Je vais vous parler d’un aspect de ma pratique de psychologue clinicienne auprès d’Assistantes Familiales de l’Aide Sociale à l’Enfance.
Leur savoir-y-faire avec les enfants impulse un projet, celui qu’elles puissent échanger entre elles pour en tirer un enseignement.
A la faveur d’un contact fortuit avec l’élue présidente de l’institution, après deux années de pourparlers, des rencontres se mettent en place en 2012. A partir de la lecture de deux cas écrits au préalable sur le thème de « Ce que les enfants nous font vivre ! », ces rencontres se déroulent chaque trimestre dans la grande salle du 3ème étage de la direction centrale avec une prestation de boissons ; des semblants qui ne sont pas sans valeur. Des participantes du groupe NRC1 local « Constellations » y sont invitées quelques fois.
En passer par l’écriture surprend les Assistantes Familiales. Les points de butée donnent matière à écrire. Cette mise en mots, en amont de l’exposé, produit un savoir sur l’enfant mais aussi éclaire le sens de leurs interventions. Dans l’après-coup, chacune découvre que son texte peut s’adresser et vaut pour d’autres. « En parlant, on se rend compte de ce qu’on fait », dit l’une d’entre elles. Une autre a repéré que la jeune fille autiste aime l’eau, elle lui fait laver la salade et le riz, « comme ça, elle participe à la vie de la maison ». Ce détail capté dans la routine quotidienne fait événement et guide la prise en charge. Telle autre témoigne de sa rencontre avec un jeune homme l’interrogeant sur le sexuel énigmatique qui se manifeste dans son corps : « J’ai appris à faire avec la peur en lui parlant toujours avec des mots qui ne vont pas le mettre hors de lui », dit-elle.
A la lecture de son écrit, l’une dit : « Il fallait réfléchir pour moi et pour l’enfant, essayer de lire dans son silence ; ce mur c’est la souffrance totale ». Le prélèvement du signifiant « silence » la confronte à un réel. Dans l’après-coup, le jeune homme acceptera d’écrire dans un cahier « que pour elle » ce qui lui arrive. Cette invention produira un allègement de part et d’autre. Une autre dira : « Là, je me suis trompée, je suis passée à côté ». L’impossibilité de saisir le sens de telle ou telle action d’un enfant se transforme ainsi en éléments qui causent et mettent à l’épreuve le désir. Une présence attentive orientée par la psychanalyse lacanienne est propice à la mise en circulation des signifiants de chacune dans un transfert de travail renouvelé.
Quand un bougé s’effectue, cela a des conséquences dans le rapport avec les parents. Certaines découvrent que leurs supposées aides peuvent s’avérer persécutrices. Cette avancée les amène à considérer ce que les parents peuvent supporter de leur présence : « Avec les parents, je reste en arrière, dit l’une d’elles mais c’est l’enfant qui m’amène à parler à son père, et le père accepte alors que je le soutienne dans la signature des papiers et la visite de l’ITEP2 avec son fils ».
La projection des films « A ciel ouvert3 » et de « Autres voix4 » provoque un pas de côté étonnant. En entendant : « L’enfant est une énigme », elles discernent qu’elles ont un savoir sur l’enfant, à condition de se laisser enseigner par lui. « Je pensais que douter de ce que je fais était un signe d’incompétence alors que maintenant c’est mon métier d’inventer », ponctue l’une d’entre elles. Telle autre se saisit d’un signifiant entendu et dit de sa rencontre singulière avec un garçon de 5 ans : « Il y a la névrose, la psychose et les explorateurs ».
1 NRC : Nouveau Réseau du Centre d’Etude et de Recherche sur l’Enfant dans le Discours Analytique
2 ITEP : Institut thérapeutique, éducatif et thérapeutique
3 « A ciel ouvert, Chaque enfant est une énigme », film-documentaire réalisé par M. Otero, 2013
4 « D’autres voix, un autre regard sur l’autisme », Film-documentaire coréalisé par Ivan Ruiz Acero, 2015