Dans le cas de Mme U., en quoi notre intervention au CPCT se différencie-t-elle de la magie ou de la religion? Suite au traitement, elle est partie munie de deux signifiants – « croyant » et « à l’ancienne » – qui lui ont permis de tracer un espace libéré de la jouissance obscène de l’Autre.
Sous transfert, Mme U. a pu confier son délire et, en même temps, non pas obtenir un savoir – dont elle disposait déjà – mais trouver une solution pragmatique à son rapport avec les hommes.
Ce qui ne va pas
Mme U. arrive au CPCT parce qu’elle veut connaître les raisons de ses difficultés dans les rencontres amoureuses.
Lors de la première séance du traitement, Mme U. donne déjà sa réponse. Elle rattache sa peur des hommes à celle qu’elle éprouvait pour sa mère. Elle était son bouc émissaire, la proie de sa colère. De son père, elle dit que, selon sa mère, il était un homme violent et qu’elle ne l’a pas beaucoup connu.
Menacée par le désir masculin, elle affirme que les hommes sont des « prédateurs ». Elle préfère les amours platoniques – dérobade de la question phallique – avec des amis homosexuels. Elle « croit toujours » au Prince Charmant.
Croyance et délire
Elle évoque une enfance joyeuse avec une grand-mère pieuse. Je lui dis : « Ah, elle était croyante aussi ». Cette intervention – par la manière dont cet « aussi » a été entendu – aura l’effet transférentiel inattendu de me faire entrer dans une communauté des croyants auxquels elle peut confier ce qui lui arrive depuis une vingtaine d’années.
Le déclenchement, qui eut lieu à ses trente-trois ans, correspond à des coordonnées classiques. Au moment de la naissance de son fils, de la séparation d’avec le père de celui-ci et de la rencontre avec son propre père, « c’était l’horreur » : des bruits dans son appartement, la jalousie des collègues lui ont fait perdre son poste. Depuis, elle n’a plus eu de travail stable. Encore maintenant, il y a des irruptions chez elle, elle trouve des signes de franc-maçonnerie, on lui fait des marques sur sa boîte à lettres…
Elle n’en avait pas parlé de crainte qu’on la prenne pour une folle. Au long de ces années, elle s’était déjà adressée à des curés et des gourous pour solliciter de l’aide.
Lorsque son délire se déployait au milieu du traitement et que j’y étais convoquée dans le transfert, il me fallait tenir une position délicate : celle de ne pas reculer, tout en restant très attentive à éviter la pente interprétative.
Objet de la jouissance de l’Autre
C’est ainsi que Mme U. reprend le sujet des difficultés avec les hommes. Après quelque temps de relation avec un partenaire, elle se dit : « on a déjà trop touché mon corps », « certaines parties ».
Il y avait quelque chose de « malsain » chez sa mère dont elle a évité le contact physique depuis l’enfance.
Cela fait retour actuellement dans son travail. Ses collègues font des commentaires sexuels, se touchent et la regardent d’une manière obscène. Il y aurait « quelque chose d’incestueux » chez elles.
Deux interventions
J’ai fait le pari de réintroduire un peu de semblant en lui demandant, à chaque fois, si ça allait. Ce qui a rendu sa parole plus légère, plus attachée à des questions de la vie quotidienne.
Se plaignant de la manière négligente avec laquelle des curés ont traité l’apparition des objets de sorcellerie dans une église, elle dit qu’elle n’est pas d’accord avec ces curés « trop modernes ». « Ah ! », lui dis-je, « vous êtes plutôt à l’ancienne ».
Des effets qui se précipitent à la fin
Elle dit qu’elle va mieux, elle est centrée sur des activités qui lui plaisent, telles que la vente d’antiquités. Elle décide d’en faire son métier.
Elle est allée rendre visite à sa sœur qu’elle ne voyait plus depuis quinze ans. Elles n’ont pas discuté de leur histoire, elles ont visité la ville. Sa mère est venue les rejoindre, et cette fois-ci, elle est « restée à sa place ». L’Autre maternel décomplété de sa jouissance, trouve sa place. Elle décide de continuer à voir sa famille avec qui ça se passe mieux.
Elle a rencontré un homme exceptionnel qui « fait le bien autour de lui ». Il est homosexuel, travaille dans un marché aux puces et il est « croyant » lui aussi. Elle découvre en lui quelqu’un capable de prendre soin d’elle, ce à quoi elle n’était pas habituée.
Dans sa dernière séance, Mme U. parle d’une invitation qu’elle a reçue par courrier de la part de cet ami. Elle dit : « il est aussi à l’ancienne » et remarque à quel point elle apprécie ses « petits gestes attentionnés et désuets ». Je souligne ses dires : « à l’ancienne » et « petits gestes attentionnés et désuets » et les sanctionne comme des trouvailles. Elle n’a rien à ajouter. Elle me remercie et part, émue.
Conclusion
Mme U. a rencontré au CPCT une « croyante », ce qui a rendu possible qu’elle tisse un lien transférentiel et puisse se saisir de quelques signifiants avec lesquels faire barrière à la jouissance obscène de l’Autre dont elle était la proie.
Parfois, la limite du temps est bienvenue pour précipiter des effets thérapeutiques et garantir, pour certains sujets, la barre chez celui qui les accueille.