Nous avons une pente à toujours refaire une catégorie. La résistance est du côté de l’analyste ! Le cpct nous enseigne cela, une clinique de l’inclassable, en tant que c’est pour chacun.
C’est un bel homme dans la force de l’âge, grand, sportif, il a l’aisance des commerciaux. « J’ai beaucoup de choses à dire ». RESSORT, qui s’occupe des cadres en recherche d’emploi, en lien avec l’Association « 60 000 rebonds » [en fait c’est « 10 000 rebonds »], lui a donné l’adresse du CPCT. Il n’a jamais rencontré de psy auparavant. Il est très affecté par une situation familiale qui le préoccupe beaucoup. Au moment du dépôt de bilan de sa société, la contingence d’un retour dans sa région l’avait confronté à la précarité de sa mère âgée, qui vivait seule à son domicile. Il s’était alors dévoué corps et âme pour éviter le placement de sa mère en institution, mettant en réserve ses propres intérêts. Il avait frôlé l’épuisement, pris par le « toujours plus » qui l’avait toujours orienté jusque là, sous l’exigence de l’entrepreneur « qui ne se laisse pas aller ».
Toutefois, précise-t-il, le plus grand traumatisme n’avait pas été d’être confronté à l’état dépendant de sa mère, ni non plus à sa propre situation de précarité. Non, ce qui le ravage n’est pas ça. C’est plutôt d’avoir constaté la défaillance de son frère, qui n’avait pas fait face à ses obligations. Il avait alors été plongé dans un profond marasme, vivant la désaffection de son frère au poste pilote de la famille comme une véritable trahison : « Mon frère n’a rien assumé, finalement c’était une planche pourrie ». S’en était suivie une quasi rupture, accompagnée du sentiment d’être « ostracisé » par sa fratrie qui le mettait à l’écart des décisions. Lorsque j’évoquerai ce laissé-tombé, il rectifiera : « C’est plutôt quand les actes ne suivent pas les paroles ». C’est ici qu’il situe la trahison, quand la parole n’est pas poinçonnée par l’acte qui la fait advenir. C’est alors la promesse qui se défait.
La fois suivante, il se présente très différent, pas rasé, bouffi, fatigué. J’ai du mal à le reconnaître. Il évoque une nouvelle fois la trahison de son frère : « C’était comme un coup de poing dans la figure ». Il montre ce qu’il dit, la percussion d’une parole trop réelle. Mais une fois dit, cela peut dés lors s’accueillir. Est-ce une conséquence de cet accueil ? Il évoque son goût pour le sport qu’il vient de retrouver. Il précise sa satisfaction d’avoir trouvé un partenaire au tennis. L’analyste saisit la balle au bond : revoyons-nous la prochaine fois !
Il arrive qu’un sujet fasse résonner l’inclassable, débordant les repères dont nous croyons nous assurer. Précisément, ce sont eux qui font le rebond infini, l’invention « toujours plus » des catégories où loger l’incongruité du parlêtre. A ce rebond infini, on peut préférer le petit moment de dis-corps, quand « le poing dans la figure » manifeste le pouvoir impactant de lalangue. Au rebond, préférer le moment pour bondir.