Dans un petit texte produit avant le congrès de l’AMP sur l’ordre symbolique au XXIe siècle, Dominique Laurent précise la logique du lien mère-enfant : l’enfant participe de ce qu’elle appelle « l’appareil à jouir » de la mère, dans une articulation logique entre le phallus (-φ) et l’objet a. « L’enfant est inclus dans la consistance logique de l’objet a, mais il n’en reste pas moins pris dans la valeur de (-φ). Il participe de l’appareil à jouir qu’est le fantasme. Le corps de la mère se jouit de l’enfant qui la remplit, bien qu’il reste un semblant dans la série des objets perdus. »[1] Lorsque seule la jouissance de l’enfant comme objet est en jeu, l’enfant est réduit à incarner l’objet cause du fantasme maternel ce qui le met en impasse quant à l’accès à un désir propre.
Dans la première partie de son enseignement, Lacan indique que c’est la métaphore paternelle qui régule la jouissance dans le lien mère-enfant. Dans son dernier enseignement, avec « R.S.I. », il parle des objets de la mère que sont ses enfants, et évoque le père qui se fait respecter non parce qu’il fait la loi, mais parce qu’il choisit une femme comme objet cause de son désir[2]. Chacun a donc son objet, une femme pour le père, l’enfant pour la mère. Ici c’est la père-version qui prend le relais de la métaphore paternelle. Chaque Un, dans le couple dit parental, doit trouver l’usage qui convient de sa version du père comme traitement de la jouissance, c’est ce dont il s’agit dans le Séminaire Le sinthome. Ainsi la recherche d’un juste écart entre une mère et ses objets-enfants ne procède pas toujours de la métaphore paternelle ni forcément du lien à un homme.
Aline refuse que l’allaitement cesse avant la scolarisation de sa fille. Elle s’appuie sur la promotion contemporaine de la santé de l’enfant via l’allaitement pour justifier la jouissance de cette dévoration réciproque. Au fil des séances, elle s’aperçoit qu’elle vit chaque progrès de sa fille comme une perte. Ce dire fait de l’avidité de l’allaitement un symptôme, et ouvre la question de la séparation.
Cet exemple témoigne du lien de la mère à la castration, mais permet aussi de repérer comment une mère tente de nourrir l’illimité de la jouissance féminine par sa localisation dans un corps à corps avec l’enfant. La métaphore paternelle ne suffit pas à traiter la jouissance en cause. Son mari est très amoureux d’Aline, elle l’aime aussi, dit-elle, et consent à le laisser s’occuper de l’enfant et l’éduquer avec elle. Mais elle estime qu’elle seule, du fait d’être la mère, sait naturellement ce qui convient en matière d’allaitement. Ceci ne l’empêche pas de se plaindre que son homme ne l’aide pas assez en matière de soin aux enfants.
Ce moi seule peut-il ouvrir l’espace d’une autre singularité ? La cure vise à favoriser l’invention d’une autre réponse à ce qui, pour ce sujet féminin, reste énigmatique quant à ce qui fonde son existence. Aline se jette à corps perdu dans le travail qui la lie au corps médical. Mais c’est pour retrouver le même appétit de dévoration subie : elle se fait « bouffer » par son travail, et n’a pas assez de temps pour manger. Elle reconnaît là l’écho du refus anorexique qui animait le ravage entre elle et sa mère. Elle reste donc en attente d’une autre alliance entre le corps et la langue qui lui permettrait de s’orienter entre les femmes et les mères, sans que sa fille soit tenue de lui donner consistance de corps.
[1] Laurent D., « Mère », L’ordre symbolique au XXIe siècle, Scilicet, Collection Rue Huysmans, École de la Cause freudienne, Paris, 2013, p. 229-231.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 21 janvier 1975, inédit.