à l’Autre.
La prolifération de ce type d’énoncés est-elle à mettre en rapport avec le déclin du Nom-du-Père ? Et avec la disparition de la vérité, dans son sens classique ? « La vérité est morte, vivent les vérités ! » pourrait-on penser. Une parole dont le sens serait communément admis, et qui ferait consensus, tend à se raréfier. Chacun s’oriente de sa boussole, de son objet a, mais aussi de sa vérité. Une vérité qui peut prendre, parmi d’autres voies, la coloration de la certitude délirante.
Si Clotilde Leguil insiste sur l’accent narcissique de l’hypertrophie du moi dans nos sociétés [6], le corollaire de cette poussée d’hypertrophie du moi est un mouvement de repli sur soi, ou sur le même que soi, dont la tendance s’accroit. Ce recentrage sur le moi se fait au détriment de la réalité et des petits autres qui la peuplent. L’exemple des modalités de réponse des états à la pandémie du coronavirus, en est une manifestation. Chaque état répond à l’immixtion du virus, au un par un, dans les limites de son territoire.
La vérité, du fait de sa structure de fiction et de l’impossibilité d’être dite toute, laisse au sujet sa part d’invention pour tenter d’accorder une vérité subjective avec une vérité admise par plusieurs autres.
[1] Valeri Alekseïevitch Legassov est un des scientifiques soviétiques ayant dénoncé la mauvaise gestion de l’explosion de la centrale nucléaire de Chernobyl. Il a publié le texte « Il est de mon devoir de parler… » avant d’être retrouvé pendu. Il a inspiré le personnage principal de la série Chernobyl.
[2] Renck J., Chernobyl, série télévisée, États-Unis & Royaume-Uni, 2019, six épisodes.
[3] Goldberg M., « Le triomphe de la désinformation », Courrier international, n°1513, 30 octobre 2019, p. 38-39, disponible sur internet.
[4] La glasnost est une politique de liberté d’expression et de publication d’informations en URSS et qui a commencé après l’accident nucléaire de Tchernobyl de 1986.
[5] Le fact-checking est une technique consistant à vérifier la véracité des faits et l’exactitude des chiffres présentés.
[6] Leguil C., « Nous vivons à l’ère d’une hypertrophie du moi », Le Monde, 27 juillet 2017, disponible sur internet.