Jeune fille sans âge, Adeline est accompagnée par sa mère. Elle se présente avec un look particulier qui dans les moindres détails sera inchangé durant de longs mois.Depuis 3 ans elle vit dans un huis clos avec ses parents après une tentative d’études à l’Université. Plus aucun de ses intérêts passés n’est d’actualité et sans plainte ni question, le signifiant « blocage » vient nommer sa situation la laissant face à une certaine perplexité. Elle passe ses journées à écouter seule en boucle de la musique, du rock principalement.
Adeline reviendra seule et ne manquera aucun rendez-vous. Quelques formules s’égrènent « c’est pareil », « la déprime », « le manque d’énergie », « le manque de confiance » sans cause ni commentaires. La perspective des études ou du travail l’angoisse, les signifiants commandent et l’isolement est son refuge sans faire symptôme. J’accèlère le rythme des rencontres. Devant sa difficulté à parler, je choisis de soutenir notre échange par des questions discrètes sur son quotidien pour repérer ce qui l’anime. Le rock est un signifiant qui fournit à Adeline quelques sensations de vie, et donne consistance à son corps tout en la fixant à un présent éternel. Parler musique ne suffit pas à la déloger de la tyrannie de la langue à laquelle elle a à faire, et elle consentira avec surprise à ma proposition de me faire découvrir ce qu’elle écoute. Dès lors les séances au CPCT se passeront en musique, et elle choisira en séance les morceaux parmi les nombreux disques qu’elle amène. Se faire partenaire de l’objet disque et s’immiscer dans le circuit de sa jouissance autiste du son, permit une accroche à ce qui touchait son corps comme vivant, affecté. Pour qu’elle puisse s’arrimer à un Autre à partir duquel quelques déplacements et constructions seront possibles, il a fallu accueillir l’impossible à dire radical et répondre avec la joie sonore du signifiant. Elle tient à l’objet disque qu’elle me prête comme au beau stylo qu’elle va s’acheter en sortant du CPCT pour renouer avec l’écriture. Le fond musical se fait moins sonore, elle fera de certains morceaux de son passé narration et commencera quelques circuits à partir du CPCT.
Adeline est sensible à la présence d’un autre qui l’attend, l’accueille et coupe le refrain de ses bonnes intentions avant qu’il ne se retourne et l’accable en impératifs et pensées négatives. Elle parvient à présent à lutter contre ses pensées qui ordonnent et ses rituels remplissent tout son temps.
Quelques mois plus tard, elle consentira à ma proposition d’intégrer un hôpital de jour, après lui avoir donné mon numéro de téléphone et avec l’assurance prise de venir au CPCT le temps qui lui sera nécessaire, ce qu’elle fera. Elle se lève tous les matins, et participe avec d’autres à des ateliers. Adeline reviendra chaque fois à un an d’intervalle me rencontrer au CPCT. Elle vient me présenter son mari et m’informer de l’arrêt de son suivi à l’hôpital de jour. L’angoisse a cédé suffisamment pour qu’elle puisse sortir : promenades, photos, dessins, textes qu’elle a mis en ligne et partage avec d’autres sur un site Américain.
Adeline a retrouvé un certain usage de son corps dans le lien à l’Autre grâce au transfert toujours hors norme que le dispositif du CPCT permet.