Nouvelle Série

Éditorial : La chance d’une rencontre avec un partenaire nouveau

En 1964, Lacan créait dans son école une « section de psychanalyse appliquée » qui soit « en mesure de contribuer à l’expérience psychanalytique »[1]. Aujourd’hui, les trente-trois institutions de la FIPA, s’inscrivant dans les traces de cet acte fondateur, font résonner cette voix. Cependant, la question de la contribution à l’expérience analytique en institution demeure ouverte à notre recherche. En effet, l’institution est, au sens courant, ce qui est établi et fonde le collectif tandis que la psychanalyse est une expérience singulière de parole où vibre le désir d’un sujet dans ce qu’il a de non conformiste, d’irréductible au groupe.

Alors, comment saisir cet étrange paradoxe ?

Les institutions de la FIPA sont en mesure d’accueillir le plus imprévisible d’un sujet car s’y tisse un lien social particulier qui prend en compte la dimension de la jouissance produite par le langage. Une expérience analytique peut s’y introduire, affine à ce mouvement nouant la parole et le corps. S’éprouvant dans l’ordre du discours, elle n’a rien à voir avec une introspection mais tient à la rencontre, pour celle ou celui qui le souhaite, avec un partenaire nouveau. Un praticien auquel sa formation garantit un cheminement suffisant pour ne pas confondre la cause qui l’anime avec l’idéal de santé mentale prôné par la doxa contemporaine. Une chance est alors donnée à celui qui s’adresse à ce praticien d’approcher ce que les protocoles, les programmes prétendant tout expliquer, tout évaluer, tout prévoir, oublient, et qui toujours resurgit : un réel.

Alors que les discours contemporains jouent sur la capacité du signifiant à recouvrir ce réel, il est possible, dans la rencontre avec un partenaire inédit, de produire un savoir sur une souffrance qui insiste. Ainsi la rencontre avec un praticien en institution ne se présente pas comme paradoxale pour un sujet lorsqu’elle lui permet de mettre en question un désir. Si le désir objecte à ce qui vaut pour tous, c’est qu’il plonge ses racines dans une dimension de l’expérience que méconnaissent les discours contemporains, tout occupés qu’ils sont à produire « du sens à plein tuyau »[2]. En cela, la pratique analytique en extension contribue à apporter le discernement nécessaire pour naviguer dans l’époque et ses énigmes.

Un horizon visé par cette prochaine journée de la FIPA, le 14 mars 2020 à Lyon.

[1] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 231.

[2] Zuliani É., « Après-coup », L’Hebdo-Blog, n°191, 3 février 2020, publication en ligne (www.hebdo-blog.fr).

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Éditorial : Cerner la jouissance

Déjà des bois épais qui cernent les remparts La vaste profondeur cache vos étendards.[1]

Constater, border, localiser, circonscrire, serrer, délimiter, faire résonner… sont autant de manières pour tenter de dire ce qu’il en est de la jouissance dans l’expérience analytique. Si maints circuits du sens sont nécessaires dans une analyse pour la mobiliser par l’interprétation, Lacan a mis en évidence le versant joui-sens du symptôme. C’est pourquoi, dit Jacques-Alain Miller, l’analyse « au temps de l’outrepasse […] devient […] un sevrage de sens » [2]. D’autant que « la nature de la jouissance, ajoute-t-il, [est] de résister au sens », car il y a « une jouissance qui tient au corps » [3]. Celle-ci est non mobilisable par le signifiant, mais opaque, hors sens.

C’est une substance impossible à négativer, telle que Lacan en parle dans L’Envers de la psychanalyse : avec la jouissance, dit-il, ça commence « à la chatouille et ça finit [toujours] par la flambée à l’essence » [4]. Il la compare au tonneau des Danaïdes : « une fois qu’on y entre, on ne sait pas jusqu’où ça va » [5]. Pour autant, « Il ne faut pas s’imaginer que le hors-sens, c’est la nuit noire. » [6]

Dans son cours « L’Un-tout-seul », J.-A. Miller propose de trouver un terme qui convienne mieux pour appréhender ce versant hors sens de la jouissance que celui d’interpréter qui, lui, appartient au registre du désir. Interpréter le désir c’est « le faire être » [7], dit-il, et en cela l’interprétation est créationniste ; elle est de l’ordre d’une ontologie. Dès lors, comment situer la jouissance qui outrepasse cette ontologie ? « Là, vous devez vous désister de toute intention créationniste, avance J.-A. Miller, et vous faire plus humble. Interpréter les termes qui, ici, défaillent. Il faudrait y substituer quelque chose comme cerner, constater. » [8]

Lacan a proposé différentes modalités d’action de l’analyste, qui mobilisent sa présence de corps, autres que celle de l’interprétation prise comme révélation d’un sens caché. L’acte, la coupure, l’allusion, l’équivoque, l’interprétation-jaculation, visent dans la direction de la cure la réduction a minima de la connexion entre sens et jouissance, la manière dont celle-ci a laissé une empreinte première sur le corps du sujet. Au fil de son enseignement, Lacan révise la doctrine de l’interprétation en tenant compte du fait qu’« Au regard du réel, la fiction est une vérité menteuse. » [9] La lecture du symptôme s’en trouve renouvelée, vers « une pratique qui vise au serrage du réel du symptôme » [10]. Ce numéro de L’Hebdo-blog propose d’en saisir la portée.

[1] Viennet J.-P.-G., Clovis, 1820, acte III, scène 10, disponible sur internet.

[2] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 25 mai 2011, inédit.

[3] Ibid.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 83.

[5] Ibid.

[6] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », op. cit.

[7] Ibid., leçon du 11 mai 2011.

[8] Ibid.

[9] Ibid., leçon du 25 mai 2011.

[10] Ibid.

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