Événements

Lacan dans la maison de Freud

Un événement a eu lieu à Vienne les 24 et 25 avril 2015.

IMG_3386Cet événement n’est pas simplement venu de ce que le congrès du « Nouveau Champ lacanien autrichien » (Das Neue Lacansche Feld Österreich) ait eu lieu ces jours-là, mais de ce que, pour la première fois, il se soit tenu dans le Musée Sigmund Freud, au 19 de la Berggasse, c’est-à-dire dans la maison de Freud.

La centaine de participants a ainsi été accueillie par la nouvelle directrice du Musée Sigmund Freud, Madame Monika Pessler, venue, dès le premier jour, entendre Laure Naveau parler de l’invention par Lacan de la passe.

Le thème du congrès était « Le corps parlant » et était par là même articulé à celui du prochain congrès de l’AMP. Les sujets abordés ont été variés : les moments de crise dans une analyse (en lien avec le thème du congrès de la NLS), l’hystérie au XXIe siècle et la clinique psychanalytique d’orientation lacanienne.

Les interventions, faites par Laure Naveau et Pierre Naveau, ainsi que le cas présenté par Magdalena Sorger-Domenigg, ont été commentés par des membres d’une communauté de travail qui rassemble, depuis plusieurs années déjà, des psychanalystes autrichiens et israéliens – Avi Rybnicki (qui était l’organisateur du congrès), Shlomo Lieber, Mabel Graiver, Dafna Amit-Selbst et Norbert Leber.IMG_3392

Les séquences ont été modérées par Helga Treichl, Elisabeth Müllner, Roman Widholm, Christian Kohner-Kahler, Gerhard Reichsthaler et Andreas Steininger.

Les participants venaient donc de Vienne, mais aussi, par exemple, de Linz ou de Stuttgart, ainsi que de Jérusalem et de Tel Aviv.

Ce congrès du « Nouveau Champ lacanien autrichien » donnera lieu à une publication en langues anglaise et allemande.

Cette année 2015, Lacan est entré chez Freud.

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« Moments de crise » à Genève : entailles, faille, réel

« Le temps est la substance dont je suis fait. Le temps est un fleuve qui m’emporte, mais je suis le fleuve : c’est un tigre qui me dévore mais je suis le tigre ; c’est un feu qui me consume mais je suis le feu»[1] (Jorge Luis Borges)

Ce XIIIe congrès de la NLS s’est déroulé dans cette magnifique ville de Genève dans une ambiance accueillante et conviviale sous l’égide du tableau de Lucio Fontana « Attese ». L’œuvre exhibe des entailles qui traversent la surface de la toile « offerte au regard presque apaisante »[2] . Cette rencontre en tant que telle a fait entaille, tuche par son work in progress original, varié, créatif, et nous a donné à entendre et à mettre au travail des témoignages originaux de la crise dans tous ses états.

Le malaise dans la culture nous le montre : les crises se succèdent. « Le psychanalyste est ami de la crise »[3].

Nous nous sommes laissé surprendre par les différences séquences, autant de contingences inédites et inventives autour de la crise, des crises. Quand les semblants vacillent, l’entaille s’ouvre et laisse le temps de la crise nous saisir. Entre coupure, temps et attente, on retrouve les composantes de toute crise, nous dit François Ansermet. La temporalité était bien au rendez-vous : coupures cinématographiques comme discours qui alternent entre les séquences, entailles, événements, précipitations subjectives, hâtes de l’acte de dire, de démontrer, de témoigner, de conclure aussi. Les trois temps logiques que Jacques Lacan démontre avec l’apologue des trois prisonniers : l’instant de voir, le temps pour comprendre et le moment de conclure emportent ses participants vers les entours d’un réel qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, d’un réel qui échappe toujours.

Une entaille cinématographique

Récréations, un documentaire réalisé en 1992 par Claire Simon, montre une petite fille essayant de sauter, apeurée, dans le vide, assistée par ses camarades de classe, elles très à l’aise dans l’exercice. Temps réduit à zéro mais qui se précipite, aidée par le regard des autres enfants, à l’acte conclusif et si redouté : le saut. Ici, il s’agit d’un moment de crise comme moment décisif.

Parcours

Des incidences cliniques de la crise financière autour de la dette comme objet ; de la crise au symptôme ; la crise par la science, autour d’une métaphore sur le temps à l’heure où « le S1 se propose de prendre le relai » avec sa fétichisation du chiffre. Selon Lacan, le réel est impossible à calculer : le calcul est pris entre la crise permanente dans le système et la crise par le sujet ; des liens entre crise et acte, une entaille dans le dispositif pour viser l’insondable dans la vérité du délinquant sexuel et du criminel ; une séquence entre Alain Grorichard et Jacques-Alain Miller sur la clinique du cas Rousseau, démonstration remarquable de l’extension du concept de crise pour Rousseau avec une crise dans le corps. Quel est le moment de crise où Rousseau s’est fait un nom ? Il écrit que si on lui demandait ce qu'il voudrait être, il répondrait mort. Crise dans la clinique des catastrophes, de la rencontre avec le trauma, de l’immédiat comme manifestation du réel hors sens. Parfois la présence en-corps vaut comme la présence de l’analyste face à des personnes qui ne peuvent parler. Une question pointue a été posée à D. Creminter : est-ce que l’attentat de Charlie a fait tuche pour vous ? Crise et transfert ; crise et jouissance ; crise, adolescence et addiction.

La séquence des AE, crise et fin de cure, a clôturé magistralement le congrès avec cette question posée à chacun au plus près du réel : « la fin de votre analyse était-elle une crise ou pas ? » Recueillons quelques instantanées de la parole de chacun d’entre eux.

  • « Il n’y a pas de clé de la fin, il y a seulement des pièces détachées ». (S. Castellano)
  • « La lumière de l’obscur » ; « la morsure ça vivifie ». (D. Labro-Lacadée)
  • « Le corps a-larmé» ; « un saut dans le vide à la fin de l’analyse ». (M.-H. Blancard)
  • « Le rire, affect de gaité, une légèreté inattendue » ; « la libération de la chaîne du fantasme est momentanée » ; « à la fin de l’analyse, c’est une nouvelle histoire de savoir y faire avec ». (B. de Halleux)
  • « Si il n’y a pas de libido, je ne peux ni croire ni aimer ». (A. Aromi)
  • « Je ne peux plus faire comme si je ne savais pas » : « consentir au désir qui permet une extraction du fantasme ». (J. Lecaux)

Ces différentes séquences montrent la place du psychanalyste telle que Lacan l’indique : « Il faut en passer par cette ordure décidée pour, peut-être, retrouver quelque chose qui soit de l’ordre du réel »[4].

[1] Borges J. L., Œuvres complètes, Paris, La Pléiade, 2010, p. 816. [2] Commentaire de François Ansermet [3] Miller J.-A., « La crise financière vue par Jacques-Alain Miller », Marianne, 11 octobre 2008. [4] Cité par Lilia Mahjoub, Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 124.

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Bords et frontières, un réel est en jeu

Extensions du domaine de la guerre : sous ce titre s’est tenu, à la Comédie de Reims, un colloque résultant de la collaboration inédite entre trois institutions : l’ESAD, l’URCA et l’ACF-CAPA. L’affiche, réalisée pour le colloque par Kevin Zanin[1], est centrée sur un tube d’anthrax exhibé par Colin Powell, en 2002 à l’ONU, avec l’intention sursignifiée de maîtriser une épidémie mondiale et mortelle.

Épidémique la guerre l’est en effet, endémique même, car toujours déjà là, en germe, précédant tout discours, en tant que pour l’être humain parler veut dire consentir à une perte de jouissance qui se transforme à la première occasion en un ferment de ressentiment, d’envie, de haine, ferment de guerre donc.

Grande intensité tout au long de cette journée du 15 avril à la Comédie de Reims, pour décliner les extensions de la guerre dont l’absence de limites inquiète. Cette journée fut animée par le désir décidé de montrer, d'attraper, de dire le réel en jeu, plutôt que de se laisser captiver par lui.

Des moyens d’en découdre 

L’actionnisme viennois est évoqué d’abord par Maud Benayoun[2]. Avec leurs actions tonitruantes, leurs happenings dans les années soixante, les actionnistes sont objets de scandales, de répression et d’exil. Pour Otto Mühl, il s’agit de sortir du bourbier. Ils sont galvanisés par la pensée de Wilhelm Reich et veulent donner à voir les racines pulsionnelles de la culture. Seule vaut l’abréaction qui est recherchée dans une surenchère de provocations.

Le photographe d’art Emeric Lhuisset[3] présente un travail d’une tout autre texture, à partir de la photographie comme preuve d’un réel en jeu dans les scènes sur lesquelles il intervient aux côtés des combattants, en Syrie et en Colombie notamment. Preuve d’un réel qui lui permet d’opérer une distinction entre exactitude et vérité de l’image. Il s’expose, se déplace, invente pour chaque nouvelle situation un dispositif singulier : une micro caméra fixée sur la poitrine du combattant, comme un œil supplémentaire, et en avant ! L’œil voit autre chose que le photographe et autre chose que le combattant. Avec ce subterfuge, il met en scène ce qui, sans son acte, se serait sans aucun doute joué autrement : « Mon appareil photo est une arme plus puissante que ta kalachnikoff ! »

Yves Depelsenaire[4] et l’Artilleur 

« J’aime tellement les arts que je suis devenu artilleur. », dit Guillaume Apollinaire. C’est d’abord Guillaume et Lou, les éclats d’obus, et la troublante séduction de la guerre, son érotique, sa joie sauvage. Car « déplacer la guerre hors de l’humanité est une erreur. La jouissance de tuer et de se faire tuer est le fait du sujet humain, et fait déchanter. Aujourd’hui le déferlement d’images irréalise la guerre, et l’on peut se demander de quoi tout cela est le symptôme. Nous ne savons plus où est la jouissance dont nous orienter, dit Y. Depelsenaire.

« Nous n’avons plus à notre disposition que le rejet pulsionnel de la jouissance de l’autre, qui conduit logiquement à une volonté d’anéantissement de l’autre ». Sombre menace donc.

Genet

Avec Hervé Castanet[5], c’est la guerre de Jean Genet qui monte sur la scène. Un grand écrivain, animé par de grands engagements – Black Panthers, Fraction Armée Rouge, Palestiniens – qui le traversent et qu’il sert, en éternel vagabond comme il se dit lui-même, clochard supérieur. Corps vivant et parlant, mais d’abord corps jouissant. Qui ne méconnaît pas ce que Lacan désigne comme point de saloperie de tout un chacun, avec lequel il n’est jamais question de faire ami-ami. La thèse d’H. Castanet, forte, dépliée pour nous, est celle d’un nouage qui fait de Genet celui qui trahit la trahison même.

Vient ensuite Sylvie Blocher[6] qui présente, sur la scène de la Comédie de Reims, son extraordinaire lutte avec les corps réduits à l’esclavage, aux esclavages divers et infinis : au moyen de ses installations avec lesquelles elle met en scène des figurants, elle parvient, à leur grande surprise, à « faire tomber quelque chose des corps », selon son expression.

Le point d’orgue de la journée

Marie-Hélène Brousse[7] développe une question subsidiaire : « comment se dégager de cela ? », autour de deux axes, serrés dans l’ouvrage collectif La psychanalyse à l’épreuve de la guerre.

– Pas de guerre sans discours.

– La guerre est un mode de jouir humain, fondamental.

« Aujourd’hui la guerre est tout le temps et partout. Et force est de constater que quelque chose a changé du côté de ce qu’est un bord, une frontière ».

Quelque chose avec quoi il faut apprendre à faire, parce que nous n’avons pas le choix : faire avec ce nouveau symptôme de notre civilisation.

[1] Zanin K., Étudiant en design graphique à l’ESAD de Reims. [2] Benayoun M., Directrice de la collection Voix, livres d’entretiens avec des artistes contemporains BOOKSTORMING, en cours : livre avec Sylvie Blocher. [3] Lhuisset E., Photographe, dont on peut citer notamment : Photo-eye, Best Books 2014 : Markus Schaden, (web, 2014), nominated by Maison Européenne de la Photographie for Casa de Velasquez. Leica Oskar Barnack Award 2014 (nominated). Prix HSBC pour la photographie 2014 (nominated). [4] Depelsenaire Y., L’Envers du décor, ou l’art de la guerre, toujours recommencée, Nantes, Éd. Cécile Defaut, 2013. [5] Castanet  H., Le savoir de l’artiste et la psychanalyse. Entre mot et image, (suite), Nantes, Éd. Cécile Defaut, 2009. [6] Blocher S., artiste, site  sylvieblocher.net, La décolonisation du moi, Les utopies de la modernité sont achevées, Une gymnastique de l’altérité, etc. [7] Brousse M.-H., sous la direction de, ouvrage collectif, La psychanalyse à l’épreuve de la guerre, Éditions Berg International, 2015.

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Bienvenue à Gattaca : un thriller eugéniste

« Psychanalyse et cinéma » à Nice

L’ACF-ECA a eu l’honneur et la joie d’accueillir Gérard Wajcman à Nice, le samedi 28 mars, pour la première projection-débat de l’année organisée par le cartel « Psychanalyse et cinéma » autour du film d’Andrew Niccol : Bienvenue à Gattaca.

G. Wajcman qui a écrit que « le monde est une série ininterrompue de crimes »[2], ce que corrobore notre actualité, n’a pas manqué de souligner l’hommage rendu à Edmond Locard, l’inventeur de la criminalistique, et son principe : tout criminel qui agit laisse une trace de son passage. Le film débute sur la façon dont le héros procède pour effacer toute identification de son ADN. Mais un crime a lieu à Gattaca qui demande une enquête. Tout se transforme, comme ces ordures devenues soudain de précieux indices sur la scène du crime. La trace génétique et l’image falsifiées interrogent l’identité d’un sujet. Sur le plan judiciaire, l’identité s’est d’abord constituée par l’image, la photographie. Le rapport du sujet à son image a évolué avec les techniques. Si les portraits des peintres devaient être conformes à leurs modèles, ce rapport s’est inversé avec la photographie d’identité où le sujet doit ressembler à sa photographie. Les avancées de la science ont éloigné l’identité de l’image au profit des empreintes, digitales puis génétiques. Au cinéma, les inspecteurs de police ont tronqué leurs révolvers pour des cotons tiges.

L’image et le regard peuvent-ils être remplacés par la certitude des techniques biologiques d’identification ? Le héros a recours au piratage génétique, il utilise les marqueurs d’un autre. « Ce n’est pas toi qu’ils voient, ils ne voient plus que moi », dit celui qui lui prête son corps. Alors, ce n’est plus l’image qui trompe, mais la certitude qui aveugle.

Le débat s’est ouvert sur la question d’un désir plus fort que la science : est-ce une fiction ? Un réel ? Le héros est prêt au sacrifice de son propre corps pour réaliser son rêve : aller sur Titan. Pour Gérard Wajcman, qui débusque les récits d’une société jusque dans ses créations cinématographiques, c’est un « film de garçon » où le héros ne se laisse pas détourner de sa quête d’un ailleurs, fût-ce pour Uma Thurman !

Dans son commentaire, il a mis en valeur l’actualité de ce film (1997). La science, en place de maître des lois de la nature, ici par la sélection génétique des individus, prend la place d’un Dieu leibnizien qui calcule tout. Une conception bien loin du réel sans loi qui oriente la psychanalyse et de la question de l’inconscient qui se loge dans un petit détail, un ratage, mis en valeur, à la fin du film, par une remarque du médecin : « un droitier ne tient pas son “outil” de la main gauche ». Face à la perfection des machines à identifier l’ADN, ce médecin avait découvert, dès le début, d’un simple coup d’œil, l’usurpation d’identité sur laquelle est bâtie l’histoire. G. Wajcman pointe la place centrale de ce personnage qui sait voir ce que les machines ne détectent pas. Ce médecin n’est pas dupe, et choisit, délibérément, de ne pas dénoncer le héros. Une dimension politique se profile dans la trame du film avec ce personnage qui résiste à un système qui fonctionne sans aucune contestation, pas même celle du héros qui en a été la première victime.

Ce film glacial, « un zéro pointé au thermomètre de la jouissance » pour G. Wajcman, nous fait trembler par son eugénisme décomplexé, irréfutable parce que présenté comme porteur d’un monde meilleur. Il illustre aussi comment, quand le système symbolique ne tient plus, on se tourne vers le corps pour trouver des réponses. La vérité est située dans le corps, et l’on sait combien ce modèle s’impose : recherches sur le cerveau pour approcher l’inconscient, recherches paléoanthropologiques pour expliquer la vie sociale. Ici le salut passe par la perfection des corps.

[1] Ce texte reprend les thèmes développés lors de cette rencontre, C. Bonneau est le Plus-un du cartel et les membres sont : A. Ardisson, P. Bouda, M. Harroch, S. Kernachi, B. Lacasse. [2] Wajcman G., Les Experts. La police des morts, PUF, Paris, 2012, p. 39.

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« La sécurité : force des États et lien social »

Paris, préparation à PIPOL 7, 15 avril 2015

Le 15 avril dernier, se tenait à Paris une soirée préparatoire au prochain congrès de l’EuroFédération de Psychanalyse, PIPOL 7, dont le thème est cette année « Victime ! » (les 4 & 5 juillet à Bruxelles). Préparation issue d’un satellite à Victime !, qui lui donnait son titre : la sécurité. En sous-titre, l’annonce pointait le cadre : Force des États et lien social. L’invitation à cette soirée laissait donc entendre une question : comment nous débrouillons-nous aujourd’hui, à l’heure des attentats multiples en Europe qui ont vu des exactions particulièrement violentes ? Question, car s’orienter dans les politiques publiques en ces matières n’a rien d’une évidence.

C’est ce que nous fera entendre Corentin Segalen, que les responsabilités ministérielles actuelles et le parcours universitaire depuis plusieurs années en matière de sécurité (tant en France, à Toulouse ou Paris, qu’au Royaume-Uni, à Londres), ont amené à établir un certain nombre de constats qui démentent les a priori nombreux que l’on peut avoir sur ces questions. Il dira combien, pour lui, le 21 avril 2002, qui a vu le Front National au second tour de l’élection présidentielle française, a fait signal, dès cette époque-là, d’un enjeu à travailler alors qu’il était militant à Paris.

C. Segalen nous livrera ainsi quelques notions qu’il est bon de rappeler. Ainsi, la transparence de la Police ne s’oppose pas à l’ordre public (voir à ce propos les émeutes de 2005). La prison, pour sa part, a tendance à accentuer fortement l’ancrage d’un délinquant dans la délinquance. Quant à l’insécurité, si l’on regarde les chiffres, C. Segalen soulignera que le pays n’a jamais été aussi sûr qu’aujourd’hui : 770 meurtres en 2014, lorsque ce chiffre dépassait les 2200 dans les années 1960. Mais, si les chiffres rassurent parfois (C. Segalen mentionnera sur ce point les dégâts de la course aux objectifs quantitatifs pour la Police, rivée sur l’idée de devoir « faire du chiffre »), Éric Laurent va faire porter l’accent sur ce qui leur échappe dans le contemporain, en livrant une formule choc : l’avenir du non-quantifiable est le passage à l’acte.

D’une certaine manière, cette soirée fut une ponctuation dans les vagues médiatiques qui augmentent la confusion dans laquelle nous mettent les actes terroristes récents. Car, qui est garant du maintien de l’ordre dans ce moment ? Guy Briole va attirer notre attention sur une reconfiguration de la Police et de l’Armée, en montrant combien le déplacement des commandements, voire l’abandon d’un certain nombre de prérogatives confiées jadis aux militaires, finissent par jeter le trouble sur la question de la sécurité publique. Sur cette ligne, il insistera sur le décalage qui existe entre les menaces terroristes et la gestion publique de ces menaces, dont l’étude ou l’observation est désormais confiée par exemple à des laboratoires privés.

Cela fut l’autre apport de cette soirée, conduite par Jean-Daniel Matet, Président de l’EuroFédération de Psychanalyse, en présence d’un public extrêmement nombreux et attentif à l’ECF : il n’y a pas que les États qui sont concernés par la gestion de la sécurité. Il y a aussi chacun qui est concerné par la formidable expansion des données recueillies en matière de santé ou de psychisme, par des entreprises privées spécialisées dans le numérique, notamment. É. Laurent pointera d’ailleurs ce qui échappe au périmètre bureaucratique et s’est déplacé vers une technologisation toujours plus poussée du marché.

Ce marché, Jacques-Alain Miller, depuis la salle, va en reprendre la notion et produire un éclairage saisissant : Victime !, pour la psychanalyse, est d’abord une question de parole. Le phénomène nouveau, ce sont les victimes, aujourd’hui, qui le sont au titre d’une désorientation dans le discours du maître, auquel le Un, notamment islamique, vient faire pendant, dans un espace qui n’est plus géographique mais topologique. Un caricaturiste dessine-t-il à Paris que deux heures plus tard, des exactions sont commises à plusieurs milliers de kilomètres. Précipitation de l’instant de voir. L’adhésion populaire à la Police s’en trouve également changée, puisque nous voilà précipités aussi dans les bras du discours du maître comme ultime abri. J.-A. Miller apportera au passage cette distinction entre la Police anglaise et la Police française, en ceci que la première n’a pas commis le Vel’ d’Hiv’, ce qui en France change la donne.

Quelles perspectives alors pour la psychanalyse ? J.-A. Miller soulignait non sans malice et humour que la psychanalyse n’a pas à être auxiliaire du maintien de l’ordre, puisque son terrain est d’abord celui du désir, non celui de la réhabilitation symbolique dans un monde qui n’est plus ordonné par le Nom-du-Père, qui n’est plus fondé sur la solidité des identifications. En ceci, les nouvelles victimes de la désorientation dans le marché tapent aux portes. En cela, le thème de PIPOL 7 se trouve densifié à l’issue de cette soirée préparatoire.

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Gérard Depardieu, le corps parlant

Gérard Miller poursuit son étude de portraits, de caractères, d’hommes d’exception, en réalisant avec l’aide d’Anaïs Feuillette des films pour la télévision qui sont à chaque fois applaudis par l’opinion. L’enthousiasme de cet accueil est évidemment mérité, tant chacun des morceaux de cet opus est fabriqué avec intelligence, minutie et conviction, G. Miller proposant avec sa voix soyeuse une interprétation ferme et structurée du personnage qu’il étudie. Ici la forme égale le fond, la délicatesse du style se noue à la profondeur de la perspective pour faire de ces émissions un moment de bonheur télévisuel où l’on a cette impression exquise de se sentir intelligent.

Après DSK l’homme qui voulait tout, c’est Gérard Depardieu qui était mis en scène, pendant une heure et demie, le lundi 23 mars sur FR3, à 20h30, sous le titre : Gérard Depardieu, l’homme dont le père ne parlait pas. Deux millions de téléspectateurs ont regardé ce film dès le lundi soir, et il a fait partie des replay les plus visionnés de la Toile. Les critiques ont été unanimes à saluer la réussite de l’entreprise, quelquefois avec naïveté : « Gérard Miller psychanalyse Gérard Depardieu »[1] ; quelquefois avec finesse : « Ce n’est pas un hasard si après avoir réalisé un document sur DSK, Gérard Miller et Anaïs Feuillette ont souhaité en réaliser un sur Gérard Depardieu. Ils trouvent entre les deux hommes au moins un point commun : l’inconscient de l’acteur, comme celui de l’ancien directeur du FMI, est celui d’un personnage de roman »[2]

Un vrai roman – on pense à Sollers. Pourtant ce n’est pas ce trait là qu’épaissit G. Miller, même si son commentaire tend à donner du sens à la trajectoire d’une vie, en l’orientant selon une ligne simple, un arc élégant, c’est-à-dire en nouant le réel et sa fiction. C’est plutôt le nom de jouissance du sujet que cherche à fixer – au sens photographique – G. Miller dans le portrait qu’il fait. Le bain révélateur est le savoir de la psychanalyse, l’application, l’immersion dans ce bain spécial n’a pas ici de prétention thérapeutique (« section de psychanalyse appliquée, ce qui veut dire de thérapeutique »)[3], mais a vocation de révéler quelque chose qui pouvait passer inaperçu. Par exemple, la thèse qui gouvernait le reportage sur Dominique Strauss-Kahnn était l’illimité de son vouloir. Avec G. Depardieu, même s’il y a ici aussi la découverte d’un personnage que rien n’arrête – est-ce une fascination ?, mais sans doute « l’homme sans ambages »[4] exerce t-il sur tous les hommes un tel attrait –, l’orientation se fait plus avec la petite boussole du nachträglich, du point de capiton, pour dessiner moins un « Je suis ce que je suis » qu’un « Je suis comme mon père ». La voix off de G. Miller dit un commentaire qui sait se lover dans la recommandation de Lacan : « le rhéteur qu’il y a dans l’analyste n’opère que par suggestion. Il suggère, c’est le propre du rhéteur »[5].

« De sa vie, pour ceux qui n’en connaissent que son écume »[6], commence G. Miller avant de plonger dans la nature des vagues qui ont construit ce gigantesque acteur, « il n’y a pas, comme le laisse entendre avec dépit l’opinion commune, deux Gérard Depardieu, celui des valseuses et le russo-belge qui s’enfuit pour ne pas payer le fisc. Il a grossi mais il n’a pas changé. » Il est, comme le dit à un moment sa seconde femme, « immensément fidèle ».

Cet exorde posé, la biographie peut se déployer, écrite sur le mode d’une chronologie minutieuse qui, de Châteauroux à nulle part, à huit cents kilomètres à l’est de Moscou, à travers des interviews de ses amis, de ses femmes, de G. Depardieu lui-même, soutenue par une image toujours élégante, jamais ostentatoire, décrit avec cette neutralité bienveillante qui est le lot du psychanalyste, un homme à la présence inouïe. Pourtant il était né non désiré, d’une mère résignée et d’un père taiseux – le Dédé –, dans une famille de six enfants. « Je suis né là, le long des murs de la rue du Maréchal Joffre, quartier de l’Omèle, à Châteauroux. On vivait dans deux petites pièces, on était les uns sur les autres »[7].

Adolescent, il aurait pu se laisser aller à rien, envahi par l’ennui, mais son désir visible, incandescent, quelque chose d’intense fut remarqué, et « celui qu’on ne pouvait pas retenir » fut accueilli par une famille de bourgeois castelroussins éclairés. Puis il part à Paris avec son copain Michel Pilorgé et très vite il réussit. Jean-Laurent Cochet, à qui il s’impose dès l’instant qu’il le voit, dit de lui : « C’était un viking. Il a fait une entrée fulgurante, inoubliable, dans mon univers. »

Bientôt, G. Depardieu est surpris de « lire pour la première fois des choses gentilles écrites sur un type qui portait le même nom que moi ».

Puis la biographie se déroule : les années 70 avec le succès des Valseuses, son mariage avec Elisabeth et les deux enfants, la maison de Bougival ; les années 80 avec la rencontre avec Truffaut – « Je suis un Jeune Premier agricole », dit l’acteur – ; les années 90 avec Cyrano, l’Oscar du meilleur acteur qu’une cabale montée contre lui l’empêche d’obtenir. C’est la « première attaque fragilisant l’homme à qui tout réussissait ». Déprimé par Hollywood, il trouve des racines angevines, et les images sont belles où, avec Jean Carmet – encore un père de substitution –, ils se font, comme deux jeunes poulains qu’ils ne sont plus, des tendresses inquiètes. Jean Carmet meurt, et Barbara et Marguerite Duras. « Je suis vide », dit G. Depardieu.

« L’arrivée du XXIe siècle allait sonner définitivement le glas du bonheur », note en écho G. Miller. Guillaume, le fils de G. Depardieu, meurt. À l’église, celui-ci lit la fin du Petit Prince : « -Tu comprends. C’est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C’est trop lourd »[8].

C’était fini. « La suite était du bonus », comme dit l’un de ses amis. Il n’habite pas le château qu’il a acheté, c’est pour le regard des autres, lui habite en face. « Je n’ai aucune sensation de bien-être de propriétaire. » Dans Mammuth, il roule en moto à la recherche d’un passé improbable. Dans son dernier film, il retrouve Isabelle Huppert pour partir dans Valley of Love à la recherche d’un fils disparu.

Trente ans d’analyse n’ont pas réussi à mordre sur ceci que « Gérard Depardieu n’a jamais eu d’aptitude au bonheur ». Il n’a cessé de rencontrer des pères, de Mahomet à Mitterrand, sans pouvoir jamais se fixer à un objet perdu dès le départ. « Je voulais des enfants, mais pour la suite je ne savais pas. Il aurait fallu que je trouve les mots, mais les mots je ne les avais pas. J’ai la capacité de dire ceux des autres mais, pour les miens, je suis toujours le fils de Dédé. »

Il est finalement l’envers du Cyrano qu’il incarna si bien, qui parlait autant qu’il voulait, mais était empêtré par son corps. G. Miller avait autrefois fait un exposé sur le masochisme du héros de Rostand qui toujours renonce à accueillir les fruits de la gloire : « Eh bien ! toute ma vie est là : Pendant que je restais en bas, dans l’ombre noire, D’autres montaient cueillir le baiser de la gloire ! »[9] Depardieu, dit Miller, est l’homme dont le père ne parlait pas, et qui d’ailleurs dut, au début de sa carrière, prendre des cours d’orthophonie pour apprendre à parler. Et peut-être « son long voyage, ajoute-t-il, ne fait-il que le ramener dans le Berry, à Châteauroux…/… Il est resté l’enfant à qui son père n’avait jamais dit non, à qui sa mère avait toujours laissé sa porte ouverte. »

Oui sans doute. Mais ajoutons peut-être, avec notre misérable langue de bois, que le sens de l’histoire de cet homme ne sait pas dire comment, pourquoi, cet acteur est un acteur de lalangue. Par exemple, jouant Britannicus au début de sa carrière, G. Depardieu rapporte que, disant : « J’aime, (que dis-je, aimer ?), j’idolâtre Junie. »[10], il entendait que Junie jaillissait de l’âtre où elle gisait. Et il ajoute : « Ce n’était pas si loin, ce sens caché ». Nombreux sont ceux qui ont noté ses deux voix, la douce et la tonitruante. Chacun voit bien que G. Depardieu est un familier de sa lalangue, et aussi qu’il est un corps, une présence, un charisme sans racines, un corps parlant.

Son dernier mot ce n’est pas « Mon panache » cher à Cyrano c’est, dans une interview au Courrier de l’Ouest, au moment du dernier Festival Premiers Plans : « On m’a viré de la France. » [11]

Je ne sais plus comment m’habiter.

[1] TV mag, www:/BFMTV.com.culture/gerard-miller-psychanalyse-depardieu [2] www:/France3.fr [3] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 231. [4] Lacan J., « Subversion du sujet... », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 825. [5] Lacan J., « Le moment de conclure », Ornicar ?, Bulletin Périodique du Champ Freudien, Automne 1979, 19, p. 8. [6] Miller G., Feuillette A., Gérard Depardieu, l’homme dont le père ne parlait pas, 2015, 90 minutes, production Morgane-Deux cafés l’addition, idem pour les citations suivantes sauf autres occurences. [7] Depardieu G., ça s’est fait comme ça, XO éditions, 2014, p. 11. [8] Saint-Exupery (de) A., Le Petit Prince, Paris, Gallimard, 1946, p. 88. [9] Rostand E,. Cyrano de Bergerac, Acte V, scène VI, 2500, Paris, Le Livre de Poche, 2011, p. 345. [10] Racine J., Britannicus, Acte II, scène II, 380, Paris, Folio, 2000, p. 72. [11] Courrier de l’Ouest du 19 janvier 2015.

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Un homme seul

L’Envers de Paris vous convie à une soirée au Théâtre de la Colline[1] ce samedi 18 avril. Philippe Benichou et Christiane Page débattront à l’issue de la représentation avec Christine Letailleur qui met en scène Hinkemann d’Ersnt Toller. Une pièce bouleversante, écrite en 1921, sur la solitude d’un sujet et l’impossibilité d’aucune solution politique à son malheur, sur fond de la montée de l’antisémitisme dans l’Allemagne de l’après Première Guerre mondiale.

Christine Letailleur nous parle de son choix de monter cette pièce aujourd’hui :

« […] Pourquoi monter à un moment donné tel texte et pas un autre ? Pourquoi est-ce une nécessité, cruciale, voire obsédante ? En fait, je me suis aperçu, à travers les œuvres que je montais, qu’une question me taraudait, m’obsédait : la question du désir. […] Les deux derniers textes que j’ai montés, Le Banquet de Platon et Hinkemann de Toller, interrogent fortement cette notion-là. […]

Entre Platon et Freud, entre Toller et Freud, il y a des ponts. Hinkemann, c’est l’histoire d’un jeune soldat qui s’en revient de la guerre mutilé et amputé. […] il comprend qu’il ne pourra parvenir à retrouver une paix intérieure, un quelconque bonheur sur terre : “Au fond, Priape”, écrit Toller, “ce dieu au sexe dressé, est notre seule raison de vivre”. […] Par-delà l’aspect historique, sociologique d’une époque donnée […], cette œuvre nous renvoie aussi à nous-mêmes, à notre propre société, à notre propre modernité. Qu’est-ce qui fait qu’un homme, ou une femme, puisse se sentir, aujourd’hui, à l’image d’Hinkemann, mutilé, amputé dans sa propre chair ? » (Entretien avec Christine Letailleur par Christiane Page, à paraître dans Théâtre et psychanalyse : regards croisés sur le malaise dans la civilisation, dir. C. Page, C. Korestzky et L. Jodeau-Belle, éd. L'Entretemps.)

[1] La Colline, théâtre national, 15, rue Malte-Brun, 75020 Paris. Réservations au tarif préférentiel de 20 euros (14 pour les - de 30 ans) auprès de Ninon Leclère au 01 44 62 52 10.

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« La guerre, effet de discours »

Soirée de la Bibliothèque de l’École de la Cause freudienne

jeudi 2 avril 2015

Cette Soirée de la Bibliothèque proposait une conversation entre le public et certains des auteurs ayant participé à l’ouvrage collectif paru en ce début d’année, La psychanalyse à l’épreuve de la guerre[1], établi sous la direction de Marie-Hélène Brousse. Les auteurs présents (Marie-Hélène Brousse, Nathalie Georges-Lambrichs, Bénédicte Jullien, Bertrand Lahutte, Yasmina Picquart, Francis Ratier, Antoni Vicens) ont pu discuter des différents enseignements que la psychanalyse et les psychanalystes peuvent tirer de cette activité proprement humaine qu’est la guerre.

Considérer la guerre comme effet de discours, c’est aborder la face obscure de la civilisation et écarter l’idée commune d’opposer guerre et civilisation, la guerre étant alors comprise comme simple assouvissement de la dite agressivité naturelle de l’homme. Bien au contraire, conjointe au processus de civilisation, la guerre est aussi source de création, comme le manifeste l’épanouissement de l’ingéniosité humaine en temps de guerre – il n’y a qu’à voir l’ensemble des progrès que font la science, la technique, la technologie, la médecine, etc., en temps de guerre, depuis le début de l’histoire de l’humanité, pour s’en convaincre. Insistant sur le terme de « commerce » dont parle Lacan dans le Séminaire V, quand il dit de la guerre qu’elle est la modalité fondamentale du « commerce interhumain », Marie-Hélène Brousse souligne et précise en quoi la guerre a un lien plus structural que la paix avec la constitution de l’objet commun puisqu’elle partage entièrement ce qui le fonde : soit la rivalité (dimension imaginaire avec le stade du miroir) et la concurrence (dimension symbolique avec la valeur phallique).

L’autre enseignement que la guerre peut apporter à la psychanalyse, consiste à prendre au sérieux la dimension réelle qu’elle porte en son sein. Tout d’abord dans le simple fait qu’elle est ce qui revient toujours à la même place : dans l’histoire de l’humanité, la guerre est la norme, la paix, l’exception. Mais plus encore, la guerre enseigne sur la jouissance en présentifiant le réel de la mort qui vise le vivant dans l’effectivité de la destruction des corps biologiques, dimension inséparable de toute véritable guerre digne de ce nom. En ce sens, pour reprendre l’hypothèse que proposait Laura Sokolowsky dans son introduction, « détruire les corps pour imaginer le réel : ce serait, peut-être, l’inconscient de la guerre. »

Mais n’a pas été oublié non plus au cours de cette soirée ce que la pratique de la psychanalyse peut enseigner sur la guerre. Si l’un des deux axes qui ont présidé à l’élaboration de La psychanalyse à l’épreuve de la guerre est l’axe épistémique, le second est celui de la clinique, au un par un, comme ont pu en témoigner au cours de cette soirée Antoni Vicens et Yasmina Piquart. Ils ont chacun fait part, l’un sur la guerre d’Espagne, l’autre sur la guerre d’Algérie, via leur propre expérience de la psychanalyse, de la façon dont la guerre leur était intime.

Enfin, thème des plus actuels, cette soirée s’est terminée sur les perspectives théoriques et cliniques qui se présentent aux psychanalystes lacaniens d’aujourd’hui quant aux nouvelles modalités de manifestation de la guerre en ce XXIe siècle, étant entendu que la guerre demeure un des phénomènes fondamentaux qui nous renseigne sur la manifestation du réel de la jouissance dans nos sociétés contemporaines.

[1] Brousse M.-H. (sous la direction de), La psychanalyse à l’épreuve de la guerre, Paris, Berg International, janvier 2015.

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La solitude de la victime[1]

Le thème « La solitude de la victime » a été abordé à travers la question du langage : celui-là même qui parfois ne répond plus face à l’horreur.

Le recours à l’analyste, à rebours des collectifs de victimes, introduit le sujet à un bien-dire qui fera son chemin au-delà du pathos.

Les événements de l’Histoire font apparaître ce qui atteint le fondement du langage :

- l’indicible et l’impossibilité de penser,

- la politique du langage et l’exil de la langue,

- la solitude du sujet.

De nos deux invités, Jean-Louis Aucremanne, psychanalyste auprès de toxicomanes en institution, rencontre ces violences du /et dans le langage.

Comment se tenir à la hauteur du réel de façon digne ? Comment œuvrer avec le réel ? sont les deux questions qui orientent une éthique. Interroger à quel Autre le sujet a affaire quand il est poussé aux insultes, à l’agression, à se faire le déchet du monde… Apprendre la langue du sujet et le poids des mots pour lui, c’est faire de l’institution une alternative de paroles.

Mais nous ne sommes pas dans une pastorale, et si le langage selon Georges Steiner peut avoir une certaine force de vie, il peut aussi devenir une « mécanique gelée » et amener la mort de la culture.

Que pouvons-nous apprendre des artistes, des poètes ? J.-L. Aucremanne rappelle que si le mot est le meurtre de la chose, sous la chose soi-disant morte la pulsion est toujours vivante, irréductible à une simple cognition. La poésie n’est-elle pas « résistance » ? C’est à travers l’œuvre de Francis Ponge, puis celle d’Antonin Artaud, que J.-L. Aucremanne nous mène à cette respiration vitale : il faut parler contre la langue, contre les paroles entendues, contre la jouissance mortifère et trouver dans la langue « ce qui la brise ».

C’est avec son goût de la langue, des langues, que Susanne Hommel, quant à elle, nous restitue son « passage » d’un pays à l’autre, d’une langue à l’autre :

« Être née en Allemagne en 1938 faisait de moi une victime qui n’avait pas le droit de se plaindre puisque j’étais du côté des bourreaux. Il fallait faire avec cette “profonde fissure” comme disait Freud : “déchirure dans le Moi, qui ne guérira jamais plus”[2].

En allemand, victime se dit Opfer et résonne dans le corps comme résonne le cri dans la tragédie grecque. Le franchissement de la position de victime se fait dans l’urgence, dans une fraction de seconde. Souvenir-écran de notre départ de Dresde, Opfer-stadt, par le dernier train grâce à la fraction de seconde de la décision maternelle. Sauvés !

Ainsi Thomas Bernhard[3] évoque lui aussi des moments de ruptures radicales, de décision, de questions de vie ou de mort. Au moment de l’acte on ne réfléchit pas aux conséquences, c’est un temps logique, comme l’acte d’Antigone vis-à-vis de Polynice.

Petite fille allemande victime de la peur, de la faim, du froid, mais aussi victime de ne pas pouvoir revendiquer d’être victime. La culpabilité et la dette ont en allemand le même signifiant : Schuld !

Cette phrase de mon amie Anne-Lise Stern, déportée à Auschwitz, “nous sommes allemandes toutes les deux” a été un cadeau inouï, m’extrayant de la position de bourreau.

Quitter l’Allemagne, couper, tout était à inventer au risque de rencontrer le vide… J’ai refusé la langue allemande pendant des années, l’analyse me l’a rendue. »

Précieux temps de travail qui a traité d’une profonde « question humaine », celle de la vigilance que nous devons porter à l’usage de la langue, comme il a été dit dans la conclusion.

[1] Après-midi proposé par le Bureau de Rennes de l’ACF-VLB et préparé par Caroline Doucet, Véronique Juhel, Gaël Nevi, Géraldine Somaggio – Avec deux invités : Susanne Hommel et Jean-Louis Aucremanne [2] Freud S.,  « Le clivage du moi dans le processus de défense », Résultat, idées problèmes II, Paris, PUF, 1985, p.284. [3] Bernhard T., Sur la terre comme en enfer, traduit et présenté par Susanne Hommel, La Différence, 2012.

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La pulsion, de la vie à la mort

Pour aborder la difficile question de « La pulsion et le corps, de Freud à Lacan », l’ACF réunionnaise a choisi un lieu de rencontre, la salle de cinéma.

L’obscur éclairé par la lumière de l’image y est propice à mettre le parlêtre en situation d'y éprouver ce qui  vient à s’écrire et qui le concerne et s’y révèle.

Pari est fait que le film La fureur de vivre sera le pré-texte ouvrant à une rencontre possible autour de la pulsion et la puberté.

Découvrons ici l’argument à partir duquel offre sera faite d'une conversation avec le public.

Analystes et analysants vont au cinéma. Certains cinéastes se sont intéressés plus particulièrement à la psychanalyse et l’on trouve parfois son influence dans leurs œuvres. Le cinéma peut alors devenir un outil sur lequel prendre appui pour illustrer les notions théoriques qui sont abordées lors du Séminaire d’introduction à la psychanalyse, dont le thème de cette année, articulé sur trois séances est : « La pulsion et le corps, de Freud à Lacan ».

Ce thème nous permet de nous questionner sur la distinction entre organisme et corps. Comment, par quoi, le corps est-il habité ? Quelles sont ces manifestations corporelles qui parfois nous encombrent ? Pour trouver une réponse à ces questions, c’est du côté de la pulsion, que nous devons chercher. C’est ce que J.-A. Miller rappelle : « Le corps parlant parle en terme de pulsions »[1] et c’est ce que Sigmund Freud, au début du XXe siècle, nous transmet dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle.

C’est là qu’il emploie pour la première fois le terme de pulsion en développant la pulsion sexuelle à l’instar de celle de la faim. Ce n’est pas un instinct, mais un besoin qui appelle à la satisfaction par des voies différentes, même marquées du sceau de l’interdit, car des déviations sont possibles. Mais, pour qu’il y ait satisfaction, des objets doivent entrer en scène. Freud note que quel que soit le rapport du sujet à l’objet, quelle que soit la valeur accordée à cet objet, la pulsion trouve toujours un moyen pour se satisfaire.

C’est à partir de l’écoute de ses analysantes hystériques que Freud déploie le symptôme comme voie où puisse se frayer une pulsion sexuelle « développée » lorsqu’elle entre en conflit avec un rejet exagéré de la sexualité.

C’est en observant des enfants, et le plaisir trouvé dans certaines de leurs activités que Freud démontre que la pulsion trouve sa voie de satisfaction d’abord par le corps propre et ne demande qu’à se répéter. Nous sommes aujourd’hui loin du scandale que les notions de sexualité infantile et de pervers polymorphe ont déclenché à l’époque et il est admis aujourd’hui que l’enfant est un chercheur. Sa pulsion de savoir s’appuie sur le plaisir scopique et il a un attrait pour des questions d’ordre sexuel.

Les sensations éprouvées dans le corps dès le plus jeune âge, par l’autoérotisme ou en lien avec l’Autre, ont une place prépondérante dans nos représentations psychiques. Les activités sexuelles inscrites dès la prime enfance vont laisser des traces dans les modalités de rencontre avec l’Autre, et dans la construction du lien social. Les pulsions partielles, toujours à l’œuvre malgré le primat du génital, vont modeler la singularité du sujet dans son rapport à l’objet et ainsi teinter son mode d’être au monde, donner « corps » à ses petites particularités, faire que le corps parle, faire de l’homme un parlêtre.

La fureur de vivre[2] est le film qui a été choisi par notre séminaire pour aborder la pulsion à la puberté. La quête d’amour, les amitiés fortes, la remise en question de l’autorité parentale mais aussi l’appel au père en tant que référence, sont les thèmes mis en avant dans le scénario. Un adolescent est en quête d’une place, attend de son père qu’il occupe pleinement la sienne. Tout se bouscule lorsqu’il rencontre une jeune fille en mal d’amour. Le déferlement de la pulsion sexuelle à l’adolescence entraîne le déchaînement des émotions et des sensations. La pulsion cherche sa satisfaction, et parfois même au prix de la mort. La fiction rencontre ici la réalité, puisque James Dean, révélé par ce film, décède avant même la première projection au cinéma, à cause de sa passion pour la vitesse.

[1] Miller J.-A., Présentation du thème du Xe Congrès de l’AMP, Rio de Janeiro, 2016, « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n° 88, Paris, Navarin, 2014, p. 112. [2] Réalisé par Nicholas Ray, 1955, avec James Dean, Nathalie Wood, Sal Mineo.

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