Événements

Condamnés l’un à l’autre ?

 À La Rochelle, après une connexion « Voile et psychanalyse » organisée par l’ACF-Aquitania, Isabelle Autissier, bien que pressée par le temps, a accepté de répondre à trois questions que lui a posées Paul Gil, membre de l’ECF et responsable[1] de la délégation Charente-Maritime.

Dans son dernier roman, « Soudain, seuls », le couple des personnages principaux se retrouve en effet condamné l’un à l’autre, quasiment naufragé sur une île déserte des « cinquantièmes ». C’est avec ingéniosité qu’Isabelle Autissier situe l’essentiel de l’action sur l’île de Stromness, qui fut l’issue salvatrice pour l’expédition Shackleton et garde des traces de l’industrie baleinière passée. Des trois protagonistes, elle, lui et leur couple, lequel parviendra-t-il à survivre ?Bandeau_web_j452_def2

Isabelle Autissier répond à trois questions de Paul Gil

Paul Gil Dans votre dernier roman, le drame de ce couple tient-il à l’affrontement de l’amour et de ce que vous appelez l’instinct de vie ?

Isabelle Autissier – Ce n’est pas un affrontement entre l’amour et l’instinct de vie, à un moment le sentiment d’humanité, d’empathie, d’amour, qui est le sentiment propre à l’humain, vient se heurter à ces sortes de limites physiques que sont la faim, le froid. Et à ce moment, effectivement, ce qui m’a intéressée, c’est que le couple se pose la question : est-ce qu’on survivra mieux ensemble, ou chacun de son côté ?

Donc, ce n’est pas totalement une concurrence mais, oui, la question se pose.

PG – Accepteriez-vous qu’on voie dans l’épreuve de ce couple particulier une allégorie du couple en général ?

IA D’une façon pas aussi violente, oui bien sûr, parce qu’un couple est à mon sens une façon de composer avec ce qu’on peut être individuellement, personnellement, et avec ce qu’on trouve dans le couple qui nous conduit à changer un peu nos stratégies, nos façons de faire, pour tenir compte de l’autre. Soit parce qu’on a de l’empathie, soit pour faire perdurer cette association qui permet de belles choses.

PGDans votre roman, c’est une femme qui dit à Louise, l’héroïne, que « l’instinct de vie ne se communique pas. Toi et moi, nous l’avons, pas eux. » Alors, est-ce que l’instinct de vie est plus évidemment féminin ?

IAJe ne sais pas, je le fais dire à ce personnage parce que c’est dans sa logique. Elle le dit aussi à son interlocutrice, pour l’encourager. Lui dire : « Tu ne t’es pas trompée », c’est une façon de la rassurer sur ce qu’elle a fait. Je pense tout de même, ne serait-ce qu’à travers la maternité, qu’il y a un rapport à la vie qui n’est pas le même pour les hommes et les femmes. C’est à mon avis plus distancié, compliqué, pour les hommes. Les hommes donnent la vie par l’intermédiaire d’une femme, ce n’est pas un rapport immédiat pour eux.

[1] Avec Sophie Lafossas-Leynaud.

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« Mais qu’est-ce donc qui les pousse à traverser les océans ? »

Aujourd’hui, si la mer a perdu ses secrets, si l’on peut anticiper ses humeurs, le navigateur est devenu compétiteur, rivé à l’exploit, à la performance, son point de visée est de boucler la boucle. Ce navigateur est, entre autre, un corps complété de la série des objets techniques les plus précis et les plus sophistiqués apportant performances et dépassements. « Mais qu’est-ce donc qui vous pousse à traverser les océans ? » fut la question posée à Isabelle Autissier et Fabrice Amadéo[1] lors de la rencontre qu’organisait l’ACF-Aquitania à La Rochelle le 10 octobre.

La navigation, pour Fabrice Amédéo, apparaît comme « une certaine forme de douleur, le froid, le manque de sommeil […] une jouissance physique, une drogue dure, une espèce d’adrénaline qui donne envie d’y retourner […]. Ce sont aussi les moments d’émotion, de plénitude […] seul sur un bateau, je suis un animal solitaire qui doit se dépasser, prendre des risques ». Il évoque le sentiment océanique : « sur l’eau, il m’arrive d’avoir des moments de contemplation, de ressentir une présence physique ».

Isabelle Autissier nous indique : « ma vie entière a été structurée autour de la mer […] la navigation, c’est ce qui est le pivot, la toile de fond de mon existence, c’est ma méthode à moi d’exister dans la communauté des humains […] c’est là qu’il faut que je sois […]. Le bateau est un prolongement de moi… la mer, elle me comble, elle me donne l’occasion d’aller partout où ma curiosité m’emmène ».

Évoquant le corps (le corps parlant était à l’origine de notre conversation) elle avance qu’« il s’agit d’abord de sensations où l’on éprouve le mouvement du bateau sur l’eau, l’odeur de la mer […]. Cela parlait à tous mes sens […] aussi bien au corps qu’à mon esprit ; la douleur… jamais, c’est pour me faire plaisir ! »

Et la solitude? Ce n’est pas tant de solitude dont il s’agit mais d’éloignement : « ce n’est pas tant être seul qu’être loin. Il y a le moment où l’on a l’impression de rentrer dans la solitude […] cet isolement, il est intéressant parce qu’il est choisi, il nous permet de nous exprimer complètement […] je n’ai jamais été aussi près des autres que quand j’en suis loin, on ne fait plus de blabla, on dit l’essentiel […] j’ai pas mal appris sur mes relations aux autres en étant sur un bateau […]. Les filles supportent assez bien la solitude ».

Et, bien sûr, il y a ses partenaires :

Ses bateaux : Ada dont elle parle dans Salut au Grand Sud[2] d’une façon inattendue. « C’est une fille ! Il n’y a pas à s’y tromper. Une allure élancée, des flancs généreux sous une robe grise qui manque, c’est vrai, un peu de coquetterie ; et surtout cette inimitable façon de poser la hanche sur l’eau, avec douceur mais fermeté. Ada est bateau-fille[3] ».

Ses copains : elle nous explique « quand je suis toute seule, je m’invente des copains, le vent, les nuages, l’eau ».

La mer : « C’est du dur, on ne discute pas, on ne compose pas, Il n’y a pas de blabla avec la mer : c’est ça que j’aime bien », précise Isabelle Autissier. C’est là, semble-t-il, sa façon à elle de parler du réel : pas de négociation possible.

La contingence, toujours là tapie dans l’ombre, l’évènement imprévu toujours susceptible de survenir à tout instant, quel que soit le soin qu’on a mis à tout préparer : « un bon marin c’est quelqu’un qui se prépare à l’imprévu […] cela fait partie des plaisirs de la navigation, il y a des surprises, la part de l’imprévu […] ce que j’adore, quand je pars, c’est que je ne sais pas ce qui va se passer deux heures après […]. Cet ailleurs où le temps n’est pas le même, cela me renouvelle ». Dans Salut au grand sud, elle écrit : « notre avenir peut basculer ici et maintenant à tout instant »[4]. Partenaire possible de la contingence : la mort. Il ne s’agit pas pour les navigateurs de tutoyer la limite comme c’est le cas pour beaucoup d’alpinistes : « une bonne navigation est une navigation sans peur. Mais quand la tempête est là, il faut bien l’affronter. C’est solide un bateau. »[5]

[1] Fabrice Amédéo, navigateur, journaliste sportif retenu par les préparatifs de la prochaine transat Jacques Vabre, avait fait parvenir une vidéo. Ses propos sont repris de cette vidéo. Ceux d’Isabelle Autissier, sans références, sont extraits de la conversation que nous avons eue avec elle lors de la rencontre.

[2] Autissier I., Orsenna E., Salut au Grand Sud, Paris, Stock, 2007.

[3] Ibid., p. 39.

[4] Ibid., p. 119. [5] Ibid., p. 260.

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Écho de l’ACF-Île-de-France Histoire de la psychanalyse au Mexique

Le 28 mai 2015 a été organisée avec l’Association Franco-Mexicaine de Psychanalyse LaZo(s), la NEL-Mexico et l’ACF-IDF, la première rencontre à Paris autour de l’histoire de la psychanalyse au Mexique. Accueillis dans la très belle salle de l’Université de Chicago à Paris, les fils rouges de la soirée étaient : Ana Vigano, Liliana Salazar, Véronique Outrebon et Miguel Sierra.

Mariana Alba de Luna nous fait vivre cette réflexion qui ne fait que commencer…

 Cette rencontre, ouverte à toute personne intéressée, eut le mérite de voir réunis les acteurs de notre temps qui écrivent l’histoire et la questionnent. Ceux qui écrivent l’histoire, c’est bien connu, ce sont les étudiants. Étudiants d’un jour, d’une période, étudiants toujours. Nous sommes donc venus tous en étudiants questionner les origines de la psychanalyse dans ce pays si surréaliste qu’est le Mexique. Des étudiants doctorants en psychologie, psychanalyse et histoire ont répondu à notre invitation, accompagnés des étudiants de la psychanalyse que nous sommes tous quand le savoir nous questionne et que nous le laissons nous questionner.

Elena Monges, historienne mexicaine, nous a présenté une partie de sa recherche autour du premier manicomio d’État (Maison des fous) : La Castañeda. Construction commandée et inaugurée en 1910 par le président mexicain Porfirio Diaz qui voulait faire de son pays une autre France. Nous avons constaté que derrière les belles pierres édifiées s’édifiait également une ferme volonté de ségrégation et d’ordre moral imposé afin de mettre hors de vue ceux qui dérangent. La division de la population entre folie et raison, valides et déviants était à l’œuvre. Le corps des femmes prostituées enfermées avait été utilisé pour tenter de cataloguer la folie. L’imaginaire collectif, qui construisit ce lieu à l’image de l’hôpital d’Auxerre et autres hôpitaux français visités par une commission mexicaine d’experts dans ces années-là, continue d’être en grande partie le ciment et le socle de l’orientation hygiéniste qui, de nos jours, plane encore comme un fantôme dans les hôpitaux psychiatriques mexicains. Autre détail : voulant protéger la population d’une possible contagion, les fous avaient été placés derrière les murs, loin de la métropole. Avec le temps, les habitants des bourgades avoisinantes se sont mis à régler leur vie quotidienne au rythme des sonneries hebdomadaires de La Castañeda ! En se nouant au temps des villageois, le temps des fous était ainsi venu régler leur normalité supposée. Le leurre de la division voulue par le grand Autre échoua, laissant la fluidité psychique faire son œuvre.

Carolina Becerril a fait ses études dans les années soixante dix en lien avec des associations psychanalytiques naissantes dans la ville de Mexico. Des médecins psychiatres étaient de retour des pays où ils étaient eux-mêmes allés chercher une formation psychanalytique (Angleterre, Argentine, USA et France). Ils imposèrent à leurs analysantes désireuses de s’installer le veto de l’usage du divan et du mot psychanalyse. Ils les nommèrent Las Viudas de Freud (les veuves de Freud). La reconnaissance ne pouvait venir pour eux que de leur croyance dans les préceptes de l’IPA, qui réglementait à cette époque leurs querelles internes et frustrations collectives de façon très hiérarchique. Celle-ci comptabilisait l’obtention du titre de psychanalyste en donnant des « garanties » de cette nomination en fonction du nombre de séances et des supervisions suivies par le candidat, et non pas sur l’expérience et résultat d’une analyse personnelle. Ana Viganó, notre invitée, nous fit remarquer que pour eux, dans cette nomination outrageuse, se cachait probablement une mise à mort déjà accomplie de Freud.

Carlos Gomez Camarena, doctorant à Paris VII, aborda avec beaucoup de sagacité la façon dont, au Mexique, le monde de l’art et du théâtre avait été aussi un des premiers lieux d’accueil de la psychanalyse et de ses effets. Il nous invita à revisiter l’œuvre théâtrale Feliz nuevo siglo, Doktor Freud, de Sabina Berman (d’ailleurs fille d’une des psychanalystes dites Viuda de Freud) autour du cas Dora, grâce à l’apport de Bruno Bosteels, critique littéraire. B. Boostels affirme qu’aucune histoire de la psychanalyse en Amérique Latine ne peut être complète sans prendre en compte les développements créatifs, artistiques ou les fictions qui vont parfois plus loin que les dispositifs cliniques et institutionnels. Avec Lacan on peut affirmer en effet que l’artiste ici ou ailleurs, précède le psychanalyste.

Dans les trois exposés, nous avons pu extraire un trait commun, celui de la féminité, qui depuis l’origine de la psychanalyse reste incontournable. Lacan nous propose une orientation plus serrée de ce qui pour Freud était resté un continent noir, et qui pour nous maintenant a à voir plus précisément avec la position de l’analyste en fin d’analyse. Nous avons pu constater aussi que certains traits de l’histoire des institutions psychiatriques font dangereusement retour dans l’actualité de notre siècle où les apports de Freud et Lacan voudraient être encore effacés à la faveur de classifications aveugles et d’un « pour tous » de la norme.

Cette première rencontre nous a ouvert un passionnant chemin de savoir et de recherche de filiation théorique qui va se poursuivre. Il se veut itinérant entre Paris, Mexico et Barcelone. Nous continuerons donc à nous interroger et à cheminer. La prochaine rencontre aura lieu le 15 janvier à l’Hôpital Saint-Anne.

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Insistance des protocoles, persistance du désir

En 2001, Jacques-Alain Miller nous prédisait : « Le privé devient public. C’est là un vaste mouvement, un destin de la modernité, et la psychanalyse est entraînée pour le meilleur et pour le pire. » Et il ajoutait que les psychanalystes ne pourraient pas garder longtemps une « distance volontiers sarcastique à l’endroit de la politique »[1].

Le Forum Campus-psy qui vient d’avoir lieu à Rennes, organisé par l’ACF-VLB et les sections et antennes cliniques, avait pour titre Insistance des protocoles, persistance du désir. La communauté analytique, pratiquant dans des champs très divers, était largement mobilisée. Dans notre société désormais sous la dominance des protocoles tous azimuts, les cliniciens, loin de garder une « distance sarcastique », ont remis sur le métier la question de leur rapport au savoir statistique. Cinq cents personnes étaient présentes, témoignant, si nécessaire, combien la tension entre protocole et clinique est vive, tension qui nécessite une recherche conceptuelle afin de dégager une position éthique.

S’il y a un sujet du protocole, comme il y a un sujet de la science, celui-ci s’en trouve mortifié, mais il n’en est pas aboli pour autant, et le désir persiste ainsi que l’angoisse. Nos nombreux invités en ont témoigné : pour Jean-Paul Vernant, hématologue à la Pitié-Salpêtrière, il n’est pas question de subvertir le type de protocole mis en œuvre dans son service, pour un traitement ciblé de la leucémie myéloïde chronique. Personne d’ailleurs n’y songerait. « Les paroles ne changent pas le protocole », ajoutait-il. De quoi s’agit-il ? Qu’est ce qui, ici, est en jeu ?

Le travail de cette journée, progressivement, va nous éclairer sur ce qu’il en est de cette tension protocole-clinique, avec comme point d’orgue, la conférence d’Éric Laurent.

Les métaphores pour la dire ont été multiples :

- la stratégie du cheval de Troie, nous suggère François Brunet, professeur de droit, qui démontre qu’aujourd’hui l’économie du chiffre est devenue un discours plus efficace que celui des normes juridiques. Nous assistons à une politisation de l’économie, à une fragmentation des sources du droit, à une prise du pouvoir des bureaucraties. Mais en même temps, avec les cas de jurisprudence qui se multiplient, une subjectivation du droit fait gagner du terrain aux droits individuels. Les règles changent, provoquant un sentiment d’insécurité juridique. Sur le mode du cheval de Troie, choisissons, nous dit-il, la subversion de l’intérieur, permettant d’inventer, mais il s’agit d’une invention qui porte à conséquences.

- la désobéissance d’un petit soldat. Subvertir de l’intérieur, Frédéric Haury, directeur d’un ITEP, s’y emploie et voici comment : au cours d’une évaluation externe, réussir à sortir de la confrontation imaginaire par une lecture attentive des textes mêmes sur les évaluations et y trouver un point d’appui. Ceci nécessite de s’extraire du sens et de jouer de l’équivoque. Un nouvel usage des textes devient alors possible et crée un espace de respiration.

- antidote ? Laurence Cornu, philosophe et enseignante, résiste contre la normalisation du vocabulaire, et invite à être attentif à l’inattendu. Pour Rémi Lestien la loi (sur les PMA) et les protocoles sont hétérogènes et on se confronte toujours à l’impossible réalité. Entre l’universel et le particulier du cas il est nécessaire, dès qu’il y a une proposition pour tous, qu’une instance vérifie si le cas tombe bien sous le coup de la loi. Faisons naître cette instance. Le protocole du cas par cas serait un bon protocole !

É. Laurent reprend la distinction – qu’il nous avait explicitée lors de l’interview accordé à Accès n° 8 et édité à l’occasion de ce forum – entre, d’une part, les calculs de masse faits sur de longues séries et utilisés par les bureaucraties sanitaires pour calculer les traitements les plus efficaces et, d’autre part, un autre usage des calculs utilisés, cette fois, par les multinationales pour recueillir les données biologiques concernant chacun d’entre nous et qui proposeront une médecine personnalisée tenant compte de la singularité biologique de chacun.

Le savoir statistique ne met pas en question le savoir clinique lorsqu’ils sont disjoints. Pas question de réfuter des protocoles de revérification de procédures lorsqu’ils font diminuer le taux de mortalité dû aux maladies nosocomiales. Par contre, le savoir du clinicien est touché lorsqu’il y a conjonction entre savoir statistique et savoir clinique, lorsque le savoir du clinicien est soumis au contrôle statistique. Le clinicien doit alors se soumettre à une autorité supérieure (celle du « manager » hospitalier ou celle du statisticien). Les effets se font alors sentir sur le désir, faisant naître le sentiment que son savoir baigne dans une aura d’irréalité, et le faisant douter de sa position.

Ce savoir clinicien, indique É. Laurent, sera doublement touché par le savoir statistique qui s’impose sur les cas particuliers, calculant les risques à partir des données biologiques de chaque individu.

Pourtant, c’est dans cet écart entre la moyenne et le cas particulier qu’É. Laurent nous invite à revivifier le savoir clinique ; c’est là où peut s’exercer la faculté de juger du clinicien et où celui-ci peut y retrouver son acte. Et non seulement l’y trouver mais, surprise…, le potentialiser par l’utilisation des résultats que la technologie contemporaine lui permet d’utiliser. Il ne s’agit donc pas d’opposer calcul et désir, mais de rendre le désir informé des avancées scientifiques, de créer une nouvelle figure : le désir post-série statistique. Lacan parlant de l’acte analytique le disait déjà : non pas l’acte « d’un seul », ineffable, mais il invitait le clinicien à se former à l’exigence de la logique propre à l’acte, au-delà des embarras du narcissisme. Il exige une certaine destitution subjective, et l’angoisse est toujours au cœur de l’acte analytique, index qu’un désir est en jeu.

Un des aspects selon lesquels Lacan a considéré les effets de la science est qu’elle a fait disparaître, sous la production de sa littéralité, toutes les métaphores qui représentent la nature à partir de l’imaginarisation du rapport sexuel. De plus, elle a fait surgir le trou dans le savoir en faisait valoir qu’il n’y a pas de théorie du Tout.

Voir le rapport entre savoir statistique et singularité du désir comme un rapport de l’homme contre la machine est une opposition fausse. En effet, la façon dont on pourrait se servir de cet objet produit par la science qu’est la série statistique dépend de l’acte. Notre rapport aux statistiques, aux algorithmes en général, sera un rapport politique.

[1] « Lacan et la politique », entretien avec Jacques-Alain Miller, propos recueillis par Jean-Pierre Cléro et Lynda Lotte, Cités, n°16, Paris, Puf, 2003, p.105-123.

 

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L’accueil de la parole de couples avec enfants

Bandeau_web_j452_defMarie-Noëlle Faucher a témoigné de sa pratique au lieu d’accueil enfants-parents « La Baroulette » lors de la Conversation « Couples avec enfants » qui s’est tenue à Rochefort, organisée par l’ACF Aquitania en préparation aux 45es Journées de l’ECF « Faire couple – Liaisons inconscientes » qui se tiendront à Paris les 14 et 15 novembre 2015.

Les lieux d’accueil et d’écoute enfants-parents sont en prise directe avec les effets de la modernité. La famille se confronte aux bouleversements des valeurs traditionnelles, conséquences d’un capitalisme débridé, ainsi qu’à la disjonction de la filiation et de la sexualité qu’introduisent les avancées de la science. L’idéal conjugal des couples s’étant libéré de l’institution du mariage, la famille contemporaine s’organise autour et à partir de l’enfant, selon des repères qu’elle se choisit. Cela ne va pas de soi.  La Baroulette, un lieu d’accueil orienté par la psychanalyse  Ce lieu anonyme, gratuit, offre aux familles actuelles inquiétées par les exigences de normalisation des comportements des enfants, un autre écho, celui de préserver la singularité de l’enfant. En supervision, la psychanalyse d’orientation lacanienne privilégie « la juste mesure du symptôme »[1] comme repère. Nous recevons des enfants accompagnés d’adultes, pères, mères, grands-parents ou nounous. Les accueillants alternent sur le lieu. Et le tissage de ces rencontres se fait au moment de la supervision. Nous y amenons ce qui s’est passé auprès d’un enfant ou bien ce qu’on a entendu dire par un parent, ce qu’on a cru percevoir de singulier dans un apparent bavardage. Quels mots ou attitude décalée nous sont venus ? L’éclairage influencera notre position, nos dires ou nos silences. Faire couple, liaisons inconscientes  « Ici résonne tout un monde : tension entre l’un et le deux, soi et l’autre… »[2] Nous percevons dans le lieu d’accueil la recherche de chacun pour vivre en couples avec des enfants. J’ai été intéressée par l’émission de France Inter « Tea time club » du 8 août dernier, « Vivre seul, à deux, à plus », dans laquelle, selon Marie-Hélène Brousse, le couple, la relation exclusive d’une personne avec une autre, qu’elle soit amoureuse, amicale, professionnelle…, est devenu un modèle aujourd’hui. On considère que c’est l’idéal à atteindre, c’est sécurisant. Dans l’émission même, M.-H. Brousse dit que « le temps, la durée, aujourd’hui, c’est un réel contre lequel le couple vient se fracasser. C’est important que le désir de chacun soit relativement présent – que ce ne soit pas une espèce de désir unique. Le secret d’un amour durable, c’est d’avoir la conscience de vivre avec une personne qu’on aime… »[3]  Couples avec enfants – inventions « Il n’y a pas de rapport sexuel mais il y a une relation de jouissance au partenaire symptôme »[4]. Faire couple dans une bulle : Mme V. tient à donner le sein à son enfant de deux ans. « C’est, dit-elle, lui qui décidera d’arrêter. Je ne veux pas lui infliger cette frustration. » L’enfant parle encore très peu. Son regard a des expressions furtives de satisfaction. À la veille des vacances d’été, cette maman assure qu’elle a très envie de passer les vacances à quatre, avec son mari et ses enfants dans une bulle, pour profiter d’eux. Un moment plus tard, elle dit tout l’intérêt qu’elle porte au film qui vient de sortir, Papa ou Maman, histoire d’un couple qui a tout pour être heureux, bons métiers, trois beaux enfants, mais décide de divorcer. Ils vont tout faire pour se renvoyer mutuellement la garde des enfants. Elle apprécie que ce film aborde un sujet tabou : « retrouver une liberté ! » Ils ne partagent pas le même appartement, pour ne pas user leur amour : C’est une décision qu’une femme et un homme nous disent avoir prise, ne se voir que le week-end pour préserver la durée de leur couple. Autour d’eux, beaucoup de leurs amis divorcent. Leur enfant va chez l’un ou chez l’autre. L’histoire de ce couple semble s’écrire et tenir surtout autour de l’enfant qui fait lien. C’est le père qui se charge du quotidien de l’enfant. Être un père est une construction de tous les instants, qui vient répondre pour lui, à la question « qu’est-ce qu’un père »? Dans ce couple, c’est la femme qui est aux commandes : La mère, dans cette famille nombreuse, ne manque pas d’affirmer « je sais comment on élève les enfants », énergiquement, dictant sa loi, comme sa propre mère l’a fait. Son mari nous confie « elle n’est pas facile ». Les enfants mélangent les mots, n’écrivent pas leur prénom, crient entre eux, nous regardent en nous défiant. Nous tenons le débordement pulsionnel au plus près, patiemment. Nous opposons avec fermeté qu’ici, c’est nous qui disons ce qui convient. Couple mère-enfant-grand-mère : Venir se poser à La Baroulette quand on est seule avec un enfant, cela peut-être une solution pour une femme très liée à sa propre mère. Son enfant marche à peine, elle nous dit avec colère que « Samuel n’a pas de papa ». Nous reprenons ses paroles à l’intention de l’enfant : « son papa n’est peut-être pas avec vous, mais Samuel a un papa comme tout enfant ». Dans sa « Note sur l’enfant » Lacan écrit que « l’enfant dans le rapport duel à la mère lui donne, immédiatement accessible […] l’objet même de son existence […] Il en résulte […] qu’il est offert à un plus grand subornement dans le fantasme »[5]. Pendant de nombreux mois, ne pas questionner, apprivoiser chez Mme C. son goût du silence pour qu’elle s’ouvre un peu à l’échange et chez l’enfant les gestes débordants de prendre et jeter les jouets, permet petit à petit à la pulsion d’être nouée aux mots. L’enfant se sépare d’un trop, pour se mettre à réclamer les petits mots écrits d’un accueillant inventif. Il entre à l’école. Mme C. revient seule, pleurer à l’accueil. Quelque temps plus tard, elle attend un deuxième enfant dont le père ne reste pas. Elle nous dit aussi qu’elle emménage avec sa mère. [1] Gil P., « L’accueil de la parole des parents », La lettre mensuelle, Paris, n° 259, juin 2007, p. 19. [2] Alberti C., argument des 45es Journées de l’ECF Faire couple – Liaisons inconscientes. 3 Propos cités par Brousse M.-H., « Tea time club », France Inter, 8 août 2015, http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1135913 4 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le partenaire-symptôme », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université de Paris VIII, leçon du 27 mai 1998, inédit. 5 Lacan J., « Note sur l’enfant » Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 374.

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Seminario Latino de Paris – L’Envers de Paris

El Seminario Latino de Paris vous invite à faire une lecture en espagnol du Séminaire de l’Orientation lacanienne, El Ultimísimo Lacan de Jacques-Alain Miller, édité par la Editorial Paidós.

Ce cours est consacré au tout dernier enseignement de Lacan où la primauté du symbolique, c’est-à-dire de la parole dans l’inconscient, est abandonnée en faveur d’une version de l’inconscient abordé par le corps pris dans ses trois dimensions : symbolique, imaginaire et réel. La psychanalyse est une praxis, un savoir-faire nous permettant d’opérer avec ce corps.

Avec l’éclipse de l’ordre symbolique, l’inconscient passe d’être structuré comme un langage à l’inconscient comme un mode de jouir de la langue qui laisse ses traces dans le corps. Dans cette métamorphose de la psychanalyse, nous avançons par un inconscient fait de la pure matérialité de la langue hors-sens, les événements du corps sont contingents, il ne s’agit pas d’une destinée.

Notre objectif est d’analyser les événements qui ont lieu dans notre société où la psychanalyse a son mot à dire. Nous sollicitons votre lecture engagée, à travers le prisme lacanien du corps parlant et de l’inconscient, sur les effets du discours scientifique et de son articulation au discours capitaliste ; l’administration de la vie par les bureaucraties contemporaines ; le terrorisme et les fondamentalismes ; l’art et la subversion, et les nouveaux modes de jouissance.

Vous êtes invités à suivre cet enseignement et à présenter vos travaux articulés autour de l’ultime enseignement de Lacan. Chaque soirée, un modérateur sera chargé de commenter El Ultimísimo Lacan, trois jeunes intervenants viendront analyser l’actualité à partir de leurs recherches et le public sera invité à poser des questions.

Le séminaire est ouvert au public. Vous pouvez dès maintenant contribuer à son work in progress et envoyer une demande d’inscription au Seminario Latino de Paris à la Direction du Seminario Latino de Paris : Eugenia Varela eugeniavarelanavarro@gmail.com

La première séance aura lieu le mercredi 25 novembre 2015 à 21h00 à la Maison de l’Amérique Latine, 217 boulevard Saint Germain, 75007 Paris.

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Affaire de discours

La formule lacanienne « Faire couple », mise en valeur à l’occasion des prochaines Journées de l’ECF, a servi de vecteur à deux cartels dédiés à cet événement. Il s’agissait d’échanger avec d’autres disciplines et – pourquoi pas – donner le désir de participer aux Journées. Comment le couple du XXIe siècle, adossé à de nouveaux semblants, tient-il le coup face à des pousse-à-jouir toujours plus débridés. « l’homme, la femme n’ont aucun besoin de parler pour être pris dans un discours » , remarque Lacan. Comment repérer les effets de ce discours « dans le champ dont se produit l’inconscient, puisque ses impasses […] se révèlent dans l’amour » . Pour trouver des réponses à ces questions, les cartellisants se sont tournés vers les fictions modernes, et notamment le cinéma. Leurs travaux ont été présentés à Marseille le 24 septembre 2015 lors d’une soirée des cartels.

Laurence Martin repère dans Amour fou de Jessica Haussner les effets mortifères d’une jouissance qui, bien que singulière, conduit ici deux a-mants à faire couple dans une mort commune. « Incapable de vivre mais [refusant] de mourir seul et sans amour », Kleist cherche désespérément une « âme sœur qui comprendra [sa] souffrance et sera semblable à [lui] afin [qu’ils puissent] mourir ensemble ». Contre toute attente, sa demande en suicide rencontre chez une femme, Henriette, un consentement. « Je vois la vacuité de mon existence telle que vous me l’avez décrite ». Le signifiant va alors percuter son corps dans une étrange maladie. L. Martin montre comment l’œuvre laisse deviner, sous les semblants du romantisme, un réel discordant. À la place même de l’amour fou, das Ding.

À sa manière, Alain Cavalier fait couple lui aussi avec une morte. La femme qu’il a aimée, disparue en 1972 dans un accident de voiture, est l’unique objet de son œuvre et le titre de son film Irène. Ne cherche-t-il pas, à travers son œuvre, à restituer ce qui manque à l’image pour symboliser la mort ? Telle est la question de Jennifer Lepesqueur. Comme affronté à une impossible métaphore, l’auteur s’attache à suivre métonymiquement les objets du quotidien d’Irène, comme autant de divins détails d’un manque à être, porté à l’incandescence par la perte. Irène voulait mourir, il en a la certitude. A. Cavalier préfère certes « être seul dans [son] tête-à-tête avec Irène » , mais il réussit par son art des semblants à faire frémir en nous ce qui, du non rapport sexuel et de la mort, reste muet, insaisissable. « Comment deux personnes aussi différentes qu’elle et moi pouvaient-elles faire route ensemble ? »

La réflexion de Ianis Guentcheff, à partir du film Les mains négatives , nous reconduit curieusement à ce nouage du cri et de l’écrit dont parle Lacan dans la même page. « Un homme et une femme peuvent s’entendre [...] Ils peuvent comme tels s’entendre crier. Ce serait un badinage si je ne vous l’avais pas écrit. Écrit suppose, au moins soupçonné de vous […], ce qu’en un temps j’ai dit du cri » . Le film de Marguerite Duras est d’abord un écrit. Elle indique dans son recueil que l’écrit était inévitable, alors qu’il « était évitable de le filmer ». Nous sommes ici à la racine des conditions de structure qui font du faire couple, pour l’être parlant, à la fois une nécessité et un impossible. La main négative , parce qu’elle parvient à l’Autre et en raison de sa structure de coupure, est un cri. Telle est la thèse de I. Guentcheff : « Il n’y a pas trace d’un homme qui a crié, la trace est un cri. Un cri comme projection du vide insoutenable de l’être ». « Il y a au départ un exil de la langue de l’Autre. En résulte ce que M. Duras appelle le désir. Ce désir s’adressera à une femme » « J’appelle celle qui me répondra » , dit-elle. Pour M. Duras, le cri signe la préhistoire du désir en un temps où « le mot n’a pas encore été inventé ». Le manque à être est alors le premier partenaire, ce dont témoigne « la trace négative ». La partenaire du suicide, la partenaire du deuil, la trace négative… autant d’opérations qui consistent à faire passer du registre de l’objet imaginaire à une construction symbolique, faisant ainsi de ces couples fictifs autant de symptômes.

 

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BILLET

« Soirée spéciale vers les J45 »,

mardi 22 septembre à Saint Quentin,

dans le cadre du Séminaire d’étude

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Sous le titre : « Emmanuel Carrère d’un couple à l’autre, vers d’autres vies que la sienne », Virginie Leblanc nous a donné sa lecture de l’œuvre. Thomas Roïc nous a présenté le travail de l’artiste Sophie Calle. Les deux exposés se sont croisés, en rendant les liaisons conscientes et inconscientes de l’un à l’autre sensibles et convaincantes.

Formidable soirée et pari tenu par nos collègues lillois, de faire apparaître les « liaisons inconscientes » que peuvent susciter les artistes auprès de leur public et de leurs lecteurs, ainsi que celles qui les animent et qui sont peut-être, on est en droit de le supposer, à l’origine de leur démarche ou de telle ou telle de leurs œuvres. E. Carrère d’abord, et sa fascination féroce pour l’acte horrible qui vient ruiner tout espoir d’humanité, S. Calle ensuite, qui utilise la douleur et l’errance pour des compositions soigneusement mises en scène et orchestrées, chacun nouant à sa façon théâtre, littérature et photographie. V. Leblanc et T. Roïc nous ont fait sentir comment les deux artistes appuient leur travail sur ce qui leur vient de l’Autre, mais aussi du semblable, du passant attrapé comme au hasard, et cependant jamais quelconque, car toujours articulé à leur démon intime.

Ceci n’est pas sans évoquer pour nous ce qui se joue sur cette « Autre scène » où les rêves, les actes manqués, les lapsus, le symptôme dévoilent quelques fragments de l’inquiétante étrangeté qu’est l’inconscient dans le parcours d’une cure, parfois jusqu’à son ressort secret.

C’est avec précision et au travers de citations choisies que V. Leblanc nous emmène bien au-delà de l’analyse littéraire, le long des méandres du processus créateur de plus en plus autobiographique chez E. Carrère. T. Roic nous présente S. Calle avec élégance, et avec le même souci d’exactitude que celui qui anime l’artiste. Il nous fait toucher l’humour et l’angoisse que produisent certaines de ses réalisations, son œuvre ; il nous fait saisir ce qui, dans sa démarche étrange et paradoxalement intrusive, insiste et fuit à la fois.

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« Pas de deux, faire couple ? »

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Samedi 12 septembre, les ACF Aquitania et Midi-Pyrénées s’étaient donné rendez-vous à la Chambre des Métiers d’Agen pour reprendre, sous le sceau de l’amitié, leur cheminement vers les J45, situées à l’horizon de cette rentrée studieuse et gaie à la fois. La matinée, structurée par un intercartel, réunissait des travaux issus de cartels des deux ACF à partir d’une recherche proposée en ces termes : « Pas de deux, faire couple ? »

Autrement dit, si le couple signifie « deux », qu’est ce qui fait tenir le lien entre ces deux là ? Qu’est ce qui fait tenir la « danse » du couple ? Portés par le thème des journées de l’ECF à venir : « Faire couple – Liaisons inconscientes », les produits des cartels ont tenté de cerner le moment de la rencontre amoureuse et la façon dont l’inconscient y prend sa part.

Des discussions avec une salle très mobilisée sont venues scander le temps où ces couples issus du cinéma, de l’art, de la littérature et de la mythologie ont déployé leurs arabesques nuancées. Nuancé, le mot fit mouche en début d’après midi au cours de la séquence où Michèle Elbaz et Danièle Lacadée-Labro, AE en exercice, commentaient chacune une citation de Lacan portant sur le couple. Il nous fut rappelé à cette occasion que le Docteur Lacan abandonnât les formules logiques pour passer à la topologie au cours de laquelle il introduisit la couleur des ronds. Grâce à cela, il y a le jeu borroméen des couleurs qui permet donc tout un camaïeu de nuances que la logique ne permet pas. « […] dans le sexe, il n’y a rien de plus que, dirai-je, l’être de la couleur […] il peut y avoir femme couleur d’homme, ou homme couleur de femme »[1]. Cette assertion étonnante s’est éclairée, un peu, au cours de la conversation à laquelle prirent part aussi Rodolphe Adam, Marie-Agnès Macaire, Alain Merlet, Patrick Monribot, et Francis Ratier. La conférence de Christiane. Alberti, directrice des Journées 45, est venue clore ce parcours intense. Elle rappelait qu’être en couple est un signifiant maître de notre époque, désir des uns tout seuls, il remédie à la solitude. À l’intérieur d’une famille, on cherche à se référer au deux. L’amitié, la relation privilégiée sont des modes de couple. Mais si, dans cet engouement pour le deux, le couple oppose une résistance à la masse, à la bande, il répond aussi du programme du sujet et de la contingence de la rencontre qui mettent le feu à un signifiant déjà là. Le couple ne peut durer que sur cette base fantasmatique. Surprise : on ne séduit jamais que par son symptôme. Ainsi le symptôme fonctionne là comme moyen de séduction ! La dimension politique de cette conférence ne fût pas oubliée. Quelle est la raison sérieuse du « grand nombre » visé par les prochaines Journées de l’ECF, association reconnue d’utilité publique ? Un discours fondé sur la psychanalyse pourrait-il empêcher les folies du racisme, cristalliser et avoir un effet dissolvant ?

[1] Lacan, J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 116.

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CE SOIR, ROBERTE

Marseille, le 30 juillet 2015

Dans l’après coup du débat qui a suivi la présentation de Roberte, film de Pierre Zucca d’après l’œuvre de Pierre Klossowski, nous avons choisi d’isoler un point unique, pour nous, saillant. Autrement dit, ce texte ne rend compte que très partiellement de la conversation qui s’est tenue au Cinéma Les Variétés de Marseille, le 28 mai 2015, entre Hervé Castanet, psychanalyste, et Florence Pazzottu, poète et cinéaste.

« Au fond, vraiment, je me demande pourquoi je débats encore sur des textes dont je relativise l’intérêt tout en en reconnaissant le brio. Klossowski, Leiris, Bataille… C’est un peu comme une maison de campagne où je n’aurais pas fait de travaux depuis vingt-cinq ans ». Cet aveu d’Hervé Castanet ne manquera pas de surprendre le lecteur attentif de son dernier ouvrage paru aux éditions de la Lettre Volée, Pierre Klossowski, Corps théologiques et pratiques du simulacre (2014).

Embrassant l’œuvre klossowskienne dans sa totalité fictionnelle, théorique et plastique, Hervé Castanet isole puis déplie la question qui ne cesse de harceler l’écrivain puis le peintre : « Comment voir l’invisible divinité ? » ; question théologique qu’il déplacera dans des rituels pornographiques où une femme, sa femme, nouvelle Diane, est violée. Sous la contrainte obsédante du fantasme qui fait silence et paralyse, Klossowski-Actéon, devenu pur regard, se fait créateur de simulacres ; ainsi la fiction de la Trilogie de Roberte, composée de trois récits rassemblés sous le titre Les Lois de l’Hospitalité (1965). Qu’est-ce que l’Hospitalité ? Est-ce le fantasme d’un époux soumettant rituellement son épouse à l’adultération afin d’en saisir l’essence ? Si l’épouse, pour lui, est énigme c’est parce qu’elle est équivoque. « Roberte avait ce genre de beauté grave propre à dissimuler de singulières propensions à la légèreté ? »[1] Pure et souillée, qui est Roberte vraiment ? Que cache-t-elle ? Cette question douloureuse de l’époux sera poursuivie dans de longs et tortueux raisonnements jusqu’à son terme théologique : voir Roberte d’un regard absolu, celui de Dieu.

Si les travaux dans la maison de campagne ont bien eu lieu, du sol jusqu’au plafond, pourquoi faire entendre le contraire ? Sans doute parce que l’œuvre klossowskienne a tout le lustre d’antan, celui du pur « style victorien » fondé sur le principe de l’interdit qui autorise et crée la transgression. « Je ne suis qu’une mentalité primitive - écrira Klossowski -, tellement primitive que la transgression du mariage est encore pour moi un acte religieux autant que le mariage même. Supprimez […] le mariage, les notions de fidélité conjugale, l’ordre, la décence, […] alors tout se disperse, se dégrade, s’anéantit dans une amorphie totale »[2].

Sous l’ironie de l’aveu inaugural perce l’extraordinaire sentiment de dépaysement que suscite aujourd’hui l’œuvre de l’écrivain. Car le temps de la transgression n’est plus le nôtre. Comme le souligne Jacques-Alain Miller, « le rayonnement de l’interdit relève d’une époque où c’était une donnée immédiate. […] L’époque où on pouvait dire qu’il faut l’interdit pour donner une valeur à ce que frappe l’interdit, que l’interdit est la condition du sens et qu’il est là pour que l’on passe outre, c’est-à-dire qu’on le transgresse »[3].

Dès lors, que nous enseigne Hervé Castanet ? Peut-être ceci : à séjourner trop longtemps dans une maison de campagne se profile le risque de ne pas voir que l’héroïsme du franchissement de l’interdit est d’un temps révolu. Et cela n’est pas sans conséquence pour la psychanalyse. De l’époque victorienne au XXIe siècle, nous sommes passés de l’interdiction à la permission d’un « fais ce qu’il te plaira » sans honte ni culpabilité, qui a certes ses limites mais qui désormais donne le la… Le la d’une psychanalyse qui aujourd’hui s’oriente et s’exerce dans une société permissive excluant l’absolu.

[1]. Klossowski P., Roberte, ce soir, Minuit, 1954, p. 7. [2]. Klossowski P., Les Lois de l’Hospitalité, Gallimard, 1965, p. 304. [3]. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Un effort de poésie », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçons des 14 et 21 mai 2003, inédit.

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