Un rêve de Lacan – Lacan raconte. La nuit précédente, il a rêvé qu’il venait faire son séminaire. Mais il n’y avait personne ! Il se retrouvait donc seul. Il était « assez outré ». Il avait travaillé jusqu’à quatre heures et demie du matin pour préparer ce qu’il avait à dire. Il ne savait pas quelle était la raison de l’absence de son auditoire d’ordinaire si nombreux. Que lui arrivait-il donc ? En fin de compte, dit Lacan, ce rêve satisfaisait un vœu : Il pouvait, reconnaît-il, se les rouler (les pouces) [1].
Le rêve interprète, comme l’a indiqué Jacques-Alain Miller. C’est en effet le rêve qui révèle un savoir – un savoir que le rêveur ne sait pas, un savoir qui lui échappe. Il y a donc, de ce point de vue, un « trou » dans l’articulation même du savoir par où fuit le sens.
Un rêve, on en fait le récit. Viennent alors les « associations ». « À quoi tel ou tel élément du rêve lui fait penser ? », est-il demandé au rêveur. Au fond, il s’agit, pour celui-ci, de dire en quoi les pensées qui lui sont venues à l’esprit une fois qu’il a été réveillé peuvent être articulées à ce que Freud a appelé « les pensées du rêve », c’est-à-dire aux pensées qui, sans qu’il le sache, ont traversé l’esprit du rêveur alors qu’il dormait.
Lacan indique, dans son vingtième Séminaire, qu’un rêve, ça se lit au fur et à mesure que ça se déchiffre. Par conséquent, un rêve, d’abord, se dit, puis, se lit. Lacan en arrive ainsi à préciser qu’un rêve, « ça se lit dans ce qui s’en dit » [2].
Le rêveur, le plus souvent surpris, découvre alors qu’il y a là, en effet, un « savoir qui ne se sait pas » [3], autrement dit un savoir qui, si le rêveur veut bien s’y intéresser, est à apprendre. C’est, en réalité, un savoir qui est alors destiné à faire entendre le signifiant – ainsi que, du même coup, l’équivoque qui en constitue la vraie dimension.
Par rapport à ce dont le sens du rêve se charge en quelque sorte de faire signe, l’équivoque du signifiant, elle, introduit de la division et, ce faisant, elle veut dire par là – en créant un double sens – qu’il y a de l’inconnu dans le connu, de l’insu dans ce qui est déjà su. L’équivoque fait résonner un pas-tout se sait. Le corps parlant, qui, en soi, comporte un savoir, ne sait pas-tout. Lui échoit ainsi la chance d’acquérir un nouveau savoir en faisant exister, au moyen de l’équivoque, un signifiant nouveau qui n’existe pas encore.
Entre le signifiant et le signifié, il n’y a pas de rapport. C’est sur ce non-rapport que le rêveur, le plus souvent, trébuche. Il dira, par exemple : « Le sens de ce rêve me demeure obscur, j’ai beau me creuser la tête, je n’y comprends rien. » Le rêveur se heurte, en fait, à l’opacité d’une jouissance [4]. C’est pourquoi, Lacan en est venu à dire que ce qui résonne dans un rêve sonne à la façon d’une bévue !
Par exemple, le rêveur reconnaît, une fois réveillé, que le rêve a pris sa source dans un malentendu. Il voulait quelque chose. Mais, au réveil, il s’aperçoit, à sa grande surprise, que le rêve s’est joué de lui et qu’à la limite, il lui a joué un tour à sa façon auquel il ne s’attendait pas. C’est le rêve qui veut en fonction de son désir à lui (le rêve), et non, comme le rêveur le croyait, à partir de sa demande à lui. C’est ici que se justifie le choix du titre qui a été proposé : « Constat ». L’usage de ce terme suppose en effet qu’un événement a eu lieu, qui puisse précisément avoir le statut d’un réel et faire l’objet d’un « constat » [5]. Que le rêve résonne alors à la manière d’une bévue, cela signifie qu’il montre en quelque sorte du doigt une scène, indique Éric Laurent, qui surgit, dans son « obscénité » même, au niveau de ce qui a été considéré (plus haut) comme une faille dans l’effort d’articulation de la chaîne signifiante vers laquelle tend le récit, par le rêveur, du rêve comme tel.
[1] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 107.
[2] Ibid., p. 88.
[3] Ibid.
[4] « jouissance opaque » (Lacan J., « Joyce le Symptôme », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 570.)
[5] Cf. Milner J.-C., Constat, Lagrasse, Verdier, 1992.