Comment tenter de saisir une part de jouissance non négativable au risque d’exclure le sujet ?
Là où était l’exploit sera aujourd’hui la performance. Delphine Jézéquel nous emmène ici vers le corps parlant, Rio et le Congrès de l’AMP. Courons avec elle.
Les performances de Chris Froome lors du dernier Tour de France font l’objet de soupçons. Sa montée fulgurante, le 14 juillet dans les Pyrénées, vient rappeler celle effectuée en 2013 sur les pentes du Mont-Ventoux : les chiffres indiquaient une ascension avalée en 48 minutes et 35 secondes, à deux secondes du record de Lance Armstrong en 2000. « Alors que son rythme cardiaque n’a jamais dépassé les 165 pulsations par minute tout au long des 15,9 km à 8,6 % de pente moyenne, sa vitesse passe ainsi de 19km/h à 30km/h en quatre secondes […] la puissance développée s’établissant à 600 watts »[1]. Frédéric Grappe, docteur en biomécanique et physiologie du sport s’insurge contre ces raccourcis chiffrés[2].
Les commentaires douteux de Jalabert et Vasseur sur France Télévision, relancent la suspicion de dopage. Froome en est victime : bras d’honneur, crachats, injures, jet d’urine. Le 18 juillet, six vélos sont démontés. Les pédaliers sont inspectés à l’aide d’une caméra : des contrôles inopinés pour détecter une éventuelle tricherie mécanique. Le dopage chimique reste très surveillé. Depuis le 1er janvier 2015, le nouveau code mondial antidopage autorise à contrôler tout sportif, en tous lieux, en tous moments. L’Agence française de lutte contre le dopage et la Fondation Antidopage du Cyclisme affirment leur coopération dans un communiqué commun : « Il s’agira d’adopter une approche globale, afin de maximiser l’efficacité du système de contrôle, notamment à travers des contrôles ciblés au début de la compétition – en particulier grâce à l’échange de données lié à la localisation des coureurs – ainsi qu’à l’échange d’informations relatif au passeport biologique ». Jacques-Alain Miller avertit qu’il y a une part de jouissance qui ne répond pas à l’interdit, « à qui la négation ça ne fait rien du tout »[3]. Cet illimité pousse les instances vers le zéro dopage. Or ces contraintes draconiennes favorisent d’autres dépassements de limites. L’utilisation des nanotechnologies touche les corps insidieusement, le piratage informatique s’invite. Des données statistiques personnelles de Froome (fréquence de pédalage, puissance et rythme cardiaques…), provenant d’un capteur placé dans le pédalier, ont été dérobées. Initialement prévu pour établir le programme d’entraînement, le manager de Sky en indique le nouvel usage : « Pour convaincre les sceptiques que Chris ne se dope pas, les datas, c’est essentiel ». Pourtant, le 5 octobre 2013 à Rennes, le Professeur Klein, physicien des particules et ultra-trailer, témoignait que « mettre son corps en mouvement de manière extrême provoque une métamorphose temporaire du cerveau, comparable à l’effet d’une drogue […] il explique comment la douleur physique se dompte par la pensée, qui parvient à maîtriser le corps en vue de lui faire accomplir des exploits »[4].
Ces cérémonies protocolaires, d’accumulation de données et de contrôle, ne tentent-elles pas de saisir la jouissance non négativable propre à notre époque, au risque d’« éjecter le sujet, menacé de sortir du système »[5] ?
[1] http://www.sports.fr/cyclisme/tour-de-france/articles/froome-des-chiffres-qui-sement-le-trouble-1283944/
[2]http://m.20minutes.fr/lyon/1654235-tour-france-frederic-grappe-reportage-stade-2-pure-escroquerie-scientifique
[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 9 février 2011, inédit.
[4] http://campuspsy-vlb.blogspot.fr/ Nouvelles pratiques du corps, entre désir et droit
[5] Laurent É., «Insistance des protocoles, persistance du désir», Forum CampusPsy, Rennes, 3 octobre 2015.