Événements

Un adolescent sous contrôle

L’Hebdo Blog a posé une question à Agnès Bailly, en guise de liminaire à la soirée de l’Envers de Paris prévue le 16 avril salle du quartier de Notre Dame des Champs, 92 bis boulevard du Montparnasse 75014 Paris.

HB – Le corps, rien de nouveau, en apparence ! L'Homme a toujours eu un corps. Il l'a mis en mouvement, il l'a utilisé, il le dompte, le mire, le donne à voir, en jouit, etc.

Aujourd'hui quelque chose changerait ?

A. B. – La soirée du 16 avril prochain proposée par l’Envers de Paris, vers le congrès de l’AMP, a pour titre : « La civilisation du corps et son malaise ».

J’y aborderai le cas d’un adolescent venu me rencontrer dans un centre de consultation psychanalytique gratuit[1], pour me parler de son « problème avec le travail » et des conflits avec sa mère et ses professeurs qui l’empêchent de parler en son nom alors qu’il veut se faire entendre. La mère attend des consultations une remise au travail rapide de son fils. Faute d’efficacité immédiate sur le plan comportemental, cette mère impatiente consultera un centre spécialisé pour les « troubles de l’attention » d’où son fils repartira estampillé, avec le traitement adéquat.

Les troubles en tous genres à dépister, ça n’est pas nouveau. Ils sont centrés sur le fonctionnement du corps. Leur évaluation se fait à base de questionnaires à cocher, sans jamais tenir compte de la dimension symptomatique du corps qui est pourtant une réponse du sujet.

Mais ce qui change peut-être aujourd’hui, c’est que certains parents modernes, hyper-informés par les médias, traquent eux-mêmes les dysfonctionnements de leurs enfants. Ils détectent lesdits troubles, en font le diagnostic, puis exigent du centre spécialiste le traitement pour que tout rentre dans l’ordre.

Et quand le discours du maître se colle aux attentes des parents, le sujet peut se retrouver effacé, réduit à un corps « vide », c’est-à-dire vidé de son énonciation. C’est en effet ce que viendra me dire cet adolescent après la prise du traitement qui « lui ferme sa gueule ». Il est assailli par l’angoisse. Il ne se reconnaît plus, ni dans son corps ni dans ce qu’il dit. Il est « sous contrôle » de « sa » Ritaline qui lui dicte « les bonnes conduites ». Il ne peut plus donner « son point de vue ».

Quand l’exigence du maître est centrée sur le corps ainsi dévitalisé, c’est la dimension du discours qui est abolie et le surmoi féroce surgit. Le corps est un corps qui parle !

[1] Association parADOxes, consultations psychanalytiques gratuites et ateliers, 11-25ans, 212 rue Saint Maur, 75010 Paris, 06 16 97 66 80. Site : paradoxes-paris.org

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Après-coups de la Journée de l’Institut de l’Enfant

Trois petits éclats pour L’Hebdo Blog de la troisième Journée de l'Institut de l'Enfant. Elle a eu lieu au Palais des congrès d'Issy-les-Moulineaux samedi 20 mars. Deux signifiants pas sans lien avec le style de la Journée, et des extraits, non pas sentence mais boussole, tirés du chapeau de la conversation qui eut lieu lors de la table ronde. Trois angles de vue à découvrir pour nos lecteurs.

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Brève

La pratique de la coupure a marqué cette troisième Journée de l’Institut de l’Enfant. Homogène à l’interprétation, elle s’est traduite, en acte, par le style des interventions, par le rythme, vif, impulsé par les organisateurs, par l’usage, en ouverture de chaque séquence, d’extraits de dessins animés, extraits qui tombaient à pic pour illustrer ce qui allait suivre. Prestes et vives, les interventions de l’analyste attrapent l’auditeur : une question, une remarque toute simple, une citation, un silence et le discours s’en trouve changé. C’est la valeur, décisive, de la première interprétation qui frappe : en voici trois, cueillies au fil de la journée.

En ne faisant pas chorus avec la blague qui se transmet dans les réunions de famille, blague qui échappe à l’enfant mais qu’il répète, l’analyste produit un écart dans le discours maternel d’où une première parole du sujet : « j’ai peur du noir », induisant une ouverture de l’inconscient. « Tu construis ou tu démolis ? » cette question fait mouche, elle fait surgir le sujet, le supposant à même de faire un choix. L’efficacité se lira à ses conséquences : mise en route des S2 et formations de l’inconscient. S’identifiant au discours médical, repris dans le discours maternel, comme « anorexique » cette jeune fille s’entend dire : « vous n’êtes pas anorexique, vous refusez de manger », intervention qui touche à l’objet pulsionnel et fait résonner un premier choix du sujet.

Scandant le premier temps de la cure, chacune de ces interventions a pour effet d’« extraire le sujet », selon la formule de Jacques-Alain Miller. Ici, interprétation et acte se nouent pour créer un gap, permettant de passer d’« interpréter l’enfant » à « l’enfant interprète ». Dès lors, s’engage un nouveau temps de la cure où s’ouvre le chemin des S2 et de l’objet avec lesquels le sujet, s’il le désire, jouera sa partie.

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Enfant de parole(s)

La formule, inédite, interpelle : il s’agit d’avoir l’oreille grande ouverte. Au salon, Caroline Eliacheff, Alexandre Stevens, François Ansermet ; cette table ronde « L’enfant du siècle et ses psychanalystes » est animée par Martin Quenehen. Daniel Roy annonce qu’il sera question de trois figures de l’enfant : l’enfant héritier, l’enfant connecté, l’enfant de la rencontre… Et c’est parti !

Florilège[1] : « Il n’y a pas d’âge pour recevoir un enfant » ; « Notre interprétation, c’est essentiellement laisser [l’enfant], l’aider à construire son symptôme, c’est-à-dire sa réponse à sa vie » ; « Trop pris dans la causalité linéaire du XIXe siècle, il y a un risque pour le psychanalyste : devenir un spécialiste de la prévision du passé » ; « Il n’y a en analyse que des enfants désirés ! Un enfant désiré, c’est un enfant dont on parle… » ; « Impossibilité, discontinuité, singularité, unicité : l’avenir des neurosciences, c’est… la psychanalyse ! » ; « C’est une très mauvaise idée que de chercher un analyste acquis à sa cause » ; « Un analyste ne cherche pas à comprendre a priori, il suit le fil signifiant d’un enfant, la façon dont sa jouissance s’est organisée » ; « La modération, c’est une éthique aristotélicienne, je préfère la limitation. À chacun de trouver son principe de limitation » ; « Les connexions sont des nouvelles figures de l’Autre, des places et des lieux séparés du corps de l’enfant » ; « L’interprétation, c’est ce qui fuse, ça vient comme ça ! » ; « La langue que l’analyste parle à l’enfant ? La langue de la surprise… ». Waouh ! Madame, Messieurs : Chapeau !

Je forme un vœu : que ces propos parviennent jusqu’aux oreilles du plus grand nombre. Il est urgent que les enfants et les parents de par le monde sachent ceci – qui s’est dit ce matin du 21 mars 2015 : au XXIe siècle, avec la connectique, avec le numérique, avec ou sans l’Œdipe, « L’analyste est l’homme à qui l’on parle et à qui l’on parle librement. Il est là pour cela. »[2]

[1] Les extraits du florilège sont de C. Eliacheff, A. Stevens, F. Ansermet, A. Stevens, F. Ansermet, C. Eliacheff, A. Stevens, A. Stevens, D. Roy, C. Eliacheff, D. Roy. [2] Lacan J., « La direction de la cure », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 616.

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Bondir !

Et voilà ! La troisième Journée de l’Institut de l’Enfant vient de se terminer. Mais les lumières n’étaient pas encore éteintes que déjà elles se rallumaient dans nos têtes avec la perspective de 2017 dont nous entretenait Jacques-Alain Miller. Les courses-poursuites du Coyote toujours déjouées par Bip Bip pour notre plus grand plaisir, venaient à peine de s’achever que le monde de l’enfance, avec ses fulgurances, laissait place à la gravité de celui des adolescents. Celui des enfants ne l’est pas moins, mais cette Journée fit valoir l’extraordinaire inventivité de ce qui se passe dans la rencontre entre un enfant et un psychanalyste.

Pas de leçons, pas de techniques mais toujours l’inattendu de cette rencontre jamais comme les autres où la lecture du détail, de ce qui se dit dans l’instant, de ce qui s’entend dans un soudain décalage, fait interprétation. Cette clinique ne se mobilise pas sur la répétition mais sur l’étincelle, même si l’analyste peut se prêter longtemps à se faire l’instrument de recherche de l’enfant : « L’année du chat fut longue ! »[1] Et alors tout d’un coup l’enfant « retourne ses poches »[2] et l’on sait alors que sa position vient de changer.

L’interprétation est active. Il s’agit d’entendre plutôt que d’écouter, il s’agit de bondir plutôt que de construire. Envoyer des flèches sans savoir si elles atteignent leur but. L’interprétation est une pratique de l’incertitude mais « on n’est jamais en retard si on est au rendez-vous ! »[3] Si nous voulons apprendre à bondir avec les adolescents, il va nous falloir tout de même deux ans d’exercices !

[1] Rousseau D.-P., « Google-interprétation ». [2] Graciotti O. et Lucas dans un lieu d’accueil enfants-parents. [3] Ibid.

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L’issu(e) de l’analyse

   

Sous l’impulsion de Florence Nègre, le Séminaire interne de Toulouse a invité cette année trois AE en exercice. Si le matin c’est au sein de l’ACF-MP que les AE interviennent, l’après-midi, c’est au cœur de la cité et lors de conférences ouvertes au public que les AE transmettent le sel d’une analyse, l’événement du symptôme, la singularité absolue d’un parlêtre. Eduardo Scarone nous donne ici un écho de la venue de Michèle Elbaz à Toulouse le 7 mars dernier.

Michèle Elbaz est psychanalyste à Bordeaux. Membre de l’ECF et de l’AMP et elle a été nommée AE[1] en septembre 2013. Le samedi 7 mars, elle a prononcé une conférence à Toulouse sous le titre « L’issu(e) de l’analyse », titre intimement lié à sa trajectoire et à son expérience de la psychanalyse. Il annonce ainsi qu’il s’agit d’aborder la question de la fin de l’analyse, du moment de passe et de sa démonstration qui a conduit à sa nomination comme AE. M. Elbaz précise que l’écriture de son titre indique qu’il n’y a pas de fin sans extraction et distingue l’expérience de l’analyse de l’expérience de la passe. Entre les deux, il s’agit plutôt de disjonction que de continuité, puisque la passe surgit d’une manière contingente, liée à la hâte. Elle constitue toujours une surprise, se détachant de la logique de la cure faite d’automaton et de tuché.

« Issu » est le participe passé de l’ancien français issire, dérivé du verbe latin exire, sortir. De cette forme grammaticale, le français ne conserve qu’un usage dans l’expression « être issu de » qui veut dire « résultant de », « né de », où M. Elbaz situe cette extraction qui permet alors l’issue. Dans le titre, ce mot marque qu’il ne s’agit pas ici d’un arrêt de la cure qui serait simplement suffisamment satisfaisant, mais qu’il peut y avoir une fin conclusive. Toutes les fins peuvent être heureuses, précisait M. Elbaz citant Jacques-Alain Miller, étant donné qu’elles impliquent un consentement à l’impossible. Mais la passe produit l’analyste et celui-ci continue à être analysant, sans l’analyste. La cure peut livrer sa logique à partir de ce qui détermine sa conclusion, et, comme le dit M. Elbaz, « l’analyse est surprise par sa fin. Pas moins l’analyste et l’analysant ».

Les circonstances de sa naissance et une sentence du médecin accoucheur[2] avaient mis fortement en question l’issue côté vie du nouveau-né. D’autres péripéties l’ont maintenue sur ce seuil. Le développement de l’analyse permettra de déchiffrer et de réduire la charge dramatique de souffrance, et d’autoriser une fin plus allégée : la sortie par un Witz, qui se présentera comme un signifiant nouveau, hors de la série des signifiants précédents. M. Elbaz se surprendra elle-même en prononçant dans l’analyse le mot : « pas achevée » qui renvoie à son entrée dans la vie et rend compte aussi du trajet de celle-ci comme un résultat qui dissipe la charge d’angoisse. Ce trajet s’est déplié à partir d’un désir, connecté à la première audace de se maintenir en vie, choix forcé qu’il faut situer au niveau du réel, « à la racine dénudée du refoulement », précise-t-elle. Ce désir a été mené jusqu’à son terme, épuisant le sens, jusqu’à trouver la percussion initiale des mots et du corps. Un désir pas sans risque qui permit de forcer les identifications, les images. De cette manière elle put rencontrer la lettre d’une différence absolue, ce que vise la psychanalyse. Ce « pas achevée » se présente ainsi comme un des noms du pas-tout, caractérisant et bordant une jouissance féminine. Ce qui n’est plus un message à déchiffrer, mais une conclusion à partir de laquelle on pourra déterminer la logique de ce qui a été traversé.

Une extraction est ici nécessaire pour passer de la singularité de la succession des signifiants qui ont chiffré l’histoire subjective à l’obtention du sans pareil de la fin de l’analyse : un signifiant tout seul, sans réponse, univoque. L’instant de la passe rend compte de l’exil du sujet par de multiples déplacements qui se sont produits la vie durant et pendant l’analyse, et qui ont été déclinés de diverses façons. L’extraction marque le détachement obtenu par rapport à la pulsion de mort et autorise ainsi, aussi bien la sortie de l’analyse, que son résultat : un analyste comme produit de l’analyse soutenu du sans pareil qu’il a atteint. Surgit alors un nouveau commencement et un savoir nouveau qui sera à inventer dans l’outrepasse.

[1] La nomination d’AE s’accompagne d’une mission : cet AE doit travailler pendant trois ans. La conférence de M. Elbaz s’inscrit dans ce cadre. [2] « Ne vous attachez pas à elle, elle ne va pas probablement rester en vie » intervention de M. Elbaz, après-midi des AE, Bordeaux, septembre 2014, in Tresses, hors-série p. 20.

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Un écho du Séminaire des Échanges à Nice avec Bernard Seynhaeve

Le corps, panneau-indicateur vers la conclusion de l’analyse

Le Séminaire des Échanges de l’ACF-ECA a choisi de réfléchir sur La fin d’analyse en invitant trois AE sur deux ans. Bernard Seynhaeve inaugure l’année 2015 avec des avancées sensationnelles sur la conclusion de l’analyse.

Bernard Seynhaeve a livré au public attentif de Nice ses avancées inédites pour conceptualiser la fin de l’analyse. Sous le titre « Une analyse avec le corps », il a accentué la dimension du réel du corps dans l’expérience et surtout en quoi elle ouvre sur la possibilité de conclure l’analyse.

L’enjeu de l’interprétation, a-t-il rappelé, est de permettre à l’analysant d’arracher des bouts de réel pour cerner la manière singulière dont il a incorporé les signifiants de son histoire. Il s’agit de retrouver trace de la percussion réelle du langage sur le corps, dont le sujet fait le premier signifiant de son histoire, le S1, qui lui a servi à recouvrir cette faille de sens, à l’infini.

B. Seynhaeve souligne que le S1 était présent dans les interprétations principales de son analyse, reçues « comme des gifles », c’est-à-dire accompagnées d’un événement de corps. De même, il retrouve chez la plupart des AE – qu’ils aient eu le souffle coupé ou aient été remués, secoués, taraudés – de telles interprétations déterminantes ayant fait trace sur le corps. En faisant coupure, elles isolent le sujet de son histoire, font chuter le pathos : le S1 ne représente plus rien. Lorsque le cadre du savoir tombe, le hors-cadre peut apparaître.

Pour B. Seynhaeve, il s’agissait de se séparer de l’injonction « si je meurs, occupe-toi d’L/elle » (« L » est son S1) prononcée à la génération de ses parents, et qui a eu un tel impact dans sa vie. « J’incarnais dans le réel ce ‘’L’’ proféré du lieu de l’Autre […] dont je m’emparai pour en faire le signifiant-maître qui présida à mon destin », a-t-il témoigné. Pour une autre AE, Hélène Bonnaud, conclure deviendra possible avec la découverte que la figure de cet Autre à tout instant prêt à la « jeter » (« jeter » est son S1) est corrélée à un sentiment indicible de vacillement, de chute. Elle sait maintenant qu’entrer dans le lien supposera toujours de s’arracher à ce sentiment. Chez Monique Kusnierek, les exigences de la pulsion orale (« croquez-moi ») ont construit un Autre érigé en bête féroce qui sera brusquement dégonflé lorsque, par une pantomime, l’analyste mime le monstre. Dans un rire salvateur, le cadre saute : l’Autre, devenu apparent, peut aussitôt déconsister.

Cependant, pour cerner cette dimension du réel du corps dans le transfert, il convient de ne pas oublier un deuxième versant : il concerne le corps de l’analyste. B. Seynhaeve a mis en évidence de manière très novatrice que l’interprétation décisive est celle qui vient nouer autant la langue et le corps de l’analyste que ceux de l’analysant. Il a été le premier surpris, en reprenant les témoignages récents d’AE, d’y trouver – constante restée pourtant inaperçue – de tels événements de corps chez l’analyste. Là où Lacan parle d’interprétation apophantique[1], notre invité a proposé de qualifier d’« interprétation-nœud » ces interprétations oraculaires dont l’impact sur le corps signale la valeur de vérité. Portant sur la cause du désir, leur support est le désir de l’analyste.

En d’autres termes, en cette zone où la jouissance indicible déloge le sujet de son énonciation, « Tout tient à l’événement, un événement qui doit être incarné, qui est un événement de corps – définition que Lacan donne du sinthome. Le reste, disons-le, c’est un habillage – un habillage qu’il faut, dans la plupart des cas. Mais Le noyau, le Kern au sens de Freud, le Kern de l’être, c’est cet instant, c’est l’instant de l’incarnation. »[2], estime Jacques-Alain Miller. En mettant son corps dans la balance, « l’analyste joue à incarner l’Autre appelé par le montage pulsionnel du sujet » et en fait valoir la valeur de jouissance, a résumé notre invité.

Ces avancées de B. Seynhaeve[3] sont affines au propos de J.-A. Miller pour qui les interprétations sont des créations de l’analysant, et à celui de Lacan pour qui « les psychanalystes font partie du concept de l’inconscient »[4].

Nous tenons une boussole solide en retenant que « l’interprétation-nœud » est le panneau indicateur qui indique à l’analysant la direction vers la conclusion de son analyse. Une telle interprétation décisive se reconnaît à ce qu’elle résonne dans le corps de l’analysant, produit un événement de corps, et engage aussi le corps de l’analyste.

[1] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 473. [2] Miller J.-A., « L’inconscient et le sinthome », La Cause freudienne, Paris, Navarin, n° 71, juin 2009, p. 76. [3] La conférence de B. Seynhaeve sera publiée dans RIVAGES, Bulletin de l’ACF-Estérel-Côte d’Azur, en octobre 2015. [4] Lacan J., « Position de l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 834.

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La psychanalyse interprétée : naissance de la théorie, évolution de la pratique

La matinée d’étude de l’ACF Rhône-Alpes, qui s’est tenue à Grenoble le samedi 28 février à l’initiative de Délia Steinmann, a fait résonner dans l’histoire ce qui du concept d’inconscient (« drôle de mot » que celui-là) traverse les époques et les discours, à partir des points de rupture d’où a pu émerger l’invention de la psychanalyse. Nicole Edelman, historienne à l’université Paris-Ouest Nanterre, nous a montré comment Freud s’est affranchi subtilement de l’héritage de ses prédécesseurs dont la pluralité des discours dans les études consacrées au somnambulisme magnétique puis à l’hypnose rêvaient d’un inconscient enraciné dans la physiologie (thèse de Ribot 1884). Les précisions d’historien de Freud, telles qu’elles apparaissent dans Die Traumdeutung (1900), s’inscrivent en lien avec les contingences de son temps, mais aussi par rapport au « pas de côté » qu’il fait sur son époque, par quoi il devient possible d’extraire les lois du fonctionnement psychique, les rêves comme voie royale de l’inconscient.

Marie-Hélène Blancard est ensuite intervenue et a mis l’accent sur la façon dont l’inconscient se branche sur le corps et comment Lacan s’est fait l’artisan d’un nécessaire retour à Freud pour réinventer la psychanalyse en passant de l’inconscient jouis-sens (ce que serait le rêve comme rébus) à l’inconscient lacanien qui à la fin d’une cure, procède du vidage de la jouissance. À partir du dispositif de la passe, elle précise comment s’est desserré pour elle l’étau des identifications au corps hystérique qui s’inscrivait comme refus du corps. La tyrannie du savoir convoquait une jouissance absolue, via la figure consistante d’un père absent et une tentative de faire exister La femme par le Un de l’exception. Après le déroulement de la chaîne signifiante, le sujet doit consentir, dit-elle, « à plonger dans le trou du souffleur » dans sa rencontre avec la fonction de la lettre qui fait trou dans le langage. L’inconscient se fait mathème lacanien lorsque la structure se dénude, pas sans le mouvement d’acceptation du corps vivant et la satisfaction de la fin de l’analyse. Cela suppose de s’affranchir de toute idée de guérison qui, avec Lacan, n’advient que par « surcroit ». C’est un beau témoignage sinthomatique donné par celle qui ex-siste comme « bouffeuse de vie », chez qui l’inconscient opère comme discontinuité et non plus comme continuum. Il y a un saut à franchir, un point de rupture à trouver, pour chaque fois arracher un bout de savoir au réel qui, loin d’être la conclusion, se traverse comme un moment de conclure. Tout du réel n’est pas recouvert par le déchiffrement du symbolique.

Entre les deux interventions, un film poétique, réalisé au sein du dispositif « Culture et Santé » du Centre Hospitalier Alpes-Isère par L’Atelier créativité Frantz Fanon et la Compagnie L’Envol, fut projeté : La princesse à la courte mémoire, dont les marionnettes ficellent comme une invitation au rêve, à la magie colorée d’une histoire d’amour où l’inconscient ne demande qu’à se réaliser. Dans sa rencontre avec le désir de l’Autre, la princesse divisée entre le désir de son partenaire et celui du roi ne sait plus très bien sur quel pied danser pour trouver chaussure à son pied. Le conte fait valoir la dimension de ratage du rapport sexuel de chaque être pris dans le papier mâché des chausse-trappes de la jouissance.

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« L’inquiétante étrangeté » Café Psychanalyse du 9 avril 2015

Contemporain des premiers travaux de Freud sur l’inconscient et l’hystérie, Guy de Maupassant écrit Le Horla en 1887, petit texte qui aujourd’hui est devenu l’un des ouvrages princeps de la littérature française étudié dans le champ scolaire. L’écrivain aurait assisté à quelques présentations de malades du Docteur Charcot à la Salpêtrière. Il s’est passionné pour les expériences de Mesmer avec son mystérieux « baquet » au 18e siècle démontrant les bienfaits de l’électricité sur les comportements humains et ouvrant ainsi la voie aux études scientifiques de la psyché humaine ; il a également suivi les travaux de l’École de Nancy sur l’hypnose et la suggestion, ce dont le héros du Horla témoigne dans la tenue de son journal.

C’est la soudaine perception et prise en compte de la présence de l’invisible (donc de l’inconscient), aux côtés des matérialités visibles de son monde familier, qui déclenche l’angoisse indicible du héros au début de son journal. Angoisse de cette présence immatérielle, mais agissante, qui va l’envahir jusqu’au moment de nommer cet être invisible le Horla comme double de lui-même, et dont il ne pourra se séparer que par sa propre disparition. Cette présence du Horla n’est pas sans rapport avec « l’inquiétante étrangeté » étudiée par Freud en 1919[1].

Le Théâtre de Châtillon vous propose une représentation du Horla le jeudi 9 avril 2015 à 20h30, mis en scène et interprété par Jérémie Le Louët (Compagnie des Dramaticules). À la suite du spectacle, nous vous invitons à participer au débat Café Psychanalyse en présence de François Regnault et Lilia Mahjoub, de Jérémie Le Louët (comédien) et de Christian Lalos (Directeur du théâtre de Châtillon).

Le spectacle étant en voie d’être complet, il est recommandé de réserver au plus vite vos places auprès du Théâtre de Châtillon au 01 55 48 06 90 ou par mail à billetterie@theatreachatillon.com

Affiche Café-psy 9 avril 15

Un aperçu vidéo du spectacle par le lien http://vimeo.com/75024775

  [embed]http://vimeo.com/75024775[/embed] [1] Freud S., « L’inquiétante étrangeté », Essais de psychanalyse appliquée, Idées Gallimard n° 353. Enregistrer

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La crise et ses nouages

Le 11 mars dernier, dans le local de l’ECF, s’est tenue une séance du Séminaire « Nouages », en préparation au prochain congrès de la NLS, « Moments de crise », à Genève, les 9 et 10 mai 2015. Le séminaire « Nouages » a pour fonction de tisser les liens entre les différentes sociétés de la NLS. Ce fut pour nous, les psychanalystes français, l’occasion de participer à ces échanges pour la première fois.

La soirée était présidée par Lilia Mahjoub, vice-présidente de la NLS. Elle rappela l’occurrence du terme « crise » chez Freud – crises de toux de Dora–, et, chez Lacan, crise du sevrage, voire crise permanente du transfert. Ces crises nous ouvrent à une dialectique dont l’obstacle est l’objet a. Cette boussole précise fit de ce moment l’acmé de la soirée.

Éric Laurent est intervenu sous le titre : « Effets subjectifs de la crise post DSM ». Dans « La science et la vérité », Lacan pointe que les crises de l’histoire de la science entraînent des crises subjectives chez les savants. Il revient sur la question dans sa conférence  « Le triomphe de la religion », pour se centrer sur l’angoisse du savant. À la différence de Freud, qui idéalisait les scientifiques, Lacan considère la science comme une profession impossible.

É. Laurent s’est ensuite référé à la crise actuelle de la psychiatrie et à ses symptômes subjectifs : cette crise a eu lieu au moment de la publication du DSM 5. Thomas Insel, président du National Institut of Mental Health, avait pu noter à ce sujet le peu de variations de cette version du manuel par rapport aux précédentes : la force et la fiabilité restent les mêmes et il n’y a pas de validité scientifique. Désormais, le NIMH réoriente sa recherche loin des catégories du DSM. À ces fins, il lance un nouveau projet : le Research Domain Criteria. En conséquence de cette crise, les symptômes pullulent : l’abîme se creuse entre la recherche fondamentale et les médecins qui tentent, en vain, d’obtenir une application à ces résultats, Big Pharma ferme ses portes pour sous-traiter la recherche avec des petites start-up privées, le désir des psychiatres est touché car les candidats sont moins nombreux que dans d’autres spécialités médicales. Enfin, les bulles diagnostiques comme le TDAH, permettent à certains individus de se retrouver dans des catégories, de revendiquer ensuite leurs droits ; les usagers et leurs souhaits orientent alors la recherche, la rendant imprévisible. L’usage off-label des médicaments est de mise. Autant d’effets subjectifs de cette crise des classifications qui sont à reprendre par la psychanalyse, qui peut souligner les modes de jouir qui s’ordonnent d’une crise. La crise est ce qui est logé comme faille fondamentale de la mentalité du sujet, au sens de Lacan. É. Laurent a rappelé que si la maladie mentale n’est pas entitaire, c’est la mentalité qui a des failles, d’où la crise.

Philippe La Sagna a mis en relief la crise comme « ce qui juge, ce qui décide ». Actuellement, en voulant éviter la crise à tout prix, on oublie sa valeur de critique. Déjà Erich Fromm, avec la Théorie critique spécifique de l’École de Francfort, s’en était servi vis-à-vis de la psychanalyse. P. La Sagna illustra par un cas clinique l’éclairage apporté par la crise  sur le rapport d’une femme à sa jouissance. En tant que psychanalystes, il nous revient de viser à transformer les effets de crise en effets de symptôme.

Inga Metreveli, membre de la NLS, de Moscou, est intervenue ensuite sous le titre : « La crise de la quarantaine ». Un homme vient la rencontrer à l’occasion de son 40e anniversaire, qui est aussi le jour anniversaire de la mort de sa mère. L’analyse va dévoiler, derrière cette crise, la position de ce sujet, partenaire idéal de sa mère. Cette position se décline dans le rapport à sa femme choisie en tant que mère potentielle. Le rapport à la femme est vécu comme impossible. À partir d’une demande impossible à l’analyste va s’opérer une rectification subjective de telle sorte que la crise de la quarantaine s’estompera au profit du début de sa vie d’homme.

Alexander Fedtchuk, membre de la NLS, de Novossibirsk, a présenté un cas clinique intitulé « Mauvaise fille, mauvaise femme ». Une femme de quarante ans se plaint de l’enfer quotidien que lui fait vivre son mari. Cependant, et malgré les humiliations infligées, elle n’arrive pas à prendre du recul. Si son mari la délaisse au profit d’autres femmes, c’est qu’elle est « mauvaise ». Alors qu’elle a le sentiment que l’analyste la maltraite, une crise survient dans cette cure. L’analyste épingle alors un signifiant-maître : « martyr ». La patiente saisit que son « martyr » n’est autre chose que la croyance dans la version maternelle du père.

Le débat a surtout porté sur les effets d’ouverture de ces crises transférentielles. É. Laurent a mis l’accent sur l’interprétation calculée comme le rapport de l’analyste à son inconscient, suffisamment apaisé pour pouvoir opérer sans penser. Les crises ont permis, en l’occurrence, de nouer quelque chose et d’arrêter la répétition.

Au milieu des disque-ourcourants actuels sur la crise, qui tentent la maîtrise à tout prix, la psychanalyse rappelle que le réel ne peut pas être apprivoisé. La crise décide puisqu’elle est émergence du réel. Il est donc plus urgent que jamais de suivre l’orientation par le réel : « Il ne faut pas trop dramatiser, quand même. On doit pouvoir s’habituer au réel », put dire Lacan en 1974.[1]

[1] Lacan J.,  Le Triomphe de la religion, Paris, Seuil, p. 93.

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