Sur quoi délire l’enseignement ? Il délire sur le savoir et cherche à donner à chacun le sentiment que la vérité s’y trouve. C’est toujours au nom de la vérité qu’on tente de faire enseignement, soit, comme le dit Lacan dans sa conférence « Place, origine et fin », dire le vrai, et pour cela, faire en sorte que ce vrai « soit neuf. Ce que dit la vérité, il faut donc croire qu’elle ne le dit pas tout à fait de la même façon que le discours commun le répète » [1]. Dire le vrai, comme s’il était neuf, c’est là ce qu’on attend d’un enseignement.
Pour ce faire, transmettre un savoir qui serait délivré de façon répétée ne convient pas. Il faut que ce qui s’enseigne soit énoncé de telle façon que l’interprétation qui en est faite atteigne son auditoire par une vérité nouvelle. Si l’enseignement est un délire, il s’agit alors d’une éthique de l’énonciation. Cela indique que chaque enseignant le fait à ses risques, soit interprète ce qu’il dit d’un savoir déjà là, selon sa position d’analysant, comme l’indique Lacan. Cette notion de « risques » est inscrite dans nos statuts de l’École de la Cause freudienne. « Quiconque enseigne le fait à ses risques. » C’est une façon d’indiquer le lien entre l’enseignement et le délire propre à l’Un-tout-seul. Il y faut un désir de savoir particulier. Il s’agit d’inventer à partir de son expérience d’analysant, en interprétant le vrai, non pas son vrai à soi, mais en quoi l’énonciation crée, à partir du savoir, une vérité nouvelle qui fera enseignement.
De la liberté à la tyrannie
Dans les démocraties, la parole est libre et de ce fait, chacun délire au sens où chacun croit à ce qu’il dit, à sa vérité. Lacan le dit : « Dans ce pays où l’on peut tout dire, même la vérité, le résultat, c’est que, quoi qu’on dise, ça n’a en aucun cas aucune espèce de conséquence » [2]. En cela, la psychanalyse lutte contre cette pente, en donnant au dire non seulement un sens spécial, mais aussi en repérant les conséquences qui s’en déduisent. Le symptôme n’est autre que le fait qu’il y a des paroles qui ont des conséquences. La psychanalyse défait donc l’idée que la liberté de parler est sans effets singuliers. Mais il faut qu’il y ait une totale liberté pour que cette parole puisse se faire Autre à elle-même. Elle doit être non seulement libre, comme le prônait Freud en mettant « l’association libre » au principe d’une analyse, mais il faut également que cette liberté se constitue sur fond de ce qu’on ne peut pas dire. C’est parce qu’on ne peut pas tout dire sur le vrai que Lacan a inventé le réel. C’est ce réel qui est en jeu dans les cures, mais il est aussi ce que nous rencontrons de plus en plus souvent lors de nos interventions dans le monde d’aujourd’hui.
Dès lors, l’enseignement de la psychanalyse se confronte à ce même obstacle. Le savoir que nous enseignons est parfois plus que contesté. Ainsi, deux analystes ont récemment été gravement chahutées au sujet de leur livre « La fabrique de l’enfant transgenre » [3]. Leur thèse allait contre le mouvement woke qui fait taire tout ce qui va contre sa théorie du genre. Faire taire est une des nouvelles positions adoptées par ceux qui détiennent le savoir, non pas au titre d’un savoir d’analysant, mais d’un discours de maître qui veut imposer sa norme.
La liberté de parole a donc bien eu une conséquence. Elle a rencontré le réel du genre dont la vérité est impossible à dire. Les nouvelles idéologies du genre ne veulent rien en savoir, et c’est pour cela qu’elles sont tyranniques.
Hélène Bonnaud
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[1] Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 27.
[2] Ibid., p. 65.
[3] Eliacheff C. & Masson C., La Fabrique de l’enfant transgenre, Paris, éd. de l’Observatoire, 2022.