Événements

Interview L’Hebdo-Blog – ACF CAPA

   

Le partenaire amoureux, la guerre, les objets... quel trépied en CAPA !

 

Proposés par les différentes commissions des bureaux de ville de l’ACF CAPA, ces thèmes se déploient dans le cadre d’activités distinctes qui ont lieu sur l’ensemble de ce grand territoire que couvre notre ACF, allant d’Amiens à Reims en passant par Chalon en Champagne, Laon, Charleville-Mézières, Lille et Saint-Quentin. C’est à l’Atelier – notre séminaire interne, activité régionale ouverte prioritairement aux membres de l’association – qu’il revient de rassembler cette communauté de travail autour d’un thème proposé par le bureau. L’Atelier, qui planche actuellement sur « Le symptôme et le corps parlant », a aussi depuis cette année une nouvelle visée, s’inscrire dans la commission scientifique de notre colloque régional biennal dont le prochain, en décembre, aura pour titre « Folies – ce qui ne cesse pas ».

Mais, comme vous le relevez, d’autres types de nouages surgissent à partir des thèmes a priori indépendants, issus du désir de chaque commission. Cette année, ceux-ci se sont trouvés articulés une première fois, dans la foulée des événements tragiques de janvier, par la lecture qu’a faite Gil Caroz de notre proposition à venir nous parler des « rapports » entre les parlêtres. Son titre « Le partenaire amoureux » était choisi de longue date mais l’actualité l’a amené à le tordre en mettant en tension l’amoureux et celui qui choisit au contraire l’usage des armes. Placé sous l’empire de la jouissance phallique, la guerre permet aux individus qui s’y vouent d’éviter de se confronter à l’autre, supplémentaire, singulier. « Faire la guerre pour ne pas se confronter à l’amour », telle fut la proposition heuristique qui émergea pour penser la nécessité de ces deux activités humaines et leur différence au regard de la jouissance. Entrée en matière inattendue pour le prochain colloque à Reims, intitulé « Extension du domaine de la guerre ».

Cette pluralité de travaux et d’axes d’étude trouve aussi la possibilité d’un resserrage dans la composition des documents de Scripta. À chaque numéro, une trace de cette diversité se révèle, avec un point de vue qui permet dans l’après-coup des éclairages inédits et une lecture des phénomènes de notre époque.

Un dernier mot sur le thème des prochaines journées de l’ECF qui résonne avec celui de notre cycle de conférences à Lille : « Homme, femmes, enfant, quels rapports, quels symptômes ? », et avec le café psychanalyse à Amiens : « Faire couple, avec qui ? Avec quoi ? ». La question du « couple » ou du « rapport » dans l’orientation lacanienne ne peut se déployer sans que viennent à l’esprit l’aphorisme de Lacan sur l’inexistence de – l’écriture – du rapport sexuel ou les dernières avancées de Jacques-Alain Miller sur la jouissance Une dans son Cours « L’être et l’un ». Ces balises indexent l’impossible qui leste l’éthique de la psychanalyse, mais elles ouvrent du même coup à l’exploration de toute une série de montages, de bricolages, de ratages qui font le sel des relations entre parlêtres. Et le succès tant des conférences que des soirées du café-psy indique que le public attend la psychanalyse lacanienne sur ces questions.

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Rendez-vous à Bruxelles le samedi 28 février ! Entretien avec Guy Poblome

Le 28 février, à Bruxelles, l’ACF-Belgique organise une Grande journée d’étude intitulée : « Autisme et psychanalyse. Résultats. » Guy Poblome, président de l’ACF-Belgique, a bien voulu répondre aux questions de l'Hebdo-Blog pour éclairer cet événement dont il est le maître d’oeuvre.

L’Hebdo-Blog – L’annonce de la Journée d’Étude organisée par l’ACF-Belgique à Bruxelles ce 28 février sous le titre « Autisme et psychanalyse : résultats » précise que la psychanalyse lacanienne, ainsi que de nombreuses pratiques en institution, nous donne les outils pour résister au formatage des sujets autistes. Pourriez-vous nous dire précisément ce qu'il en est aujourd’hui des recommandations en Belgique ?

Guy Poblome – Deux études ont été menées en Belgique ces dernières années. La première par le CSS (Conseil Supérieur de la Santé), organisme « indépendant », qui ne dépend d’aucun ministère et a émis un Avis en novembre 2013. Il prône de façon univoque les méthodes éducatives et comportementales dans la prise en charge précoce de l’autisme, et notamment la plus « dure » d’entre elles, ABA. La seconde étude émane du KCE (Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé) et a été sollicitée par la ministre de la Santé. Le rapport du KCE a été publié en novembre 2014. Bien que plus nuancé, il centre ses recommandations dans la sphère de l’éducatif et du comportement. La dimension subjective de l’autisme, le refus de l’Autre par exemple, est complètement éludée ou reprise sous le terme de « comorbidité », comme l’est le rapport au langage considéré sous l’angle du déficit. En somme, ce qui sous-tend ces études, c’est que le ressort de l’autisme est de l’ordre du handicap et n’aurait rien à voir avec une « insondable décision de l’être » comme le disait Lacan.

Là où les deux études se rejoignent, c’est pour rejeter la psychanalyse hors du traitement de l’autisme. Elles n’ont pas cherché bien loin puisqu’elles se contentent de se référer à la HAS (Haute Autorité de Santé) française. Ainsi, le sort de la psychanalyse est réglé en deux coups de cuillère à pot. La seule méthode d’investigation envisageable pour ces collèges d’experts est la méthode issue des études randomisées, dite scientifique. Leur credo, c’est EBM ou EBP pour Pratiques Basées sur les Preuves. L’intéressant, c’est que le KCE a l’honnêteté de reconnaître que, « pour de nombreux aspects de la problématique [de l’autisme], la récolte dans la littérature scientifique s'est révélée très maigre » et qu’« appliquer les méthodologies rigoureuses de la recherche evidence-based s’avérait d’office une entreprise hasardeuse ». Le KCE s’est donc reposé sur l’étude de la HAS et son équivalent anglais, et pour ce qui est de la spécificité belge, il a dû s’en remettre à un questionnaire envoyé à des « gens de terrain ». C’est une méthodologie qui se base sur le consensus. Du coup, toute une série de questions peuvent se poser : comment le questionnaire a-t-il été établi ? Comment a-t-on constitué la liste des « gens de terrain », à qui ce questionnaire a-t-il été envoyé ? Etc.

L’HB – Quel poids ont eu les batailles menées par les psychanalystes ? Que pouvez-vous dire des effets produits par les deux films « D’autres voix » et « À ciel ouvert », films qui chacun, rendent compte de la rencontre de la psychanalyse avec les sujets autistes ? Ces projections et les vifs débats qui les ont accompagnés ont-ils permis selon vous à la psychanalyse ainsi qu’aux pratiques institutionnelles qui en découlent de témoigner de leur « efficacité » ?

GP – En Belgique, il n’y a pas pour le moment de Plan autisme comme en France. Le problème de la prise en charge de l’autisme est par conséquent moins médiatisé. Les films « À ciel ouvert » et « D’autres voix » ont eu un succès certain – et ont eu aussi leurs détracteurs dans les salles – mais n’ont peut-être pas eu le retentissement qu’ils ont connu en France.

Par contre, s’il n’y a pas de Plan autisme belge, des associations de parents en réclament un. L’une d’entre elles notamment est très active et militante, elle écume les couloirs des ministères et des administrations, s’introduit dans les instances pour obtenir la mise en place d’un Plan autisme tout en se faisant le chantre des méthodes comportementales. La conséquence en est qu’elle devient l’unique interlocutrice des mandataires politiques.

C’est pour cette raison qu’après la publication de l’Avis du CSS sur la prise en charge de l’autisme fin 2013, l’ACF-Belgique, en partenariat avec le Kring voor Psychoanalyse de nos collègues flamands, la Section clinique de Bruxelles et l’APCF (Association Psychanalytique de la Cause freudienne), a organisé le forum « Quel plan autisme ? » en mai 2014. Il s’est tenu dans les locaux de l’Université Saint Louis à Bruxelles, a accueilli trois cents participants et a été soutenu par soixante institutions concernées directement par la question de l’autisme. Un numéro du Forum des Psychanalystes y a été consacré. Le but recherché était bien sûr médiatique. Nous avons sollicité les politiques et les administrations, le président de l’AWIPH (Agence wallonne d’Intégration des Personnes Handicapées) également président de l’INAMI (Institut National d’Assurance Maladie-Invalidité) est venu prononcer un discours en faveur d’une approche plurielle de l’autisme, d’autres mandataires politiques nous ont reçus. Bref, l’objectif poursuivi de se constituer comme interlocuteurs, de remettre ces questions sur la scène du débat démocratique, de ne pas laisser la question de l’autisme à l’hégémonie des comportementalistes a été atteint. Ce qui en témoigne, c’est que la présidente de la Commission de la Santé du parlement fédéral belge, Mme Muriel Gerkens, viendra faire une allocution lors de notre journée du 28 février.

Ce n’est pas tout. Le forum a aussi donné la parole à des parents. Mireille Battut, présidente de l’association La Main à l’Oreille y est venue témoigner de son parcours. D’autres parents, belges, ont parlé de leur rencontre avec la psychanalyse, avec les institutions orientées par la psychanalyse qui ont accueilli leurs enfants. Cela a permis la mise en place d’une antenne belge de La Main à l’Oreille, ce qui n’est pas un effet négligeable de notre action. Même si elle n’en est qu’à ses débuts, cette association a le mérite de faire entendre une autre voix du côté des parents d’enfants autistes.

L’HB – À propos de l'usage des objets que font certains sujets autistes, l’argument de la Journée dit que « le fil du lien passe par là ». Or le discours analytique de l'époque isole souvent le fait que les objets viennent plutôt court-circuiter le lien. Comment, dans le cas des autistes, cet objet peut-il atteindre à la dignité du lien ? Et quel type de lien ?

GP – Nous passons de la politique à la clinique. L’objet autistique est communément considéré comme venant fermer le corps du sujet autiste, venant redoubler son retrait. Et, en effet, il a un rôle de protection par rapport à ce qui est vécu par lui comme une intrusion de l’autre. À ce titre, les mains qui viennent boucher les oreilles peuvent être considérées comme des objets autistiques. Ce que certains posent comme postulat, c’est qu’il faut retirer l’objet pour que l’autiste s’ouvre à la relation. Seulement, cette extraction forcée ne tient pas compte de cette fonction de défense de l’objet et a un effet de mutilation, d’arrachement qui entraîne des crises d’angoisse.

Autre chose est de respecter cet objet, de l’accueillir en tant qu’il est non seulement protecteur, mais aussi en tant qu’il est situé sur une frontière entre le corps du sujet et le champ de l’autre. Accueillir l’objet autistique, travailler à partir de cet objet sur le bord permet de s’introduire comme partenaire non menaçant pour le sujet et de faire entrer cet objet dans un circuit, dans une métonymie, et donc dans un certain échange. Une enseignante expliquait par exemple qu’à la condition d’accepter que l’objet accompagne l’enfant en classe, ce dernier pouvait consentir à le déposer quelques instants, juste à proximité, pour s’affairer aux apprentissages. Le lien dont il s’agit est un lien de bord et inventif, toujours sur un fil en effet. Il arrive que le sujet autiste s’en soutienne pour élaborer un objet plus complexe qui lui permette de faire avec l’autre. Rendez-vous à Bruxelles le 28 février !

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Le cartel, son produit, ses effets

C’est à partir de ma fonction de délégué aux cartels pour l’ACF-Massif Central, de ma question sur la place du cartel dans l’École et dans la cité que j’ai été amené à distinguer trois registres de ce qui, du cartel, participe d’une ouverture vers les gens : le produit de cartel, l’effet de cartel et l’effet-cartel.

Le produit de cartel : « Quatre se choisissent, pour poursuivre un travail qui doit avoir son produit. Je précise : produit propre à chacun, et non collectif »[1]. Lacan est précis. De très beaux textes ont été entendus et discutés dans l’ACF-MC, portés par une énonciation singulière et un désir orienté. Le produit de cartel est un pan du travail de l’École, il est attendu par elle, la passe en est un autre. Jacques-Alain Miller insiste « le travail de l’École passe par le cartel »[2].

L’effet de cartel est distinct du « produit propre à chacun ». Il est un résultat, une conséquence. Il s’extrait de l’intimité du cartel qui va le soutenir et l’orienter vers d’autres : il rassemble. C’est une invitation à découvrir, dans sa portée citoyenne, la psychanalyse sous un autre angle. Dans l’après-coup, ou dans la dynamique de son travail même, ce sera une rencontre, un échange, élevé à la dignité d’un événement. L’effet de cartel relève d’un désir de liens avec des lieux de la cité. C’est une priorité politique que d’offrir aux gens l’occasion de rencontrer le discours analytique dans son ouverture, sa logique, sa rigueur, et sa souplesse. L’effet de cartel, c’est le désir en tant qu’il est contagieux.

L’effet-cartel est le troisième volet du triptyque. Il s’invente à partir d’une rencontre singulière, de quelques paroles échangées et soutenues par une énonciation désirante. Il naît d’un mot qui, lancé à la cantonade, fait mouche. L’acte du sujet y est convoqué. Il s’agit de l’ouverture au discours analytique de nouveaux réseaux de diffusion. Ce sont aussi les demandes de partenariat reçues de ceux qui ne restent pas insensibles à la cause analytique. L’effet-cartel est une porte qui s’ouvre sur le monde des gens : ceux de l’opinion éclairée, de la pénombre, du clair-obscur et de l’ombre. Cela touche ceux qui prennent leur ex-sistence au sérieux et se découvrent sensibles au discours analytique vers lequel ils n’auraient pas spontanément orienté leurs pas. Pourquoi ? Parce qu’ils rencontrent, dans ce théâtre, ce cinéma, ce centre culturel, cette salle de concert, cette librairie, ce café, cette rue, à la croisée des échanges, des psychanalystes dont les paroles viennent résonner avec ce qui, de leur existence, les préoccupe.

Je laisserai la conclusion à Brigitte Jaques-Wajeman et François Regnault qui nous ont adressé quelques mots, peu de temps après leur visite à Brive pour la Soirée « Elvire, Jouvet 40 ». Ces mots disent l’effet-cartel :

« […] vous et tous ceux qui ont travaillé avec vous pour ces rencontres autour d’Elvire-Jouvet 40, nous avez donné la joie de revivre les moments intenses que nous avons vécus lors de la création du spectacle, de ses représentations et de ses tournées, ainsi que du tournage du film par Benoît Jacquot.

Surtout, votre fervente attention à notre égard, la disponibilité de tous vos collaborateurs, du Cartel tout entier, et l’hospitalité chaleureuse de vos amis et invités, ainsi que du public de Brive, nous laissent de ce passage un souvenir heureux, qui nous incite à travailler encore et toujours pour le théâtre, dans ses rapports directs ou indirects avec la psychanalyse. […] »

[1] Lacan J., « D’écolage », Séminaire du 11 mars 1980 (extrait), inédit. [2] Miller J.-A., « Le cartel au centre d’une école de psychanalyse », intervention à la Journée des cartels du 8 octobre 1994 à l’ECF, transcrite par Catherine Bonningue. (paru initialement dans La Lettre mensuelle n°134).

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Désencombrer la voie

Le 14 janvier 2015 nous avons partagé une soirée chaleureuse, organisée par Jean-Christophe Gaston à la librairie Majolire de Bourgoin-Jallieu, avec Patrick Hollender autour de son livre Les Passerelles et Délia STEINMANN qui en a rédigé la préface.

P. Hollender est psychanalyste, membre de l’Association de la Cause freudienne Rhône-Alpes.

Dans le public, des lecteurs assidus de l’association « Passeurs de mots ». L’un d’entre eux nous livre sa lecture et souligne l’ambiance particulière des époques que les personnages traversent, depuis la guerre de 14-18 jusqu’à nos jours, sur fond de passion pour cet agencement réglé qu’a été la Compagnie des Chemins de Fer, viatique de nos vies embrouillées.

Les embrouilles ne manquent pas dans l’histoire familiale que nous raconte Philippe, le narrateur.

Quelques années avant 1914, Jeanne, issue d’une riche famille belge, tombe amoureuse de Gustave, jeune français de condition modeste. Reniée par sa famille, elle viendra s’établir avec lui en France.

Août 1914, alors que Gustave convoyait un train de munitions vers la Belgique, tout explose sous les feux de l’ennemi, de son corps il ne restera rien. Jamais aucune sépulture ne pourra border le chagrin de Jeanne. Elle en perdra la raison, errera avec ses deux jeunes enfants Lydie et Paul. Un jour, l’inimaginable se produit. Du bord d’une passerelle, Jeanne pousse Lydie dans l’étang, à nouveau l’abîme aspire. Lydie sera sauvée de la noyade de justesse par son frère.

D’autres drames suivront. La honte sans borne de Lydie lorsqu’elle devient fille-mère en mettant au monde Jacqueline, son amoureux Jacques ayant fui devant un mariage qui se présentait comme une mésalliance. Lydie rencontrera plus tard Emile, de leur amour naîtra Michèle.

Les années passèrent.

Lorsque Lydie apprit que sa fille mineure de dix-sept ans, Michèle, reproduisait l’erreur de sa mère, les murs tremblèrent. Le mariage avec Nicolas fut organisé dans la hâte avant l’arrivée de leur enfant Damien. Leur entente se fissura rapidement, mais naquit un deuxième fils Philippe, le narrateur.

Notre lecteur ponctue : « je me reconnais dans ce livre».

C’est qu’en effet la grande histoire se conjugue tout au long du livre à l’histoire intime des personnages réels, sur quatre générations.

Alors les questions des lecteurs avertis ne manquent pas : « Est-ce une autobiographie ? Un roman ? »

La réponse convoquera la structure de fiction de la vérité et la subjectivité toujours engagée, même lorsque l’on raconte l’histoire avec un grand H.

Puis une autre question s’accroche à la première : « l’histoire (le récit qu’on en fait) construit-elle le sens ou le déconstruit-elle ? »

C’est qu’en effet, si les rappels historiques créent des balises qui permettent de s’y retrouver – première partie du livre –, le réel rencontré par le personnage principal, Philippe, à travers la folie de son frère et qu’il ne sait nommer – deuxième partie –, déborde le sens, accélère le rythme, entrechoque les éprouvés.

La cohabitation de ces différents aspects fait naître un sentiment de malentendu qui ouvre à une interprétation personnelle.

Et ce temps qui ne passe pas ! Qui laisse intactes les traces sur le corps via les mots.

Pourtant, rien dans ce livre d’une approche trans-générationnelle, bien que la métaphore de la passerelle invite à cela. Plutôt, pour chaque génération la charge de prendre sa part, et pour chacun de faire quelque chose avec ce qu’il aura retenu au passage, à son insu.

Ce quelque chose, c’est l’analyse dont P. Hollender nous dit qu’elle lui a permis de faire éclater l’idéal de ce qui serait une bonne filiation. Il s’en est déduit la possibilité d’écrire ce livre.

Ce n’est pas parfait, ça rate toujours, les choses ne sont pas aussi logiques qu’on voudrait, pas de belle conclusion comme dans un roman, mais à l’arrivée le temps passé enfin se perd.

Il reste un objet – extime pour l’auteur –, fraternel pour nous, de cette fraternité, comme le dira Délia Steinmann, « qui ne fait pas de l’autre mon semblable, mais qui comme moi est touché par la langue, est touché par un autre qui n’est pas ma propre image ».

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Inventions et bricolages avec la psychanalyse

« Le lion ne bondit qu’une fois[1] » c’est en écho à cette remarque de Freud que Sonia Chiriaco a choisi de donner sa conférence « Invention et contingence dans l’analyse », le 31 janvier dernier à Marseille. S. Chiriaco témoigne d’une clinique marquée par une grande liberté d’invention tirant les conséquences de l’inexistence de l’Autre, de la pluralisation du Nom-du-père, qui devient un mode de nouage parmi d’autres, une instance de nomination.

Un jeune garçon psychotique arrive à sa séance désemparé, perturbé par une mauvaise rencontre avec un signifiant brûlant. À l’école, il a entendu la phrase « Guillaume a emballé Céline ». Privé de l’abri de la signification phallique, un excédent sexuel « s’emballe » dans son corps, menaçant un équilibre précaire. L’analyste intervient promptement, sans calcul, « Guillaume a emballé Céline dans du papier cadeau ! » Ce détournement de la jouissance par et dans la langue interpose habilement un semblant qui provoque un rire salutaire chez le patient et l’analyste. Celle-ci ouvre ainsi la voie d’un traitement possible de la jouissance par la langue. « On peut traiter par le signifiant, des choses de l’inentendable[2] ». En le rapportant, en conférence, l’analyste conserve « le souvenir physique » de ce moment crucial où elle s’est engagée dans la hâte avec son corps.

Cette vignette clinique est tout à fait paradigmatique de la démonstration de Sonia Chiriaco. Après avoir rappelé, en quelques balises théoriques, les avancées du dernier enseignement de Lacan – une psychanalyse au-delà de la norme oedipienne – la conférencière s’est attachée à en montrer les enjeux cliniques à l’aide d’une série de cas, chacun débouchant à sa manière sur une invention (une pratique artistique contre les ravages de la toxicomanie) ou un bricolage psychique (nouvel arrangement sinthomatique avec la jouissance). Elle a ainsi brillamment inauguré le cycle de travail de l’ACF Méditerranée-Alpes-Provence : « Inventions et bricolages avec la psychanalyse ». Il s’agit, soulignons-le, d’une clinique marquée par une grande liberté d’invention qui tire véritablement les conséquences de l’inexistence de l’Autre, de la pluralisation du Nom-du-père, lequel devient un mode de nouage parmi d’autres, une instance de nomination. Retenons deux points d’un propos marqué à la fois par la rigueur, la clarté et la surprise clinique, ayant suscité une vive conversation.

L’engagement du corps de l’analyste, le choix de la remarque freudienne, à propos de l’interprétation – et, plus largement de l’acte analytique – « Le lion ne bondit qu’une fois », véritable fil rouge de la conférence, témoignent d’un élément essentiel qu’a voulu transmettre notre collègue : l’analyste paye de sa personne. L’acte analytique ne procède pas du sujet du signifiant mais d’un engagement du corps vivant, rendu apte à cette présence pour autant que le désir de l’analyste a été « nettoyé » de la jouissance du symptôme par sa propre cure. Ainsi la formule « grosse bêtise » inclut-elle à la fois la dimension oraculaire de l’interprétation – visant la place occupée par le sujet dans le désir de l’Autre – mais elle touche aussi bien, par l’équivoque de lalangue, à la jouissance du corps de l’analysant.

À partir des conséquences de l’interprétation nous pouvons repérer la logique œdipienne qu’elle comporte (l’ordre de la nécessité) mais également la dimension d’inédit, d’invention, soit la contingence à l’œuvre. N’est-ce pas cette dimension que vise Freud ? – sans disposer encore des modalités logiques sur lesquelles s’appuiera Lacan. En effet, le lion ne bondit qu’une fois… pour saisir sa proie. Il ne bondit qu’une fois car il n’a pas droit à un « deuxième essai ». C’est donc l’invention, la saisie « au vol » d’un signifiant, qui atteste la contingence, soit une rupture avec ce qui ne cessait pas de s’écrire (nécessaire) ou avec l’impossible. Les conséquences d’une contingence heureuse seront alors au-delà du symbolique. Les vignettes cliniques sont probantes pour ce qu’elles attestent chacune dans leur originalité, qu’il y a eu opération analytique stricto sensu, soit un changement dans le réel. Avec le dernier Lacan, la contingence s’avère, in fine, le réel propre à la cure.

[1] Freud F., « L'analyse avec fin et l'analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes, tome II, trad. fr., Paris, PUF, 1985, p. 234. [2] Chiriaco S., Conférence du 31 janvier 2015. Marseille, les Arcenaulx. Nous conservons ici sciemment le signifiant nouveau.

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Être mère – Des femmes psychanalystes parlent de la maternité

La rubrique Événements vous invite à vous laisser reparcourir par le souffle des Journées 44. Le moment fut puissant et vaste : plein les yeux, plein les oreilles. II a fallu un petit temps pour que chacun(e) puisse prendre la mesure de ce qui s'en est déposé. L'ouvrage Être mère - Des femmes psychanalystes parlent de la maternité nous convia à la lecture dès l'immédiat après-coup de cet événement. Ce temps de lire, nous vous proposons de le poursuivre avec les textes qu'Isabelle Galland et Patricia Loubet ont présentés aux Journées.

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Lorsque l’enfant ne paraît pas

Dans un service d’AMP (Aide Médicale à la Procréation), je reçois des femmes désespérées de ne pas arriver à avoir d’enfant. Elles se plaignent d’une injustice, elles deviennent envieuses – ce qui ne leur ressemble pas – au point de détester les femmes enceintes, de zapper toute émission de télévision qui parle d’enfant, de ne plus pouvoir entendre l’annonce d’une grossesse sans fondre en larmes, sans parler de l’impossibilité d’aller voir une amie qui vient d’accoucher à la maternité. L’enfant, qui ne paraît pas[1] – focalise toutes leurs attentes. Elles imaginent que si elles étaient mères, elles seraient accomplies et comblées.

Au fil des entretiens, elles réalisent qu’elles sont obsédées et ont l’impression que cela peut aussi être une des causes de leur infertilité. Leur entourage ne manque pas de leur dire : « Tu y penses trop », ainsi que le milieu médical qui rajoute : « Partez en vacances. N’y pensez plus et vous tomberez enceinte ». Mais elles ne pensent qu’à ça et n’arrivent pas à ne pas y penser. Certaines arrivent à dire que leur corps les lâche, qu’elles ne se sentent pas de vraies femmes. Elles viennent mettre au travail ce quelque chose qui « ne cesse pas ». Leur plainte n’est pas sans évoquer quelque chose de l’ordre d’un ravage. « Le ravage, c’est quoi ? » écrit Jacques-Alain Miller[2], « C’est être dévasté […] c’est une douleur qui ne s’arrête pas, qui ne connaît pas de limites ».

Pour Sophie Marret-Maleval « on trouve deux versions du ravage, l’une relative à l’ordre phallique, l’autre hors régime phallique. Chez Lacan, ces deux versions sont relatives à la division de la femme entre son inscription dans la fonction phallique et le manque d’un signifiant pour dire La femme »[3]. Dans la clinique de l’AMP on retrouve cette division, côté phallique, la revendication de l’enfant qui viendrait, dans le fantasme, restaurer la castration, et le fait de devenir mère qui viendrait les définir en tant que femme, puisque le signifiant mère, lui, existe bien.

C’est la boussole que j’ai choisie pour accueillir ces femmes avec leurs plaintes et leurs revendications. Pour cela il a fallu se décaler de l’idée que la cause d’une infertilité pouvait être psychologique, avec son pendant, l’espoir que « de parler » va leur permettre d’être enceinte. D’être orientée par la question de la jouissance féminine à l’œuvre pour chacune permet une ouverture vers une solution autre, qu’elles vont trouver au « une par une », solution qui ne sera pas forcément une grossesse, ou bien la grossesse sera de surcroît – comme la thérapie est de surcroît dans une cure analytique.

Estelle consulte pour des problèmes de couple. Elle et son compagnon sont suivis en AMP depuis six mois, mais son ami ne veut plus poursuivre le protocole à l’hôpital. Il dit qu’il a besoin de temps. Elle a l’impression qu’il la lâche et vient en parler.

Au bout de six mois elle peut me parler d’un lourd secret qui la travaille. Son ami, qu’elle a connu à 18 ans, alors qu’il vivait dans un foyer, lui avait raconté que sa mère était morte. C’est seulement au bout de cinq ans de relation qu’il a réussi à lui dire la vérité, sa mère n’était pas morte, il avait coupé les ponts avec sa famille parce que son père le battait.

Depuis, il a renoué avec cette mère arabe et musulmane et a fini par reparler à son père, voire même à lui pardonner lorsqu’il a retrouvé un homme vieillissant. Estelle, néanmoins, garde ce secret avec lui.

Lorsque son ami lui propose le mariage, elle accepte avec joie. Elle réalise qu’elle va enfin avoir une place officielle dans sa famille et que son ami ne pouvait pas envisager d’avoir un enfant hors mariage face à une famille traditionnelle musulmane à laquelle il s’identifie de plus en plus.

L’analyste lui a signifié que dans le choix de ce partenaire elle semblait répéter une loi familiale : on ne parle pas des choses difficiles et conflictuelles. L’hypothèse qui peut être émise est qu’elle s’était identifiée à cette mère morte, femme au corps mortifié qui ne peut être enceinte. Elle a pu déplier ces choses difficiles en séances et ensuite en parler avec son ami et sa mère.

Aujourd’hui son couple va mieux, ils se sont retrouvés affectivement et sexuellement. Elle interrompt ses séances.

Sylvie a fait une fausse couche à quatorze semaines de grossesse. Depuis, tout s’est arrêté, elle n’arrive plus à être enceinte, elle ne dort plus, mange trop et a pris du poids. Sa fille a deux ans, et quand elle a voulu un deuxième enfant sa grossesse est survenue très facilement. Elle pense que c’est un blocage psychologique, qu’elle y pense trop. Elle, qui aime bien tout programmer, est perdue face à ce qui n’a pas de réponse.

Au fil des entretiens elle peut parler de la perte innommable de son bébé. Elle me suggère timidement une idée qu’elle a eue, elle a pensé à lui écrire une lettre. Je la soutiens dans cette trouvaille en lui permettant de préciser ce qu’elle aimerait lui écrire. Elle dira qu’elle regrette de ne pas l’avoir connu, de ne pas avoir réussi à le garder dans son ventre et à l’aider à grandir. Elle écrira cette lettre qui va clore le classeur de cette grossesse arrêtée. Elle s’apaise.

Quelques séances plus tard elle est enceinte. Elle se sent toute puissante, mais pourtant les angoisses se déplacent. Elle réalise que sa grossesse ne suffit pas à résoudre ses conflits. Elle accueillera ma proposition de poursuivre les entretiens avec soulagement et commencera une analyse. Aujourd’hui, elle continue sa tâche autour de cette question : qu’est-ce qu’être une femme ?

[1] Hugo V.-M., « Lorsque l’enfant paraît » in Les feuilles d’automne, 1831. [2] Miller J.-A., « Un répartitoire sexuel I et II : L’orientation lacanienne : deux leçons du Cours de 1997-98 », La Cause freudienne, Paris, Navarin/Le Seuil, n° 40, septembre 1998, p. 15. [3] Maret-Maleval S., « le pas-tout sans le ravage » : http://www.lacan-universite.fr/wp-content/uploads/2011/04/THEORIES-DE-LA-CLINIQUE-11.pdf

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Rien de plus tangible qu’une fiction

Une mère qui conte. La polysémie de cette expression condense la manière dont cette femme de théâtre a pris appui sur la langue afin de suppléer à sa précaire maternité. L’orientation de la cure, au plus près de cet usage de la langue, a produit l’écriture d’une auto-fiction dédiée à ses enfants.

C’était une formule peu ordinaire, surprenante, qui se détachait littéralement du reste de son propos : « Mes enfants, je les ai faits pour eux, pas pour moi ! »

Dite à plusieurs reprises, cette phrase ponctuait de longues et vaines tentatives d’explication où Lili se défendait des accusations de ses fils. « Tu ne sais pas faire une famille ! » résume l’insupportable reproche qui a fait surgir en séance la formule où pointe une sorte de fantasme d’auto-engendrement des enfants par eux-mêmes. Cette formule lui offrit une direction dans son rapport à ses enfants qui révèle l’usage particulier qu’elle a de la langue pour s’orienter. Sa prise en compte dans la cure a donné lieu à une solution nouvelle trouvée dans l’écriture. Tenons qu’elle a écrit le scénario de sa maternité ! Non pour dire la mère qu’elle fut mais plutôt ce qui a barré son accès à l’être. La sublimation par l’écriture ne vient-elle pas ici en lieu et place de sa précaire maternité ?

Sa première grossesse n’était pas choisie, plutôt fut-elle « un accident » fruit de ses premières amours. Enceinte très jeune, elle se captait dans le regard de l’Autre à travers cette expression de pitié qu’elle croyait susciter et entendre : « Oh la pauvre ! »

La naissance de son premier fils en portera la trace. Sans ciller, elle précise qu’en plus d’être moche c’était un garçon et qu’en définitive, elle n’avait rien à lui donner ! Un second enfant naîtra à intervalle rapproché, accentuant son sentiment d’isolement et de non choix. Elle s’occupera d’eux avec soin mais sans véritable affinité. Elle garde aujourd’hui très peu de liens avec eux car elle ne comprend pas leurs reproches tout en cherchant une explication plausible à leur distance. Elle en conclut qu’« ils n’ont jamais accepté la femme », souhaitant seulement voir en elle, une mère.

Les formules, puisque celle-ci en est une autre, fourmillent dans les propos de Lili. Mais au-delà de cet aspect « prêt-à-porter», elle possède un véritable talent d’orateur. Elle sait jouer de sa voix, donnant aux mots un relief qui les animent. Lili est conteuse et metteur en scène sous le statut d’intermittent du spectacle. C’est une femme de théâtre, une vocation qu’elle trouva très tôt dans l’existence, fixée dans ce souvenir : allongée sur le lit de ses parents, se voyant reflétée trois fois dans le lustre, elle sut immédiatement qu’elle ferait du théâtre.

La dimension du miroir, dans une sorte de reflet diffracté, fut une solution autant qu’une impasse. C’est précisément sur les modalités d’une relation en miroir qu’elle s’avança vers un homme. C’était l’instituteur de ses fils. Sa femme venait de partir avec le mari de Lili. Elle occupa en quelque sorte la place laissée vacante, aidée de cette nomination insolite : « J’étais une mère d’élève ». De cette union naquit sa fille, dont elle est très proche, peut-être même trop, c’est sa « confidente ».

Elle s’est toujours assurée d’un interlocuteur stable permettant un échange qui ait les caractéristiques de la conversation. C’est précisément ce qu’elle me demanda lors de notre première rencontre il y a quelques années : « J’espère que vous n’allez pas trop m’écouter ! » Elle souhaitait donc que je lui donne la réplique, que je lui réponde sans forcément aller vers le sens. Elle arrivait dans un moment difficile de sa vie, venait d’être quittée par son compagnon et n’avait rien vu venir. Elle cherchait un appui, un autre capable de lui frayer une voie dans la perplexité intense qui la saisissait.

Son ancrage fragile dans l’être a toujours constitué un drame dans sa relation aux hommes, elle a souvent été quittée de manière « brutale ». Dans une certaine mesure, l’existence de ses enfants et en particulier de sa fille l’a protégée. Élise lui a « servi de mère », toujours attentive à ses fléchissements. Lorsqu’un diabète se déclara chez la jeune fille, elle passa à côté des signes pourtant évident de la maladie. Elle se souvient de sa fille s’injectant l’insuline nécessaire à sa survie, y voyant le signe d’une enfant qui a toujours voulu se battre seule contre la maladie : « je l’ai faite responsable et autonome ». Ainsi se réalise en acte la formule qui a orienté sa maternité d’emprunt.

Il peut se révéler hasardeux d’écouter Lili lorsque sa parole glisse sur des tentatives d’explication infructueuses, sur des fragments de conversations où apparaît toujours sa position imaginaire vis à vis de son interlocuteur. L’impression générale qui s’en dégage alors est que cela ne mène nulle part.

Dans la cure, je me suis orientée de son rapport à la langue en lui permettant de rejoindre l’appui qu’elle prend souvent sur la structure du récit dont le conte ou le théâtre sont les paradigmes. Cette solution, depuis toujours, lui permet de rétablir une trame salvatrice. Dans le meilleur des cas, elle en extrait une formule capable de la sortir de la perplexité.

J’ai écouté la conteuse et l’écho de sa parole lui est revenu comme digne d’être écrit. Un pas a donc récemment été franchi. Elle a dédié à ses enfants une auto-fiction, un livre qu’elle a écrit et publié à compte d’auteur. Cet ouvrage est le récit organisé en séance de ce qu’elle nomme « l’injustice généralisée » de son enfance. Elle y relate, avec son talent de femme de théâtre, sa perception d’un rejet primordial de la part de sa propre mère, dénudant ainsi le réel auquel elle a été confrontée. Ce livre est un message tout particulièrement adressé à ses enfants, un livre « pour qu’ils comprennent » mais à charge pour chacun, de l’interpréter. Elle assure qu’ils ont tous les trois accueilli cet ouvrage avec « fierté ». N’avons-nous pas ici le fantasme de maternité de Lili : conter à ses enfants l’histoire d’une mère d’abord en lutte avec son existence ?

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Reliefs de biographies

Au sortir de l’été, Nathalie Jaudel, avec La Légende noire de Jacques Lacan (Navarin/Le Champ freudien), nous a gratifié d’une vivifiante bouffée de fraicheur. Ceux qui s’intéressent à Lacan sous le mode biographique sans éluder le psychanalyste y ont trouvé de quoi lire et s’instruire. Une lecture précise et informée, orientée et implacable, de ce qui est communément narré du personnage dans la veine historique, qui fait occasion de remettre en chantier l’art et l’usage de la biographie dans notre champ. Le thème est ancien, il mérite aujourd’hui réactualisation alors que tant de donnes antérieures changent, et que d’ailleurs paraissent de nouvelles biographies de Freud. Lacan et Freud racontés à nouveaux frais au XXIe siècle: les Séminaires de La Règle du jeu les ont donc mis sur la table d’un débat avec René Major, Catherine Millot, Nathalie Jaudel et Éric Laurent, ce dimanche matin de fin janvier.

Ce fut moins une séance de polémique qu’un espace de liberté, laquelle se heurte incessamment ici aux écueils, aux reliefs, aux chausse-trapes qui empêchent les voies royales et les trajets linéaires.

Nathalie Jaudel prend soin de débusquer dans son livre les jugements personnels portés sur le personnage de Lacan, lorsqu’on les fait prévaloir à répétition sur ce qu’il ne cesse de remanier, de reformuler de façon déconcertante dans ce qu’il s’efforce de transmettre, et donne une nouvelle jeunesse aux prétentions biographiques qui concernent davantage le biographe que le personnage.

La biographie relève plus du roman d’un personnage que d’une « vie » où il est davantage possible de faire prévaloir ce que quelqu’un a laissé à ceux qui tentent de le suivre. Jacques-Alain Miller, il y a peu, nous a réappris, se référant à Plutarque, à percevoir que les innombrables anecdotes rapportées à propos de Lacan ne prennent du relief que de son enseignement. Le débat permit d’ailleurs de revenir sur certaines et de mettre l’accent sur de nouvelles distorsions notables entre des informations données et les termes dans lesquels elles ont pu être reprises.

Le vrai danger de la biographie d’un psychanalyste est de ne pas se préoccuper de l’actualité de la psychanalyse, de l’acuité de sa pratique et de son incidence dans le siècle que nous vivons aujourd’hui. Cela amène à sélectionner des termes de sa vie sans se préoccuper de leur rapport à la psychanalyse. Il est de faire d’un psychanalyste, de celui qui en a fondé la pratique ou de celui qui fit en sorte que celle-ci puisse rester vivante, un personnage de roman auquel on voudrait le réduire. Car ce qui se dégagea du débat engagé avec la salle, c’est d’abord en quoi les outils légués par leur travail peuvent se repérer parfois dans l’abord des vies de Lacan et Freud. Il convient d’y entrer par l’interprétation incluant un dire plutôt que par la description se réduisant à des énoncés qui mettent en avant un jugement de l’auteur biographe surplombant son objet. Ce dernier n’est pas le bon relief, celui dont on peut se servir.

Ce fut une bonne matinée.

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Et si la rencontre amoureuse était un acte manqué !

Benoite Chéné a accepté de revenir sur l’après-midi de travail organisée le samedi 20 décembre 2014, par l’ACF-VLB bureau de Nantes-Saint Nazaire.

Et si la rencontre amoureuse était un acte manqué ? C’est l’une des questions qui a surgi, ce samedi, lors d’une après-midi de l’ACF consacrée au thème de la rencontre.

Pierre Naveau, à partir de son livre Ce qui de la rencontre s’écrit, s’est, en effet, prêté à la contingence des questions que lui ont posées sur son livre huit personnes montant sur scène, une par une, à ses côtés à la façon d’un speed-dating.

L’amour lacanien nous maintient éveillé, car c’est plutôt la contingence que la nécessité qui est aux commandes, la solitude plutôt que l’entremêlement, la guerre plutôt que la paix, et l’aveu plutôt que le mutisme.

Une rencontre amoureuse, ça ne s’anticipe pas, ça nous tombe dessus, c’est traumatique, on est surpris.

Quand un homme et une femme se désirent, nous ne sommes plus dans le ciel des idées, il y a les corps. Et donc ça rend la chose inavouable, ça touche à la pudeur.

L’amour ? Ça ne peut s’exprimer que par un lapsus. Mais l’événement d’un dire n’est jamais acquis, car la rencontre amoureuse ne se limite pas au jour J. Pour qu’elle se poursuive, il faut avoir un certain rapport au savoir. Il faut vouloir en savoir un peu plus et accepter d’en perdre un bout : il y a, en somme, un avant et un après.

C’est donc la manière dont chacun se débrouille avec ses symptômes qui décide de ce qu’il vous arrive ou pas. Cela demande d’inventer, il faut se fatiguer.

Si vous vous intéressez aux relations entre les hommes et les femmes, nous dit Pierre Naveau, cela demande qu’on se casse la tête.

Il faut donc un certain courage pour que puisse s’écrire quelque chose de la rencontre. Ceux « qui préfèrent leur tranquillité, eh bien, ça va pas l’faire ! », a conclu P. Naveau.

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