Événements

Lacan vivant !

Ceux qui n’ont pas eu la chance d’être là lundi soir[1] ont vraiment manqué quelque chose : les auteures du livre Être mère nous ont présenté, chacune, ce qu’elles nous ont transmis dans ce joli volume. Comme nous le dit Christiane Alberti, qui l’a dirigé, la mère ne tient son être que du langage, en tant qu’être parlant. Les contradictions du désir de maternité se présentent tous les jours dans la clinique et font symptôme. Les chapitres du livre, présentés par ses auteures, traitent des symptômes contemporains de la maternité, de la demande illimitée d’enfant faite à la science jusqu’au déni de grossesse et l’infanticide. À entendre ce qui se dit dans une analyse, on pourra s’orienter dans les mutations contemporaines, du côté de l’analyste, et s’en rendre responsable, du côté analysant. Et il n’est pas besoin d’être une femme pour avoir des fantasmes de maternité ! Alors, qu’est-ce qu’une mère? Quand elle y parvient, c’est quelqu’un qui aide un enfant à se séparer d’elle, à être nommé par un désir qui ne soit pas anonyme. Mais la souffrance maternelle, très répandue, témoigne d’une expérience subjective difficile à décrire. Si l’on pensait que La femme n’existe pas, puisque chacune fait objection à l’universel, mais que La mère existe, nos collègues nous ont montré qu’il n’y a pas de savoir sur la maternité comme mode d’emploi. À chacune la possibilité de pouvoir l’inventer dans une analyse. Le débat, dans l’intimité de la Librairie Tschann, avec un public attentif, nous a apporté des surprises. Une sage-femme a témoigné de combien les instruments qu’elle trouve chez Lacan l’aident à entendre ces femmes qu’elle aide à accoucher. « Lacan est vivant », dit-elle, contente d’échanger avec des psychanalystes. Une autre participante a voulu savoir pourquoi on parle toujours de certains concepts, dans un monde complètement changé. Nos collègues lui ont démontré, sur place, l’opérativité des concepts du dernier Lacan dans l’actualité. C’est ce que chacun aura à vérifier dans la lecture de ce volume qui s’annonce passionnante !

[1] Le lundi 19 janvier 2015 s’est tenue à la Librairie Tschann, 126 boulevard du Montparnasse à Paris, une rencontre autour du livre « Être mère – Des femmes psychanalystes parlent de la maternité», sous la direction de C. Alberti, avec les contributions de Agnès Aflalo, Francesca Biagi-Chai, Marie-Hélène Brousse, Carole Dewambrechies-La Sagna, Dominique Laurent, Anaëlle Lebovits-Quenehen, Esthela Solano-Suárez et Rose-Paule Vinciguerra, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2014, en présence des auteures.

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De la fascination à la parole

Lors de la soirée des AE qui s’est tenue le 13 janvier 2015 au local de l’École sur le thème de l’année consacrée à « L’adoration du corps », Bruno de Halleux a introduit la question de l’imaginaire et du corps. « Le parlêtre adore son corps, parce qu’il croit qu’il l’a »[1], annonçait-il dans son argument.

Chaque AE[2] a donné sa version de l’impact de l’image dans le corps et a précisé comment il s’en était défait, à la fin de l’analyse.

En effet, celle-ci a permis de se détacher de la captation propre au fantasme, et pour chaque AE ce moment s’est présenté comme une dissolution du fantasme dans l’analyse. Pour les uns, le fantasme se traverse comme une longue marche où se défait, petit à petit, la fiction qui tenait l’image du corps et en voilait le trou. Pour d’autres, cette traversée s’est produite avec l’interprétation de l’analyste qui a fait voler en éclats l’identification qui soutenait le sujet dans sa position d’être, et masquait le réel du corps. Dès lors, qu’en est-il de l’image, une fois le fantasme traversé ? Où passe la fascination de sa propre image, et comment fait-on pour qu’elle ne s’impose plus dans sa dimension de leurre ? Comment vit-on sans le support du croque-mort  (Bernard Porcheret), de la femme implorante (Marie-Hélène Blancard), de la femme avortée (Michèle Elbaz), de la femme tombée (Danièle Lacadée-Labro) et de l’homme aspiré par le regard (Bruno de Halleux) ?

L’image a un effet de fascination. Chaque texte en a témoigné. Ce signifiant de fascination provoque leurre, aveuglement, et il marque la puissance de l’image dans le psychisme, sa puissance d’inertie et de mortification. Dans les témoignages des AE, nous voyons à quel point sa prégnance a été l’objet d’une image qui s’impose comme déchet, ou comme image chutée, mortifiée, éperdue ou captatrice du corps féminin. Elle fait fixation de jouissance. Elle cristallise le point à partir duquel le sujet supporte son être. Mais l’image ne fait pas trou. Elle permet au contraire de tenir le corps, et dans chaque texte, nous retrouvons la trace de sa fonction et de sa participation à faire fascinum, donnant au regard sa valeur d’objet a, cause de la sidération. Qu’elle soit tordue, incertaine, illusoire, marquée d’un moins, floutée, défaite, elle tient le sujet par le biais du fantasme mais pas seulement. La fascination emprisonne l’image jusqu’à son point d’horreur, elle peut même traverser les frontières, se délocaliser comme nous le montre les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher perpétrés le mercredi 7 janvier 2015.

Pascal Quignard, interviewé à l’occasion de la sortie de son livre Le sexe et l’effroi, en 1994, indiquait que « les Romains appelaient fascinus ce que les Grecs nommaient phallos. Du sexe masculin dressé, c’est-à-dire du fascinus, dérive le mot de fascination, c’est-à-dire la pétrification qui s’empare des animaux et des hommes devant une angoisse insoutenable. »[3] Quelque lignes plus loin, il souligne que « les fascies sont les faisceaux de soldats qui précédaient les Triomphes des imperator. De là découle également le mot fascisme, qui traduit cette esthétique de l’effroi et de la fascination. »

Saluons dans les travaux des AE, cette mise en pièces de la fascination, cette dissolution de l’image par la traversée du fantasme, cette ouverture à la parole, la parole qui transmet la singularité de chacun, cette parole joyeuse qui parfois nous tombe dessus, comme lors de cette soirée des AE du 13 janvier 2015…

[1] Lacan J., Le séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 66. [2] Nous avons entendu les exposés de Bernard Porcheret, Marie-Hélène Blancard, Michèle Elbaz, Danièle Lacadée-Labro et Bruno de Halleux. La soirée était animée par Hélène Bonnaud. [3] http://www.gallimard.fr/catalog/entretiens/01025213.htm

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« Cherchez la femme »

Annonce du Café Psychanalyse du 23 janvier 2015*

Depuis six saisons les Cafés Psychanalyse en ACF Île de France ont pour principe d’offrir au grand public aux côtés des cliniciens et amis de la psychanalyse des formes variées de débats. Cela peut être l’invitation d’un psychanalyste auteur d’un ouvrage récemment paru et touchant à l’actualité du malaise dans la civilisation. Cela peut être un débat sur un thème plus étendu avec la participation de plusieurs invités. Ou encore un débat avec un psychanalyste invité et les comédiens et le metteur en scène après une représentation théâtrale sur un thème inspiré par le spectacle. Cela peut aussi être un débat avec plusieurs invités autour d’un film projeté dont le thème n’est pas sans rapport avec le sujet des ouvrages dont les invités sont les auteurs.

Le trait commun entre toutes ces formes de débats c’est qu’il s’agit d’un exercice d’improvisation auquel se prêtent les invités ce qui facilite les surprises et les bonnes rencontres, dixit les échos recueillis du public !

« Traditionnellement, l’éducation des petites filles ne vise qu’un seul objectif : en faire des femmes, de bonnes épouses, de bonnes mères, de bonnes ménagères. Tout ce qui n’a pas trait à cet apprentissage est considéré comme jeu de garçon », ainsi se présente l’écriture, sur fond de tableau noir d’école, du répartitoire des sexes dans la brochure du Théâtre de Châtillon annonçant la représentation du spectacle Modèles mis en scène par Pauline Bureau et interprété par la Compagnie la Part des Anges.

Sur une proposition de François Regnault, nous avons retenu « Cherchez la femme » comme thème pour le débat du Café Psychanalyse qui fera suite à la représentation de Modèles et ce en écho à la question posée par la dramaturgie : qu’est-ce que c’est être une femme en 2015 ? Dominique Miller qui a écrit sur la place de la psychanalyse dans la civilisation d’aujourd’hui et son rapport à la vie, en tant qu’invitée, nous accompagnera dans le débat avec les artistes et le public.

Sont-elles finies les modélisations signifiantes binaires, réduites au plus simple, pour ce qu’il en est des identifications féminines ou masculines qui ont orienté de si nombreuses générations d’enfants, jusqu’aux révolutions soixante-huitardes ? Sont-ils finis le rose pour les filles et le bleu pour les garçons ? Sont-ils finis les jouets formatés, les poupées mannequins et tous leurs accessoires « féminins » ou les appareils ménagers miniaturisés pour les filles futures femmes et ménagères, les pistolets ou les épées ou les « mécanos » pour les garçons futurs guerriers ou entrepreneurs ? Aujourd’hui tous les goûts et les couleurs sont disponibles sur le marché des objets et sont proposés à grands renforts de pubs aux enfants sans distinction de sexes à l’aune des objets adultes. La révolution des consoles de jeux et des jeux vidéo accessibles à tous est à ce titre paradigmatique du gommage progressif de l’ordre générationnel qui permettait jusque-là de s’orienter dans l’avenir : quand je serai grand je ferai ceci ou cela ou encore mieux, quand je serai grand je ne ferai pas comme les parents !

Au temps de la modélisation binaire, les choix identificatoires pouvaient se faire sur le mode de la transgression ou de l’opposition à la norme imposée. Quand le « tout est possible » devient la norme imposée, comment peut s’opérer sa transgression ou son opposition pour se savoir devenir sujet femme ou homme singulier ?...

Dans son spectacle, Pauline Bureau nous propose un tissage de différents textes émanant d’auteurs comme Pierre Bourdieu ou Marie Darrieussecq ou Virginie Despentes ou Marguerite Duras ou Catherine Millet ou encore Virginia Woolf. A ce patchwork littéraire, Dominique Miller ajoutera sa lecture psychanalytique.

La soirée s’annonce d’ores et déjà prometteuse d’un débat vif branché sur l’actualité du malaise de la civilisation. Elle se tiendra le vendredi 23 janvier 2015 à partir de 20h30 au Théâtre de Châtillon : à 20h30 représentation de Modèles mis en scène par Pauline Bureau et à 22h30 le débat avec Dominique Miller, François Regnault, les artistes et le public. Venez nombreux.

Les places étant numérotées, il est recommandé de réserver celles-ci auprès de la billetterie du Théâtre de Châtillon, soit par téléphone au 01 55 48 06 90 ou par mail à billetterie@theatreachatillon.com

Vous pouvez aussi visiter le site du Théâtre sur www.theatreachatillon.com pour toutes les informations sur le lieu et les moyens de vous y rendre.

*José Rambeau - responsable des Cafés Psychanalyse

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Quand l’équilibre se rompt

Les nouvelles formes de la famille opèrent des déplacements, des pluralisations, des décompositions qui peuvent rompre avec l’arrangement classique du noyau structural de la famille œdipienne. Une place est à faire à ce qui ne va pas pour des sujets singuliers dans leurs symptômes, considérés au un par un dans le malaise qui leur est spécifique. Le discours analytique porté au CPCT le permet. Tel est notre pari.

Le signifiant « crise » renvoie à un moment critique où les choses basculent. Nous la considérerons comme étant un des signifiants-maîtres de notre temps et comme une façon de nommer un réel. Cette conception permet d’envisager la crise sous un autre angle : non pas l’éviter mais la prendre pour un indice du réel que le sujet a à apprivoiser. Par le passage au CPCT, dont le temps court est inhérent au dispositif même, une coupure pourrait-elle advenir afin de libérer – un peu tout au moins – le sujet des prisons de sa jouissance[1] pour reprendre l’heureuse expression de Jacques-Alain Miller ?

Hanna : « un combiné de deux vies »

Hanna, trente-quatre ans, se présente à cette première rencontre de façon plutôt réservée et distante. Elle vit en couple avec son époux depuis quinze ans et est enceinte de quatre mois de son troisième enfant. Elle se dit « agitée » et « paralysée par des sentiments contradictoires ». Elle en livre la cause déterminante : depuis trois ans, elle entretient en parallèle une relation amoureuse et suivie avec une femme tout en ayant toujours du désir pour son mari, précise-t-elle. Hanna maintient un équilibre psychique avec ce qu’elle nomme un « combiné de deux vies », sa vie familiale avec son mari et ses enfants et sa relation à sa maîtresse. Ce choix impossible ne la divise aucunement. Elle s’accommode tout à fait de cet agencement familial. Hanna ne remet pas non plus en cause sa position sexuée : être hétérosexuelle ou homosexuelle n’est pas sa question. Bien au contraire, elle maintient jusqu’alors adroitement une certaine homéostasie de son choix de jouissance.

La crise qui la bouleverse advient sans crier gare. Hanna, « chargée » subjectivement, ressent « un manque » insupportable : sa maîtresse se montre de plus en plus distante à son égard. La rupture s’annoncerait : son amie est amoureuse d’une autre femme. Nous faisons l’hypothèse que la dimension d’identification imaginaire à son amoureuse qui la soutenait jusqu’alors vole en éclats. Reprenons la déclinaison logique du tryptique familial :

  • Elle aime son mari de qui elle attend un enfant tout à fait désiré.
  • Elle fréquente parallèlement et en secret une autre femme depuis trois ans.
  • Cette femme aime une autre femme et repousse sexuellement Hanna qui redoute fortement une rupture imminente.

Hanna et son amie ont un projet professionnel « commun » en cours. Nous intervenons : « C’est comme votre enfant à vous deux en quelque sorte » et levons la consultation par une décision d’entrée au CPCT.

Comment réaménager sa jouissance face à cet équilibre familial en crise ? Hanna aurait-elle jusque-là tenu dans sa famille grâce à la structuration œdipienne par des identifications conformistes à l’épouse et à la mère jusqu’à cette rencontre extra-conjugale ? Cette rupture amoureuse aurait-elle fait voler en éclats son équilibre psychique, ce qui la pousse à venir consulter au CPCT ? Pour Hanna, nous ferons l’hypothèse que le sentiment de vie est atteint par cette rupture amoureuse qui la confronte à « la faillite[2] » de l’amour comme l’indique Lacan en 75 en parlant du sujet psychotique. Cet habillage de « vies combinées » maintenait un rapport à l’imaginaire qui, se dénudant, la fait chavirer. Sa croyance au rapport sexuel et en La femme est démontée. La crise de la famille n’est que semblant, apparence. Dévoilerait-elle une faille plus à vif créée par ce véritable laissé en plan de l’aimée ? Son traitement au CPCT peut s’entrevoir comme une brèche dans ce nouveau temps qui surgit pour elle alors que l’équilibre imaginaire qui cadrait jusque-là son réel vacille. Hanna s’en saisira-t-elle ? Ici encore, seul le traitement ultérieur le prouvera.

Miser sur la singularité

Face à la loi symbolique traditionnelle de la famille, Hanna affirme sa singularité. Elle use des semblants conformistes des liens familiaux pour recouvrir un amour illimité et ravageant qui bouleverse son sentiment de vie. En cela, elle objecte au programme conformiste papa-maman-enfant. Elle nous enseigne que l’universel ne réglera jamais ces questions de familles en crise et que la jouissance, dans sa particularité la plus opaque, s’infiltre comme protestation contre l’idéal. À ce titre, Hanna ne nous indique-elle pas que la famille a son origine dans le malentendu et la rencontre impossible ? Mieux vaut alors ne pas reculer devant la crise, autre nom du réel.

[1] Miller J.-A., « Les prisons de la jouissance », la Cause freudienne, Paris, Navarin, septembre 2008, n° 69, p. 113-123. [2] Lacan J., « Conférences et entretiens dans les universités nord-américaines », Scilicet, n° 6/7, Paris, Seuil, 1976, p. 16.

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Tours et dessous de la demande au CPCT-Paris avec Hélène Bonnaud

Demande, pulsion et fantasme : diverses modalités de l’objet en psychanalyse, le thème des travaux de cette année au CPCT est ambitieux. Pour le concevoir, nous sommes partis de la pulsion. Et de cette phrase de Jacques-Alain Miller « la pulsion est une demande, une demande que l’on ne peut pas refuser […] c’est une exigence du corps »[1].

Quand J.-A. Miller trouve cette formule heureuse, il le fait en subvertissant une réplique célèbre du Parrain de Francis Ford Coppola : celui qui fait à ses ennemis des offres qu’ils ne peuvent pas refuser, c’est Vito Corleone, interprété par Marlon Brando. Difficile de refuser en effet quand on vous presse un révolver sur la tempe. La phrase agit dans le film comme une ritournelle, car après le père, Vito, c’est le fils, Michael, qui va faire des offres qu’on ne peut pas refuser. En tout état de cause, voilà une formule dont on peut se saisir pour évoquer la pulsion, cette exigence du corps.

Or le corps, c’est la question avec laquelle Lacan a, en partie, débuté. On songe notamment à son texte de 1949, « Le Stade du miroir comme formateur de la fonction du Je ». Avec ce texte, et l’invention du registre de l’imaginaire, Lacan est entré dans la psychanalyse. On l’a parfois oublié en raison de l’importance qu’il a donnée ensuite au registre du symbolique. Mais à la fin de son enseignement, Lacan a repris le corps en relation avec le registre du réel cette fois.

Ainsi, en centrant les travaux de cette année sur la pulsion, le CPCT-Paris propose, en quelque sorte, un retour aux fondamentaux de la psychanalyse.

Mais comme le rappelle la formule de J.-A. Miller, la pulsion est d’abord une demande. Le 6 décembre, nous avons évoqué la demande consciente, parlée. Le 14 mars, dans notre prochain rendez-vous consacré à la pulsion, il ne s’agira pas du tout de la même demande car la pulsion est la manifestation d’un « sujet acéphale », comme le dit Lacan. Et dans l’acéphalité, le sujet disparaît et sa demande comme demande parlée s’évanouit aussi.

Au CPCT-Paris, consultants et praticiens interrogent constamment ce concept de demande. Les cas cliniques et la table ronde organisés le 6 décembre furent l’occasion de le démontrer. La consultation, première mise en forme de la demande, est aussi, pour nombre de patients qui s’adressent au CPCT, le tout premier moment de rencontre avec le dispositif analytique. Or le fonctionnement très particulier du CPCT influe énormément sur les demandes qui lui sont adressées. Le cadre des seize séances, d’emblée, infléchit la cure ; le patient ne peut revisiter l’ensemble de sa vie au CPCT, il va aborder un point – ou deux – pour le traiter avec l’analyste. Comme nous l’a rappelé Hélène Bonnaud, Lacan, dans « La Direction de la cure », distinguait la demande implicite (être guéri, révélé à soi-même) d’une demande radicale, celle qui ouvre jusqu’au tréfonds de la première enfance, une demande « sans filet ». Comment, dans le cadre d’un traitement court, en seize séances, répondre à la demande qui nous est faite, et comment, surtout, ne pas tout ouvrir jusqu’au tréfonds de la première enfance ?

Par ailleurs, si aucun des cas ou vignettes présentés le 6 décembre n’abordait directement la question de la gratuité, celle-ci est constamment présente en coulisses. Certes, le traitement est gratuit, mais au CPCT, nous demandons quelque chose… et cela se manifeste notamment dans les cas où le patient consulte sur injonction thérapeutique.

L’après-midi du 6 décembre fut justement l’occasion de revenir sur ce qu’H. Bonnaud a appelé les « demandes indirectes », problématiques en soi car, pour se soigner, et encore plus pour s’analyser, il faut le vouloir. « Dans l’injonction thérapeutique, disait H. Bonnaud, il y a un Autre de la demande qui se détache du sujet. La question est de savoir si le sujet va la prendre à son compte, la subjectiver pour la faire sienne, ou pas ». Pour le dire autrement, si la demande indirecte « infantilise », elle « n’est pas une demande qui n’intéresse pas l’analyste. Elle est au contraire à entendre dans la façon dont elle est interprétée par le sujet qui s’en fait le destinataire ».

La psychanalyse d’enfants en est un autre exemple. « Là, l’injonction vient soit du monde scolaire ou éducatif et social, soit de la famille. L’enfant soumis à la demande d’un Autre ne peut parfois pas être sujet de sa demande. Les entretiens préliminaires permettent de saisir sa place et de repérer la façon dont la parole de l’enfant peut ou pas se saisir d’un signifiant qui le nomme, un S1 qui vient tout à coup le faire sujet de sa parole. »

La consultation serait donc l’instant de voir, une première rencontre avec un psychanalyste où s’exprime (ou non) une demande sur laquelle le consultant va parier pour le traitement. Car il s’agit bien d’une affaire de pari : pour le dire avec H. Bonnaud, « le principe de la consultation est de faire le pari sur le fait que la demande qui nous est faite va pouvoir opérer par le signifiant ». Pour autant, la demande exprimée en consultation n’est pas figée. Elle peut dévoiler un dessous. Car il y a des occasions où une demande se révèle, finalement, en cacher une autre.

Enfin, et surtout, la demande peut faire des tours. Pour nous aider à visualiser l’articulation de la demande (consciente) et du désir (inconscient), Lacan a employé le tore, une figure géométrique composée d’un tube courbe refermé sur lui-même.

À l’intérieur du tore circulent les objets de la demande. Et la demande, à la surface du tore, tourne autour de ces objets, s’efforce de les cerner. La boucle de la demande se répète, elle tourne. Et en tournant, elle avance. Progressivement, donc, la demande, en faisant des tours, en avançant comme une spirale, dessine un trou au centre du tore. Et c’est dans ce trou que Lacan va situer un autre objet qui n’est pas un objet de la demande. Il s’agit de l’objet a, l’objet cause du désir. Un objet dont on ne peut prendre la mesure qu’en faisant une analyse.

Certes, au CPCT, les patients ne font-ils pas une analyse. Pour autant, notre orientation y est analytique. Car nous parions que la demande du sujet peut, même dans un temps limité, celui de nos fameuses seize séances, se dévoiler et faire quelques tours.

[1] Miller J.-A., « L’économie de la jouissance », La Cause freudienne, Paris, Navarin, n° 77, mars 2011, p. 140.

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La bascule de « Radiophonie »

Écho de la première des « Études lacaniennes » d’Éric Laurent : « Parler lalangue du corps »

En quoi et comment le symbolique tient-il au corps ?

C’est « le moment Radiophonie » qu’examine Éric Laurent lors de la première des huit études freudiennes qu’il consacre, sous le titre : « Parler lalangue du corps », au corps et à sa jouissance au-delà de la pulsion freudienne qui réunissait charge libidinale et représentation dans un mythe fondateur.

Radio Lacan permet de suivre dans leur intégralité les élaborations d’Éric Laurent dont l’intérêt, l’érudition et la précision le disputent à la rigueur du propos, qui culmine dans la mise en valeur des conséquences de la disproportion entre la multiplication des objets de la jouissance et les orifices du corps.

Dans le cadre imparti, que faire d’autre que d’en coudre ensemble quelques pièces ?

Tenant le fil rouge tendu par la conférence de Jacques-Alain Miller « L’inconscient et le corps parlant »[1], il s’approche du point de réel, du mystère de « l’union de la parole et du corps » dans la perspective de « l’analyse du parlêtre ». « Radiophonie » franchit un seuil, produit une bascule dans l’examen des rapports entre structure et corps, dans la considération de la manière dont le signifiant touche le corps.

Lors de cette première séance, É. Laurent fait valoir l’importance de ce « moment » dans l’élaboration de Lacan. Entre « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », en 1953, qui abordait l’analyse à partir du désir, et « Radiophonie », en 1970, qui met le cap sur la jouissance, un franchissement s’effectue. D’abord appréhendé comme résultat de l’identification imaginaire stabilisée par la saisie à partir d’un point symbolique extérieur, le corps est maintenant situé à partir d’un processus d’incorporation directe du symbolique. Désormais « La structure s’attrape [...] du point où le symbolique prend corps. »[2] Une fois le signifiant incorporé, le corps devient surface et son caractère de vivant ou de mort devient secondaire.

Le symbole n’est plus seulement le meurtre de la chose car une double opération s’effectue : d’un côté le signifiant produit le corps, mais le résultat de l’opération signifiante n’est pas le sens comme ce fut le cas dans le « Rapport de Rome », ce qui résulte alors est la jouissance.

L’opération de désincarnation que produisait la notion de structure avec laquelle rompt « Radiophonie » situait le sens comme effet de surface et de position lié aux déplacements de la case vide et mettait au jour une structure logique, écartant la question des rapports du sujet avec la jouissance. Dans « Radiophonie », le corps devient surface d’inscription de l’effet de surface que supporte l’objet a. Le lieu du corps s’en trouve déplacé dès lors que cet effet ne s’inscrit ni « sur » ni « dans » le corps mais hors-corps. La négativation de la jouissance dans la chair que produit le signifiant « redistribue[r] corps et chair »[3].

La chair est du vivant d’avant l’incorporation de la structure du symbolique alors que le corps comme surface d’inscription où se déploient les effets de surface du jouis-sens lacanien résulte du fait d’avoir « mangé le livre ».

[1] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du Désir, Paris, Navarin Éditeur, n° 88, octobre 2014, p. 104-114. [2] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 408. [3] Ibid., p. 409.

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Les échos du colloque de l’ACF IdF

Le 13 décembre 2014, la municipalité de Bourg-La-Reine a accueilli le colloque organisé par l’ACF Ile-de-France en partenariat avec l’ACF Capa. Lors de cette journée ont été présentés les différents travaux produits par des ateliers en cours dans les deux associations. Par ses scansions tout au long de la journée, Serge Cottet, l’invité fil rouge de cette rencontre, a su dégager les points forts de chaque exposé et faire résonner l’assertion proposée par le titre « ça ne passe pas ! … mais ça insiste » comme étant au cœur de l’orientation lacanienne.

Quatre thématiques ont été choisies pour déplier ce thème : l’adolescence, la précarité symbolique, la création artistique et le sinthome.

Nous nous sommes orientés à partir de ce qui se répète à travers le transfert, ainsi que les effets du signifiant, notamment sur le corps. Plusieurs cas nous ont enseigné que le signifiant qui insiste contient à la fois l’impasse dans laquelle se trouve un sujet aussi bien que sa solution.

Par les échanges avec les artistes, nous avons pu approcher ça ne passe pas, ça insiste comme une traduction du mouvement même de l’inconscient, en écho avec ce que Lacan en dit : « C’est ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire ».

Ce qui ne passe pas, ce qui insiste, c’est la dimension réelle de l’inconscient. Même s’il y a des mots, ça n’a pas passé. Une autre façon d’aborder la formule est de prendre le ça insiste comme une traduction de ça ne passe pas.

Contrairement aux thérapies diverses à la mode et aux injonctions orthopédiques actuelles, notre positionnement n’est pas de faire passer ce qui ne passe pas, mais de travailler à partir de la répétition, d’attraper dans la répétition la manifestation de l’inconscient.

Ce fut aussi l’occasion d’interroger ce qui ne passe pas du côté de l’analyste, son préjugé ainsi que le nomme Lacan, qui le conduit au contrôle pour que le ce qui ne passe pas de son côté ne vienne pas faire écran au ça ne passe pas de l’analysant.

En tout cas, ce fut une belle journée riche d’enseignements. Contrairement à ce qui était annoncé, ça a finalement passé bel et bien trop vite !

(Illustration : Philip Metz)

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Leçons de vie

La délégation Midi-Pyrénées de l’ACF a choisi pour thème d’étude en 2014 : « Qu’est-ce qu’une psychanalyse au XXIe siècle? » Le samedi 13 décembre, une journée de travail avec une invitée exceptionnelle, Anna Aromí, a réuni tout d’abord le Séminaire interne de l’ACF Midi-Pyrénées, puis un public très large et nombreux a écouté la conférence que notre invitée a donnée : « Les psychanalystes au XXIe siècle : où sont-ils? » Le soir, au théâtre, le texte poignant d’Annie Zadek faisait valoir que l’artiste fraie la voie du psychanalyste, lorsqu’on s’oriente de l’enseignement de Lacan.

Marie-Christine Bruyère saisit ici la valeur d’enseignement de cette journée pour l’étude de la psychanalyse et pour la présence de l’École de Lacan dans la cité et dans notre vie quotidienne.

Tel est le titre que je donnerai à la journée du 13 décembre 2014 : la séance du Séminaire interne, la conférence remarquable d’Anna Aromí et le bonheur du théâtre, comme une trilogie de désir.

A. Aromí, psychanalyste à Barcelone, AE de l’ELP, nous a fait l’honneur et l’amitié de sa présence pour animer avec générosité nos travaux.

Apprendre comme étudiant

Le texte de Jacques Lacan « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », publié en 1958, est à l’étude, car il reste d’une actualité indépassable pour le thème du Séminaire interne : « Qu’est-ce qu’une psychanalyse au XXIe siècle ?» Florence Nègre, responsable de ce Séminaire, nous accueille par cette remarque : « Le désir de l’analyste ne se reproduit pas. Il doit être produit pour chacun. » Dominique Hermitte et Victor Rodriguez, par une heureuse contingence, ont choisi, dans ce texte des Écrits, de commenter le cas dit de « l’homme aux cervelles fraîches ». Une orientation s’en indique : le Rien, écrit avec une majuscule[1], est au principe d’une cause, car il permet de saisir la dimension du désir distinguée de celle du besoin et de la demande. Ajoutant ses questions aux nôtres tout en les éclairant de son point de vue, A. Aromí fait référence à Freud avec le texte inédit de son vivant : lEntwurf. Lacan en souligne la valeur d’intuition sur le fondement de la réalité chez l’être parlant. Une éthique s’en dégage : la réalité psychique se fabrique avec du plaisir ! Rien à voir avec une réalité objectivante, dont l’analyste serait le maître. En conclusion de notre matinée une question s’est ouverte, celle du nouage de l’organisme et du langage, de cette rencontre problématique qui fait un corps au parlêtre.

Apprendre comme analysant

Comment mieux le savoir que d’une Analyste de l’École en exercice ? C’est cette leçon qu’A. Aromí, par sa présence décidée debout face au public, nous a donnée dans une conférence qui a engagé sa parole dans le trajet de sa cure et de sa passe. Comment vivre après une mort qui fracasse une fratrie et comment sortir d’un état « mélancoïde »[2], comment se dégager de la pulsion de mort à l’œuvre ? C’est cette expérience qu’elle nous a transmise, ce recours thérapeutique jusqu’à son terme où « se casser la tête » (s’analyser) s’est substitué à se casser les os (des accidents ayant valeur de tentatives de suicides inconscientes). En un mot en un seul, c’est d’un style vivant, guidé par « les tripes du langage » que son témoignage nous a saisis.

Apprendre de lartiste

L’artiste, comme Lacan nous le rappelle, « toujours nous précède ». Comment vivre après les désastres et quand on appartient à une génération réchappée du grand malheur. « Nécessaire et urgent », répond Annie Zadek, il est nécessaire de repérer la contamination du passé dans le présent, urgent de poser les questions qui n’ont pu être adressées. Hubert Colas dans une mise en scène dépouillée, réfléchit le texte de l’auteur qu’il qualifie ainsi : « Il y a dans ce texte une humanité magnifique qui est l’acceptation du départ et le désir de partir pour l’amour de la vie. Il n’y a pas d’effondrement ; il y a une nécessité vivante de prendre la parole et de dire ».

Dire, écrire, fixer la vie pour « se débrouiller avec l’insupportable ».

[1] Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 642 [2] Pour les trois expressions entre guillemets de ce paragraphe, cf. Aromí A., « Les psychanalystes du XXIe siècle : où sont-ils? », conférence publique à Toulouse, organisée par la délégation Midi-Pyrénées de l’ACF, le 13 décembre 2014, inédit. E. Scarone, qui a traduit le texte de cette conférence, a choisi le terme « mélancoïde » pour rester au plus près du signifiant espagnol « melancoide ».

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Un nouveau rendez-vous

Philippe La Sagna et Rodolphe Adam proposent, à partir du lundi 8 décembre, et ce jusqu’en juin, un séminaire d’étude sur le texte des Écrits « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », un rendez-vous par mois, à Bordeaux, rue du Hâ.

1958 est une année cruciale dans l’histoire de la psychanalyse. C’est l’année où Jones, président honoraire de l’IPA, meurt et c’est l’année où Lacan écrit plusieurs de ses textes fondamentaux : « La direction de la cure », « La signification du phallus » et « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine ». C’est ce dernier texte précurseur que nous mettrons à l’étude cette année ; sa brièveté nous permettra de revenir sur les données du « débat des années trente » sur la question de la féminité. Nous examinerons donc les textes de Deutsch, Horney, Klein et quelques autres. Ainsi que ceux qui firent matière au Congrès d’Amsterdam, en 1960, congrès dont le texte de Lacan était l’argument, et qui sont pour la plupart réunis dans la revue La psychanalyse n° 7. Il y a là des textes de Jones, Winnicott, mais aussi de Dolto, Granoff et Perrier. Lacan brise la glace où se trouvait prise, dans la psychanalyse, la question féminine. Et ce à une époque où la vie sexuelle des femmes, depuis, entre autres, Beauvoir et Kinsey, à la veille des années cinquante, faisait irruption dans la culture, juste avant Betty Friedan et sa « Femme mystifiée ». Mad men et Masters of sex nous donnent aujourd’hui une idée de l’atmosphère générale des relations des humains au sexe à cette époque. Loin du « phallocentrisme », dont il sera parfois taxé par la seconde vague du féminisme, après 68, Lacan dans ce texte, dix ans avant l’émergence du womens’lib en France, pose une femme comme hétéros. Autre pour elle-même, et donc, déjà au-delà du phallus. Ce texte préfigure les avancées futures sur la sexuation quantique que nous avions examinées lors de la lecture de « L’étourdit ».

En 1970, Lacan dans le « Liminaire » de Scilicet 2/3, évoquant un travail de Montrelay, pouvait dire que le problème de la sexualité était « resté bloqué depuis que Jones en eut fait pièce à Freud »[1].

Mais le Congrès d’Amsterdam précède aussi l’excommunication de Lacan, ce qui lui fait dire dans ce même texte : « Non sans que m’en revienne l’écho nostalgique de ce qu’un certain congrès d’Amsterdam pour quoi j’avais proposé ce sujet, y ait préféré de prendre le vent d’un fâcheux retour au bercail. »[2] Lacan, faisant pièce à une doctrine de la frustration maternelle comme alpha et oméga des complexes, mettait en avant la sexualité féminine à l’orée des sixties pour mieux penser les avatars du désir en général, celui de la mère y compris. Mais au-delà, la sexualité féminine pose surtout la question mystérieuse des rapports du corps et de la jouissance avec la parole, avec ce qui se dit et ne se dit pas.

[1] Lacan J., « Liminaire », Scilicet 2/3, Paris, Seuil, 1970, p. 6. [2] Ibid.

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Le contrôle sur mesure

Introduite et animée par Patricia Bosquin-Caroz, la soirée de la Commission de la Garantie a porté sur le contrôle sur mesure. Dans son introduction à la soirée, la Présidente de l’ECF a rappelé que si Lacan a réintroduit la dimension du désir dans le contrôle en le dé-standardisant et si L’École ne s’occupe pas du choix du contrôleur, la Commission de la Garantie est responsable de donner le titre d’AME (Analyste membre de l’École). Elle le règlemente, le décide et en fixe les conditions, dont celle de la pratique du contrôle. Les interventions et le débat ont témoigné de l’abord logique et inventif de notre orientation. Il apparut que le contrôle et le désir de l’analyste ont partie liée.

Esthela Solano-Suarez a mis l’accent sur les obstacles au traitement de la jouissance qui s’énoncent lors du contrôle et qui se répartissent selon les axes imaginaire, symbolique et réel. Quand l’imaginaire du sens l’emporte, l’analyste est inhibé dans son acte, il éprouve de l’empathie, de la compréhension pour son patient. Des affects l’embarrassent. La débilité mentale se rapporte à cet obstacle imaginaire. L’obstacle symbolique porte l’analyste à élucubrer du savoir, à faire des constructions. Le contrôle va servir à faire la part des choses entre l’élaboration nécessaire du cas et le délire comme élucubration de savoir sans rapport avec les dits du patient. Il va s’agir de prendre appui sur la lettre afin d’opérer un sevrage du sens, d’isoler, par la coupure, un signifiant tout seul qui ex-siste au sens. L’obstacle du réel est celui du corps de l’analyste qui n’est pas supposé jouir. Il peut arriver que les dits d’un analysant produisent des événements de corps chez l’analyste. L’exemple remarquable donné par E. Solano-Suarez est celui d’un analyste expliquant qu’il ne pouvait pas s’empêcher de parler compulsivement à son analysant. Le contrôle a révélé que ce bavardage était une défense de l’analyste vis-à-vis des objets voix et regard incarnés par deux particularités physionomiques assez discrètes de l’analysant : son léger accent et sa paupière tombante. Grâce au contrôle, l’analyste qui se faisait ici symptôme d’un autre corps a démêlé cette embrouille pour la traiter dans sa propre analyse. Dans la partie qui se joue entre débilité et délire, le contrôle du parlêtre permet à l’analyste de se faire dupe du réel hors-sens.

Marie-Hélène Brousse a considéré le contrôle sous l’angle du réveil. Quand l’analyste occupe depuis longtemps cette position, il court le risque de tomber dans la routine ou la monotonie. Il lui faut pourtant se tenir éveillé afin d’accueillir la contingence. Le contrôle réveille l’analyste, il offre une sortie de l’aveuglement par la lecture à l’envers des dits de l’analysant selon une trajectoire complexe. Le contrôle est un dispositif de filtrage. Un message est fabriqué par l’analyste à partir du code donné par la parole de l’analysant. Ce message, adressé au contrôleur qui associe librement, permet d’écouter ce qui n’a jamais été entendu. La référence au séminaire de La lettre volée de Lacan s’impose ici puisque le contrôleur se trouve en position d’être le détenteur d’un message auquel il ajoute une autre écriture. Dans le conte de Poe, la lettre n’est pas vue alors qu’elle crève les yeux. Mais Lacan montre que l’aveuglement à la lettre de l’inconscient est corrélatif d’une position précise dans le dispositif ; c’est cette position que modifie le contrôle en dégageant ce qui reste d’inguérissable et d’inanalysable dans chaque version singulière du « désir de l’analyste », toujours « impur », dit Lacan. À partir de la mise en voix, par l’analyste, de la direction donnée à la cure, le contrôle parvient parfois à toucher au reste symptomatique de jouissance de l’analyste.

Embrouilles cernées, lecture à l’envers, sortie de l’aveuglement, effet de renversement et d’allégement : dans le contrôle sur mesure, c’est le réel qui réveille.

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