En s’appuyant sur « le carcan » traditionnel sévillan dont il est issu et en s’ouvrant à d’autres formes, improbables, avec Nijinski, Ligeti, le butō… Le danseur et chorégraphe Israel Galván subvertit le flamenco pour créer un style inédit, reconnu par les plus grandes scènes internationales, à la Cour d’Honneur du Palais des Papes en Avignon, à la fondation Calder de New York notamment. Depuis « La metamorphosis », création conséquence de la découverte du roman, où il dansait sur le 6ème quatuors à corde de Bartók, en passant par « La edad de oro », conversation entre le flamenco puriste et l’invention d’un langage propre, « El final de este estado de cosas » inspiré de l’Apocalypse de Jean, « Lo Real » à propos du sort des gitans dans l’Europe nazie, « Torobaka » avec le danseur Akram Khan, et « La Fiesta », réminiscences de son enfance, Israel Galván n’a eu de cesse de renouveler la singularité de son art en rassemblant des éléments hétérogènes au cours des 20 années de son œuvre qu’il vient de dépasser. Mais Galván danse depuis toujours, et c’est, il y tient, encore du flamenco. Il y excelle dans le nouage entre le tragique et le comique, intense et facétieux, comme les grands créateurs savent le faire.
Sa dernière pièce, « Gatomaquia », est le fruit de ses retrouvailles avec une part de ses racines, gitanes, avec la famille Romanès, dans une sorte de cabaret burlesque à l’esprit joyeusement contagieux.
À l’occasion de la Master Class d’Israel Galván à laquelle nous avons participée, organisée par le Théâtre de la Ville du 26 au 31 décembre 2018 à deux pas du Palais des Congrès de Paris, dans l’élan de cette expérience, sous le chapiteau du cirque tsigane Romanès, Israel Galván s’est rendu disponible entre deux cours pour répondre à nos questions. Entrevue improvisée dans la hâte et l’émotion de la rencontre.
Sarah Dibon : Dans la présentation de cette master class sur le site du Théâtre de la Ville vous proposiez cette perspective, que « chacun trouve de façon spontanée le geste qui lui est personnel » [1].
Israel Galván : Je pars du principe que tout le monde possède implicitement un alphabet, une grammaire, une syntaxe qui lui est propre. Le but de la master class est que chacun puisse les déployer, les développer grâce à la dynamique des cours. À mon avis, on peut mentir avec les mots mais pas avec le corps.
S.D. : Dans le film de Maria Reggiani [2], vous disiez que vous ne vous souveniez pas d’avoir eu enfant le désir de danser, mais que vous vous souveniez d’avoir toujours dansé. Et récemment [3] vous expliquiez que pour avoir envie de danser il vous fallait un obstacle. Qu’est-ce que c’est que cet obstacle ?
I.G. : À chaque fois que je crée une pièce et que je la danse, c’est comme partir à la guerre. Partir à la guerre, contre moi-même. L’obstacle c’est moi-même. Par exemple, danser sur un fil suspendu à plusieurs mètres du sol me motive plus que de danser confortablement sur un sol lisse : ça n’a aucun intérêt.
S.D. : Dans votre œuvre, ça tend à s’horizontaliser, voire à chuter, des objets et votre corps aussi. Pourriez-vous nous en dire quelque-chose ?
I.G. : Nous voyons dans certaines danses contemporaines que les danseurs mettent au point de nombreuses stratégies pour amortir leur chute, le choc contre le sol. Je ne conçois pas les choses ainsi, je pense qu’il faut aller vers le contact, le choc contre le sol, de façon franche et directe.
Moi je suis toujours en contact avec le sol, parce qu’avec le zapateado il y a un contact avec le sol. Le corps te demande parfois d’aller vers le sol parce que depuis le sol c’est peut-être la seule façon d’aller très haut. C’est comme prendre une impulsion. Il y a une phrase, qui dit que quand la bombe d’Hiroshima, est tombée, Nijinsky, à l’autre bout du monde, a fait un saut.
Je crois que quand tu danses pour de vrai, sans avoir peur du tout, tu es très près du sol. Quand on est moins sûr de soi, plus nerveux, qu’on a plus peur, alors on saute davantage. La relation avec le sol est une relation de confiance, une façon d’avancer sans peur.
S.D. : Vous évoquiez aussi une certaine coupure [4].
I.G. : Je considère qu’en faisant des pièces, des œuvres, on crée un monde nouveau, un langage nouveau, une nouvelle façon d’être sur scène. Alors, c’est comme aller sur une autre planète. Et sur cette planète, ce n’est pas un monde de cohérence.
J’ai la nécessité, quand je fais les choses, de changer. Chaque fois que je danse je veux être un nouveau danseur, une nouvelle personne. Je n’aime pas beaucoup faire de nouveaux pas, une nouvelle chorégraphie, j’aime me changer moi, ma manière d’exister, ma manière d’être. Et puis ensuite, tu romps, tu veux rompre aussi avec ce qu’il y a autour. Pour créer, comme en Inde avec la déesse Kali, qui a la nécessité de détruire pour créer. Moi, j’ai un problème avec la virtuosité du danser pour danser, danser la virtuosité. Je ne veux pas me montrer seulement avec la virtuosité. Quand je me montre, je veux rompre, mais en douceur, pas fort, en douceur. C’est ma façon de créer, en rompant avec ce qui est.
S.D. : Vous avez eu cette phrase : « en dansant je sue quelque chose ». [5] Qu’est-ce à dire ?
I.G. : Bon… par rapport au corps, on peut transpirer au gymnase. Mais dans la danse, quand on crée quelque chose… Je crois que c’est sûrement à partir d’une peur que j’ai de la vie, qu’à travers la danse, disons que je sue cette peur. Il y a une idée de virus, c’est une fièvre, et en la dansant, en plus de suer comme une fonction normale du corps, de transpirer, tu sues cette peur. C’est-à-dire que, quand tu crées quelque chose, tu es pris je pense par une maladie par exemple, l’amour, hein ? C’est une maladie. Tu la danses et tu sues l’amour et la maladie de l’amour s’en va. C’est possible, pendant un moment.
S.D. : Une question classique : qu’est-ce que pour vous « le duende » ?
I.G. : Oui, une question classique. Paco de Lucía, le guitariste, on lui avait posé cette question, et Paco a dit qu’il faut le chercher. Mais ça ne veut pas dire qu’il viendra. Lui, il vient quand il veut. Mais il ne viendra pas si tu ne le cherches pas. Tu dois le chercher et attendre qu’il vienne.
Le duende c’est un moment, je crois, de sensation d’être bien avec soi-même. C’est être en paix, c’est comme le zen en Inde. C’est vivre dans l’instant, l’instant présent. Dans le flamenco, « vivre l’instant présent », c’était sans doute un terme qui ne se disait pas. Maintenant je me sens bien, j’ai le duende.
S.D. : Et dernière question, sur l’art du « remate » ?
I.G. : C’est vrai que les choses ont comme un début et une fin, bien qu’on les laisse en suspens. Mais dans le flamenco, je ne sais pas pourquoi, c’est très important, de rematar, finaliser, finaliser chaque chose, il y a beaucoup de fins. C’est un grand final à chaque moment, c’est quelque chose de sacré.
Bailar la enfermedad del amor
Entrevista con Israel Galván, por Sarah Dibon
Apoyándose en la disciplina tradicional sevillana de la que surgió, y abriéndose a otras formas, improbables, con Nijinski, Ligeti, el butō… el bailarín y coreógrafo Israel Galván subvierte el flamenco para crear un nuevo estilo, reconocido por los grandes escenarios internationales, en particular la Corte de Honor del Palais des Papes en Avignon o la Fundación Calder de Nueva York. Desde “La metamorfosis”, creada tras el descubrimiento de la novela, donde bailó el sexto cuarteto de cuerdas de Bartók, a través de “La edad de oro”, conversación entre el flamenco purista y la invención de un lenguaje limpio, “El final de este estado de cosas” inspirada en el Apocalipsis de San Juan ,“Lo Real” sobre el destino de los gitanos en la Europa nazi, “Torobaka” con el bailarín Akram Khan, y “La Fiesta”, reminiscencias de su infancia, Israel Galván nunca ha dejado de renovar la singularidad de su arte al reunir elementos heterogéneos durante los 20 años de su obra que acaba de alcanzar. Pero Galván baila desde siempre, y se trata siempre de flamenco. Él sobresale en el anudamiento entre lo trágico y lo cómico, intenso y juguetón como saben hacer los grandes creadores.
Su última pieza, “Gatomaquia”, es el resultado de su reencuentro con algunas de sus raíces, gitanas, con la familia Romanès, en una especie de cabaret burlesco con un espíritu alegremente contagioso.
Con ocasión de la Master Class de Israel Galván en la que participamos, organizada por el Théâtre de la Ville del 26 al 31 de diciembre 2018 en la carpa del circo Romanés a raíz de la representación de Gatomaquia, Israel Galván reservó tiempo entre dos cursos para contestar nuestras preguntas. Entrevista improvisada en la urgencia y la emoción del encuentro.
Sarah Dibon : En la presentación de esta master class en el sitio del Théâtre de la Ville, usted proponía esta perspectiva, de que « cada uno encuentre en forma espontánea su propio gesto » [1].
Israel Galván : Yo parto del principio de que todo el mundo posee implícitamente un alfabeto, una gramática, una sintaxis propia. Se trata de que en las clases cada uno pueda desplegarlo, desarrollarlo gracias a la dinámica de las clases.
Yo creo que se puede mentir con las palabras pero no con el cuerpo.
S.D. : En la película de Maria Reggiani [2], decía que no recordaba haber tenido el deseo de bailar de niño, pero que recordaba haber bailado siempre. Y recientemente [3] explicó que para tener ganas de bailar necesitaba un obstáculo. ¿ Cual sería ese obstáculo ?
I.G. : Cada vez que yo hago una pieza y la bailo, es como ir a la guerra. Ir a la guerra, contra mí mismo. El obstáculo soy yo mismo. Por ejemplo, a mí me motiva más bailar sobre un cable suspendido a varios metros del suelo que bailar confortablemente en un suelo liso : eso no tiene interés.
S.D. : En su obra, todo tiende a horizontalizarse, incluso caer, objetos, y su cuerpo también. ¿ Podría decirnos algo al respecto ?
I.G. : Vemos en algunas danzas contemporáneas que los bailarines trabajan mucho en estrategias para amortiguar la caída, el choque con el suelo. Yo no concibo las cosas así, yo pienso que hay que ir al contacto, al choque con el suelo, de modo franco y directo.
Yo siempre estoy en contacto con el suelo, porque al zapatear hay un contacto con el suelo. Ahí a veces el cuerpo te pide irte al suelo porque desde el suelo a lo mejor es la única forma de ir muy arriba. Es como coger un impulso. Hay una frase, que hay cuando la bomba de Hiroshima cayó, Nijinsky, en la otra punta del mundo, pegó un salto.
Yo creo que cuando se baila de verdad, muy sin miedo, estás muy pegado en el suelo. Cuando se está más inseguro, más nervioso, uno está más nervioso, y salta más. La relación del suelo es una relación de una seguridad, de ir sin miedo.
S.D. : También comentaba cierto corte. [4]
I.G. : Yo considero que al hacer las piezas, las obras, se crea como un mundo nuevo, un lenguaje nuevo, una forma de estar en el escenario nueva. Entonces, es como irte a otro planeta. Que en ese planeta, no existe una coherencia.
Yo tengo, cuando hago cosas, la necesidad de cambiar. Yo cada vez que bailo quiero ser un bailador nuevo, una persona nueva. No me gusta mucho hacer pasos nuevos, coreografía nueva, me gusta cambiarme yo, la forma de ser, la forma de estar. Y luego de eso, rompes, quieres romper también con lo que hay alrededor. Para crear, igual que en la India está la diosa Kali, que necesita romper para crear. Yo, tengo un problema con el virtuosismo de hacer el bailar por bailar, bailar el virtuosismo. No quiero mostrarme sólo con el virtuosismo. Cuando me muestro, quiero romper, pero suavemente, no fuerte, suavemente. Es mi forma de crear, rompiendo lo que hay.
S.D. : Dijo esa frase : al bailar sudo algo. [5] ¿ Qué significa ?
I.G. : Bueno… En una relación de cuerpo, puedes sudar en el gimnasio. Pero en el baile, cuando se crea algo… pues yo creo a lo mejor de un miedo que tengo de la vida, y que a través del baile, digamos que sudo ese miedo. Hay una idea que es como un virus, es una fiebre, y al bailarlo, aparte de sudar como una parte del cuerpo normal, de sudar, sudas ese miedo.
O sea cuando creas algo, se te mete pienso una enfermedad por ejemplo, el amor, ¿ no ? Es una enfermedad. Lo bailas y sudas el amor y se te quita la enfermedad del amor. Es posible, por ese momento.
S.D. : Una pregunta clásica : ¿ qué es, para usted, el duende ?
I.G. : Sí, una pregunta clásica. Paco de Lucía, el guitarrista, le preguntaron por ese duende, y Paco dijo que hay que buscarlo. Pero no quiere decir que venga. Él, viene cuando quiere. Pero como no lo busques no viene. Lo tienes que buscar y esperar a que venga. El duende es un momento de, creo, de sensación de estar bien con uno mismo. Es estar en paz, es como el zen en India. Es vivir el momento, el presente En el flamenco a lo mejor el « vivir el presente », era un termino que no se decía. Ahora estoy bien, tengo el duende.
S.D. : Y última pregunta, sobre el arte del remate.
I.G. : Es verdad que las cosas tienen como un principio y un final, aunque se deja en interrogación. Pero en el flamenco, no sé por qué, es muy importante rematar, finalizar, finalizar cada cosa, muchos finales. Es un gran final cada momento, es una cosa sagrada.
[1] https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/saison-2018-2019/temps-forts/stage-de-danse-flamenco-avec-israel-galvan
[2] Reggiani M., Israel Galván, 2007.
[3] https://www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/israel-galvan
[4] op.cit., emisión France Culture du 4 juin 2018.
[5] ibid.
[1]https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/saison-2018-2019/temps-forts/stage-de-danse-flamenco-avec-israel-galvan
[2] Reggiani M., Israel Galván, 2007.
[3] https://www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/israel-galvan
[4] Op.cit., Émission France Culture du 4 juin 2018.
[5] Ibid.