Qu’il y ait de nouvelles figures du psychanalyste relève davantage du constat que de l’interrogation. Cela tient au fait du discours analytique lui-même qui vise à produire la singularité à partir du symptôme ; le procès analytique amenant chaque parlêtre à s’éprouver toujours autre à lui-même. L’expérience analytique conduit à extraire ce noyau qui est au fondement de l’être de jouissance de chaque-un, non pas pour s’en glorifier mais pour le rendre opératoire dans l’existence. C’est cette rencontre avec un réel irréductible qui produit du psychanalyste, toujours dans la singularité. Aussi, la perte de l’un ou l’une d’eux est incommensurable, irremplaçable.
En revanche, il nous semble original de corréler cette nouveauté à la dimension du politique. En quoi l’analyse produirait du nouveau sur ce plan ? Car effectivement, cela ne paraît pas une évidence que le psychanalyste ait à s’engager sur la scène du monde. Plutôt serait-il porté à une certaine indifférence, ou neutralité, à l’abri du tumulte ?
L’année 2017 nous aura pourtant montré combien le risque est grand de ne pas s’engager pour faire barrage à l’infamie. À la suite de l’acte de Jacques-Alain Miller – l’au moins-un à ne pas s’être laissé endormir face à l’imminence du retour du pire –, s’est posée pour chacun qui se reconnaît dans l’orientation lacanienne la question de devoir s’engager à partir de la place qu’il occupe. En tant que délégué régional de l’ACF, je me suis alors retrouvé à m’impliquer pour prendre l’initiative d’organiser dans la hâte un Forum Scalp. En cela, je me suis senti déporté de ma mission, voire de ma fonction que je pensais toute tracée. C’est à ce moment là seulement que j’ai pris la mesure et compris le sens de la position que j’avais à assumer. Et ce n’est que dans l’après-coup que la dimension d’acte m’est apparue. Comme nous y invite J.-A. Miller lors de son cours du 24 juin, à la suite des élections présidentielles, il est nécessaire d’analyser ce qui s’est passé là, quel franchissement a eu lieu pour notre communauté ? Contrairement aux idées reçues, « l’analyste n’est pas un indifférent » et « son désir, c’est son énonciation »[1]. Cela résonne avec ce que Lacan énonce du rapport du psychiatre au fou, à savoir qu’il est « irréductiblement concerné »[2] par lui en tant qu’il constitue un réel qui l’angoisse.
Le maître moderne, aveugle et vorace, alliage du capitalisme et du scientisme, poursuit quant à lui sa course effrénée, au nom du bien pour tous, vers la massification. En produisant un monde d’addicts aux objets de jouissance, c’est le lien social qu’il met à mal. Ainsi quelque chose a changé. Si le discours analytique est l’envers du discours du maître, comment l’analyste peut-il être à la hauteur des enjeux du malaise contemporain ? Sans doute que désormais le combat ne se situe plus en dessous, qu’il est davantage frontal. L’ennemi ne se cache plus. Il crie haut et fort. Des procès sont en cours. Des collègues sont mis en accusation. Ce n’est pas seulement leur affaire à eux, c’est l’affaire de tous ceux qui se sentent concernés par cette volonté d’éradiquer la singularité. Partout la normalisation tente de s’imposer. Derrière cela, c’est le capitalisme et la marchandisation du mental qui prospèrent. Le monde qui se profile, dans lequel le robot occupera la place du partenaire pour tous, est-il inéluctable ? Les autistes sont les premiers à en faire les frais… Ainsi, dehors les inutiles, tout ceux qui se pensent indispensables auprès des sujets en souffrance.
Depuis Freud, nous savons que le malaise est au cœur de l’humain et qu’il ne cesse de s’étendre dans le social. Le symptôme est la solution que le sujet trouve pour se défendre de l’envahissement de la jouissance débridée. Partant de là, la question du politique est celle de la défense du symptôme, seul rempart contre le pire.
Dans son Acte de fondation, Lacan rappelle que ceux qui s’engagent dans son École le font pour accomplir un travail qui « dans le champ que Freud a ouvert, restaure le soc tranchant de sa vérité – qui ramène la praxis originale qu’il a institué (…) dans le devoir qui lui revient en notre monde »[3]. Puisque le monde change, comment le devoir qui revient au psychanalyste pourrait-il ne pas se renouveler ?
[1]. Miller J.-A., « Point de capiton », La Cause du désir n° 97, octobre 2017, p. 92-93.
[2]. Lacan J., « Petit discours aux psychiatres », inédit.
[3]. Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.