Événements

Au Café Psychanalyse du 8 janvier 2016, avec « Malaises de civilisation »

Vous êtes invités au Théâtre de Châtillon (3, rue Sadi Carnot, 92320 Châtillon) le vendredi 8 janvier 2016 à partir de 20h30 pour assister à la représentation de La Cerisaie, mise en scène par Gilles Bouillon, et participer au débat Café Psychanalyse de l’ACF-Île de France intitulé « Malaises de civilisation » qui se déroulera après la représentation de la pièce de Tchekhov avec pour invités Lilia Mahjoub et François Regnault (habitués de ces débats) et en présence du metteur en scène et des comédiens. Un conseil : Réservez vos places auprès du Théâtre de Châtillon au 01 55 48 06 90 ou par Internet sur le site billetterie@theatreachatillon.com

Vous pouvez aussi visiter le site du Théâtre : www.theatreachatillon.com

Venez nombreux.

 Dernière pièce d’Anton Tchekhov (écrite entre 1901 et 1904 peu avant son décès), La Cerisaie ouvre le XXe siècle, elle annonce et précède la grande révolution d’octobre 1917 qui bouleversera les fondements de la culture russe et européenne. Par ce texte resté longtemps en suspens, Tchekhov se voulait sortir de l’ennui des « écriveurs de pièces »[1] comme il le soulignera dans sa correspondance : « Le pire dans cette pièce est que je l’ai écrite non pas d’une pièce, mais longtemps, très longtemps, ce qui fait qu’on doit sentir une sorte de pesanteur »[2].

La Cerisaie annonce en effet la fin d’une civilisation, celle des maîtres et des moujiks dans laquelle les maîtres se trouvaient dispensés de « travailler » confiant cela aux moujiks, et elle annonce la naissance de ce que nous nommons aujourd’hui la mondialisation à savoir, comme le proclame dans la pièce Lopakhine l’acheteur de La Cerisaie : « Jusqu’à présent, dans les campagnes, il n’y avait que des maîtres et des moujiks ; maintenant, en plus, il y a les estivants. Toutes les villes, même les plus petites, sont entourées de datchas. Et ça, on peut le dire, l’estivant, dans une vingtaine d’années, il se sera multiplié jusqu’à l’extraordinaire » (acte I)[3]. Lopakhine, fils de moujiks, représente l’ascension sociale de ceux qui vont faire fortune en se faisant entrepreneurs en lieu et place des anciens maîtres, nantis oisifs. Lioubov Andreevna, l’ancienne propriétaire de La Cerisaie lui rétorque : « Les datchas, les estivants – pardonnez-moi, mais c’est d’un vulgaire » avant de reconnaître ses péchés de nantie : « J’ai toujours jeté l’argent par les fenêtres, à pleines mains, comme une folle, je me suis mariée avec un homme qui n’était bon qu’à faire des dettes »[4] et Firs le vieux laquais de 87 ans pointe le changement en cours de la civilisation : « maintenant, tout est sens dessus dessous »[5] (acte II). Au moment de la vente effective de La Cerisaie, Lioubov Andreevna crie sa résignation : « Moi, je suis née ici ; c’est ici qu’ont vécu mon père et ma mère, mon grand-père, j’aime cette maison, je ne comprends pas ma vie sans La Cerisaie, et s’il faut décidément vendre, eh bien, qu’on me vende avec La Cerisaie… »[6], ce à quoi Lopakhine répond : « J’ai acheté le domaine où mon père et mon grand-père étaient esclaves, où ils n’avaient même pas le droit d’entrer à la cuisine » et triomphant clamera : « Que tout soit à mon désir ! Place au nouveau maître, place au propriétaire de La Cerisaie »[7], dont il fera abattre les arbres pour construire les datchas des estivants (acte III). Il ressort que le nouveau maître entrepreneur tombe lui-même dans le mode de jouissance des anciens nantis, il déclare après son achat de La Cerisaie : « Je suis épuisé de ne rien faire. Je ne vis pas, sans travail, tiens, je ne sais pas quoi faire de mes bras ; ils ballottent bizarrement, comme s’ils étaient à quelqu’un d’autre »[8] (acte IV).

[1] Lettre d’Anton Tchekhov à sa femme datée du 16 mars 1902, citée dans l’ouvrage La Cerisaie d’Anton Tchekhov, théâtre traduit du russe par André Markowicz et Françoise Morvan, collection Babel n° 51, Actes Sud, page 134.

[2] Ibid., Lettre d’Anton Tchekhov à sa femme datée du 12 octobre 1903, p. 152.

[3] Tchekhov A., La Cerisaie, op. cit., p. 26.

[4] Ibid., page 48.

[5] Ibid., page 53.

[6] Ibid., page 74.

[7] Ibid., pages 86-87.

[8] Ibid., page 91.

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Identity Politics avec Lacan

Merci à Agnès Vigué-Camus qui, sur le vif, nous propose ce texte à l’issue de la première Soirée d’enseignement de Marie-Hélène Brousse à l’ECF le mardi 23 novembre : Identity Politics avec Lacan – Lien social et Identification à la lumière du « Y a de l’Un »

 Une focale précise, ajustée à un sujet brûlant prélevé au cœur des universités et médias américains, l’Identity Politics. L’angle de vue proposé par Marie-Hélène Brousse pour ces huit séances d’enseignement est nouveau. L’identité, en effet, contrairement à l’identification, n’est pas un concept psychanalytique. Pourtant, « la résurgence du concept d’identité, en tant qu’elle est liée à la dimension du politique » touche au plus vif de la psychanalyse lacanienne. Pourquoi cette résurgence du concept d’identité noué au politique, donc ? En quoi la pratique et l’expérience analytique peuvent-elles éclairer ce phénomène ? La recherche qui s’ébauche ici s’annonce éclairante pour lire l’époque.

Identité et discours du maître

En suivant ce fil rouge, plusieurs points de repères sont dégagés dans l’enseignement de Lacan et de Jacques-Alain Miller. Lacan est, tout d’abord, convoqué, en tant qu’il opère une coupure radicale avec une approche métaphysique et ontologique de l’être : « Le parlant se croit être […]. Il suffit de se croire pour être en quelque façon… »[1]. L’identité est d’emblée liée à la domination du sujet par le discours : « l’identité a toujours été liée au discours du maître. On pourrait dire qu’elle vient de l’Autre et qu’elle y retourne »[2]. Un fragment de l’expérience analytique d’un sujet analysant rend tangible cette dimension de l’assujettissement. Le texte d’un rêve fait surgir un point d’énigme, une petite case tracée sur une feuille d’impôts nommée « T1 », qui équivoquera avec « T’es un », dont l’analysant fut abreuvé durant son enfance. Ce Witz atteste que « l’Autre du père traditionnel fonctionne par un T’es un référant à des cases signifiantes dans un système classificatoire et ségrégatif selon lequel le Nom-du-Père distribue les sujets »[3]. Lacan, cependant, complexifie le tableau, indiquant que l’ego soutient la structure d’une croyance qui inverse la formule du sujet comme effet de signifiant.

L’Autre a changé

 Ces signifiants homme, femme, mariés, célibataires, fille, fils de… sont autant de « marqueurs d’identité » qui définissent un sujet dans les coordonnées d’un discours. Mais cet Autre corrélatif du Nom-du-Père traditionnel, c’est-à-dire du Nom-du-Père à structure hiérarchique s’est transformé[4]. S’il fonctionne encore en partie aujourd’hui, c’est sans l’hégémonie qui le caractérisait dans le passé. Lacan, durant son Séminaire « Les Noms du Père » indiquait déjà que l’Autre maternel peut se passer du nom et le remplacer par la loi de fer du monde social. Un effritement se produit, non du côté des identifications, mais du côté de l’instance qui frappe une marque.

Sur le versant des identités sexuelles, si les passeports nous classent toujours selon les catégories homme/femme, le travail des Gender studies a fait sauter l’évidence de l’identité sexuelle. La couleur de la peau, autre identité perceptive, vacille aussi, comme le montre l’affaire Rachel Dolezal, une éminente professeur d’études africaine se prétendant noire et dévoilée comme une femme blanche, qui fait valoir la notion « d’identité personnelle » contre celle de race, comme si cette identité en était alors réduite à n’être qu’une catégorie de discours.

Fragiles identités

Au-delà de ces transformations, la mondialisation et les techno-sciences font apparaître un changement dans la domination par le multiple. M.-H. Brousse avance alors une hypothèse stimulante. Au temps des Un-tout-seul, c’est moins un « T’es un » qui s’affirme, venant de l’Autre, qu’un « Je suis ». Une autodéfinition de l’identité émerge qui ne se réfère plus aux éléments qui l’organisaient mais est soutenue par une volonté subjective qui implique que non seulement l’ego est de la partie mais le surmoi aussi.

Si le langage reste à la base de cette volonté, c’est tel qu’il apparaît dans le dernier enseignement de Lacan, comme un essaim de S1 qui n’est plus organisé par l’ordre hiérarchique. Alors que cet ordre mettait en fonction la métaphore et la substitution, ces S1 ne font plus métaphore mais se juxtaposent dans une sorte de relation de voisinage. L’identité est donc fragilisée, à la fois évanouissante et affirmée par un « Je suis » volontaire. Dans le cadre contemporain, les auxiliaires de cette volonté identitaire peuvent relever de la chirurgie, de l’artifice ou de la conversion. M.-H. Brousse précise que cette conversion est d’un autre ordre que la conversion hystérique qui se produit sous l’égide du Nom-du-Père. La toux de Dora était décrite par Freud comme un message symptomatique présentant une face de fixation de jouissance, empruntée au père, sur une zone érogène du corps. La conversion, au temps du Un-tout-seul, s’émancipe de l’identification au père. Liée à « Je suis » volontaire, elle est support d’une identité dont les contours se dessinent selon des modalités variables qui permettent de changer d’identité. Ces identités constitueront sans doute, pendant longtemps, des ensembles fragiles et inconsistants, ce qui pourrait affecter durablement le lien social.

Ce « Je suis » contemporain miroite tout d’abord dans la parole analysante où « je suis un homme », « je suis une femme », sont autant de lignes de faille, de brisures. Des moments de doute qui nous renseignent sur l’intermittence de l’être, dont Lacan avait cherché à rendre compte dans son travail autour du cogito cartésien.

Ces variations s’entendent, ensuite, dans les deux formules de rhétorique courte produites après les attentats de janvier et du 13 novembre 2015. Le premier slogan « Je suis Charlie » était un nom propre. Le slogan du 13 novembre, « Je suis en terrasse », « ne fait pas référence à un nom mais à un mode de jouir utilisé comme repère identitaire ». Ce déplacement est corrélé aux types d’attaques qui ont eu lieu. Si en janvier c’était des signifiants qui étaient visés, en novembre ce sont des mœurs, un style de vie. Le discours change, ce n’est plus le nom qui le garantit aujourd’hui, mais une modalité du lien social en tant qu’elle définit une identité.

[1] Lacan J., Conférence de Louvain, le 13 octobre 1972.

[2] Brousse M.-H., Enseignement du mardi 24 novembre 2015.

[3] Ibid.

[4] Miller J.-A., « Une Fantaisie », Mental n° 15, février 2005.

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Poétique du cerveau, de Nurith Aviv

Image, langues, symptôme, recherche scientifique, interprétation et invention poétique : telles sont les balises que nous propose Nouria Gründler qui a vu pour nous, en avant-première, « Poétique du cerveau », de Nurith Aviv. Deux projections suivies d’un débat sont organisées à Paris le 2 décembre et le 7 janvier par le vecteur Champ-Contre champ de L’Envers de Paris. Le 2 décembre est aussi le jour de la sortie en salles du film !

Première image en noir et blanc, une jeune femme et un jeune homme enlacés, une photo prise en 1943. Comme dans un conte, la voix de la cinéaste nous narre l’histoire d’un jeune couple qui vient de se marier. Ils partagent leur appartement avec un homme, qui est l’auteur de la photo. Celle-ci dévoile l’expression d’une femme éprise, en suspens, figée à l’instant présent. Pourtant, elle attend : elle ne sait pas où se trouve sa mère. Ce jeune homme et cette jeune femme sont les parents de Nurith Aviv.

Deux ans plus tard, la mère de la cinéaste ne sait toujours pas si sa mère est encore en vie, mais elle a donné naissance à une enfant : Nurith est venue au monde. D’où une seconde image : celle d’un bébé et de sa mère qui semble heureuse de s’occuper de lui.

Puis l’image d’un appartement, d’un intérieur, le lieu du lien : une table, des chaises, et surtout une fenêtre qui sera déclinée tout au long du film.

Nurith parle l'allemand à la maison, l’hébreu à l'école – la voici qui nous emmène explorer ses thèmes favoris entre filiation, langue et lieu... Mais elle convoque cette fois un symptôme particulier : un picotement du bout de sa langue qu’elle sent lorsqu’elle est exposée à certaines odeurs. Elle convoque la science, jusqu’à s’exposer elle-même, notamment avec les clichés d’une IRM où l’on voit sa langue et son cerveau : elle cherche à faire un lien, à travers son symptôme, entre son travail sur les langues et celui de chercheurs en neurosciences.

Parmi eux, Yadin Dudaï, neurobiologiste à l’Institut Weizmann en Israël : un chercheur pour lequel ce qui donne la mesure de la vérité, c’est sa subjectivité. Il nous explique que la mémoire est dynamique, toujours changeante, et que l’imagination est issue de défauts de la mémoire. Pour lui, ce sont les mêmes circuits qui entrent en jeu pour le rappel de la mémoire et toute projection dans le futur. Pour N. Aviv il y a le passé et le futur mais pas le présent.

Sharon Peperkamp travaille dans le département d’études cognitives à l’École normale supérieure. Elle s’intéresse à la perception de la parole et à l’acquisition du langage. Les tout jeunes bébés, nous dit-elle, ont des capacités extraordinaires pour traiter les sons de la parole. Ils ont un système de perception universel, c’est-à-dire qu’ils sont capables de percevoir tous les sons, toutes les consonnes et toutes les voyelles qui sont utilisées dans les langues du monde. Mais cette perception universelle est de courte durée parce que pendant la première année de vie ils vont se spécialiser dans leur langue maternelle. Et cela entraîne une perte dans la capacité de percevoir les sons qui ne sont pas utilisés dans leur langue.

Selon François Ansermet, présent aussi dans le film, l’image et le son laissent des traces, comme toute expérience, des traces où se nouent le langage et le vivant, qui viennent à former une partition que le sujet ne cesse de réinterpréter chaque fois différemment, sans cesse.

C'est ce que fait Nurith : son travail donne une interprétation par l’image des propos de chaque intervenant. Ses images mettent en lien ces différents chercheurs, chacun avec son invention, chacun pris dans sa propre nécessité : finalement ce ne sont pas des scientifiques, des chercheurs, mais ce sont d’abord les personnages d’un film réalisé par N. Aviv. Leurs propos sont strictement encadrés – temps de paroles, rythme, évitement de certains mots, loin de tout jargon. Mais son film est d’abord une autobiographie et elle utilise ces discours pour parler de son histoire, de sa confrontation à son enfance, à sa mémoire familiale, aux disparitions, et pour mettre en perspective le réel de ce qui a marqué sa vie, l’irreprésentable de la Shoah, du camp où sa grand-mère disparaît. À travers ses archives personnelles, elle plonge chacun dans son propre vécu, sa mémoire, mettant en jeu ce que chacun ne peut se représenter de son histoire. C’est ainsi qu’elle nous invite à une expérience à partir de ses archives couplées aux découvertes des chercheurs en neurosciences.

Elles nous disent que le passé et le futur permettent l’expérience poétique. Ceci n’est pas sans évoquer pour nous ce qui peut se produire dans l’expérience analytique quand, dans la surprise, un signifiant peut surgir qui traite le réel indélébile et permet d’aller au-delà. Comme le dit Jacques-Alain Miller : « La psychanalyse a partie liée avec la poésie. Une psychanalyse, c’est une invitation à parler, non pas à décrire, non pas à expliquer, non pas à justifier ou à répéter, et non pas vraiment à dire la vérité. Une psychanalyse est une invitation à parler, purement et simplement, et sans doute pour être écouté. Lacan a désigné ce dont il s’agit dans une analyse par le terme d’épopée. »[1]

Dans le film, F. Ansermet nous parle aussi de l’importance du rêve : « On ne peut voir la vie seulement comme une manifestation de quelque chose d’inscrit dans la structure neuronale, mais plutôt comme une partition à interpréter ». Ses propos ouvrent la voie à N. Aviv qui nous présente un rêve stupéfiant, mis en scène en un lieu précis, déjà inscrit : une autre scène sur laquelle son film se termine.

[1] Miller J.-A., « Un effort de poésie », extraits de l’Orientation lacanienne III, 5, choisis et établis par Catherine Bonningue. http://www.causefreudienne.net/un-effort-de-poesie/

 

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À quoi sert la haine ?

Sur le vif de la conférence de Philippe De Georges à Amiens le 4 Novembre 2015, dans le cadre du cycle  « Symptômes et lien social – Clinique de la haine » organisé par l’ACF-CAPA, Cécile Quina nous transmet les grandes lignes de la réflexion qu'il a proposée.

Cette conférence, Philippe De Georges la débute par le constat du regain de haine dans la société avec la montée des formes les plus archaïques de la religion, de la haine de l'étranger, du nationalisme. Selon lui, ce regain de haine s'observe également dans la clinique : à l'école, dans les familles, dans le nombre croissant de passage à l’acte.

Par ailleurs, P. De Georges nous rappelle que la haine de l’autre est avant tout liée à la haine de soi.

Il nous propose d'abord de faire un détour par le concept de « l'affect ». Il nous rappelle que pour Lacan, l'affect qui ne trompe pas c'est l'angoisse car directement corrélé à quelque chose de réel en nous qui est la cause même de nos désirs. « Ce dont le sujet est dans l'angoisse affecté, c'est vous ai-je dit, par le désir de l'Autre. Il en est affecté d'une façon que nous devons dire immédiate, non dialectisable et c'est en ceci que l'angoisse est, dans l'affect du sujet, ce qui ne trompe pas »[1].

Comme l'angoisse, la haine ne trompe pas et comme l'angoisse, la haine vise l'objet : quand on m'insulte ou que j'insulte l'autre c'est toujours, selon P. De Georges, « un point de vérité intime qui est visé ».

Freud a toujours lié l'amour et la haine et a pu repérer comment ces deux sentiments sont présents simultanément chez le petit enfant dans son lien aux personnes les plus proches, notamment à l'Autre maternel. L'enfant oscille rapidement de l'un à l'autre, ces sentiments semblent interchangeables. On peut haïr la personne que l'on aime et vice versa. Freud introduit à ce propos le concept d'ambivalence, notamment à propos du cas du Petit Hans : « un conflit d’ambivalence, un amour bien fondé et une haine non moins justifiée, dirigés tous deux vers la même personne »[2].

Si l'enfant ressent cette haine à l'égard de son objet d'amour c'est parce qu'il en est justement très dépendant. Cette haine à l'égard de l'autre, le sujet va la retrouver sans cesse dans les relations aux autres toute sa vie.

Lacan, de son côté, ne parlera pas d'ambivalence. Selon lui, l'amour et la haine sont les deux faces d'une même pièce, l'un n'est que l'envers de l'autre. Il introduira ainsi le concept d’ « hainamoration » : il n'y a pas d'amour sans haine ni de haine sans amour, « L’amour, c’est l’hainamoration »[3].

La haine de l'autre est en même temps une haine de soi comme nous le rappelle P. De Georges à travers le cas Aimée de Lacan. Lacan rencontrera Aimée dans ses premières années de pratique en psychiatrie, alors qu'elle est hospitalisée pour avoir tenté de poignarder une actrice. Pour Lacan, Aimée, souffrant de paranoïa, cherche à tuer en l'autre son idéal.

Dans Malaise dans la civilisation, Freud explique que pour vivre ensemble nous devons refouler ce qu'il y a en nous de plus négatif et de plus antisocial mais plus la contrainte sociale est élevée et plus les pulsions négatives sont intériorisées et aspirent alors à s'extérioriser. « On pourrait croire qu'une régulation nouvelle des relations humaines serait possible, laquelle renonçant à la contrainte et à la répression des instincts, tarirait les sources du mécontentement qu'inspire la civilisation, de sorte que les hommes, n'étant plus troublés par des conflits internes, pourraient s'adonner entièrement à l'acquisition des ressources naturelles et à la jouissance de celles-ci. Ce serait l'âge d'or, mais il est douteux qu'un état pareil soit réalisable. Il semble plutôt que toute civilisation doive s'édifier sur la contrainte et le renoncement aux instincts. »[4]

Aussi, plus les sociétés seront civilisées et moins elles feront place à ce qu'il y a de barbare dans la jouissance de l'homme et plus ces pulsions ressortiront de façon violente. Lacan reprend cela et s'y intéresse notamment en mai 68 : moment où alors que tout semblait stable dans la société, tout vole en éclat. Lacan s'est alors questionné sur ce qui fait qu'une société est en période de paix ou en période de guerre. Pour Lacan, ce qui fait tenir les hommes ensemble c'est « un pacte de parole » : des mots que les sujets ont en commun et qu’ils acceptent de partager.

La communauté c'est justement la tentative de faire Un. Ce qui permet à la communauté de faire Un c’est le « discours du Maître » en référence à Lacan.

Or, actuellement bon nombre de personnes, de penseurs, d'intellectuels médiatisés pensent que le Un serait menacé, menacé par une multitude de petites communautés qui cherche à faire Un, chacune à sa manière, chacune de son côté. Mais est-ce cela qui menace la paix sociale ? Chacun a aussi à faire avec sa propre jouissance.

Et dans tout cela, à quoi sert la haine ? C'est à travers un cas clinique que P. De Georges déplie en quoi la haine peut servir de façon vitale à un sujet. Ce cas est celui d'une femme pour qui la demande est de sortir de la place de victime qu'elle pense occuper pour l'Autre. Pour elle, la haine apparaît alors comme un « moteur ». Ce cas témoigne pour P. De Georges du fait que la haine a une fonction pour le sujet.

[1] Lacan J., Des Noms-du-Père, Paris, Seuil, Coll. Champ freudien, janvier 2005, p. 70.

[2] Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, Œuvres Complètes, t. XVII, Paris, P.U.F., 1992, p. 219.

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 83.

[4] Freud S., Malaise dans la civilisation, Paris, P.U.F., 4e éd., 1995, p.10.

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Vers le Xe Congrès de l’AMP

Membres de l’ECF, nous sommes aussi membres de l’Association Mondiale de Psychanalyse, mais connaissons-nous pour autant la configuration des autres Écoles qui la constituent, particulièrement l’implantation de l’EBP au Brésil, et les raisons de la tenue du Xe Congrès de l’AMP du 25 au 28 avril 2016 à Rio ? J’ai adressé, comme présidente de l’ECF, quelques questions à Marcus André Vieira, directeur du Congrès « Le corps parlant. Sur l’inconscient au XXIe siècle » qui, dans un entretien exclusif et à votre intention a bien voulu y répondre.

Patricia Bosquin-Caroz - Le prochain Congrès de l’AMP au Brésil sera, sur place, essentiellement encadré par les membres de l’École Brésilienne de Psychanalyse. Peux-tu nous dire quelques mots sur cette École appartenant à l’AMP ?

Marcus André Vieira – L'AMP est vaste, présente dans beaucoup de pays, et en particulier au Brésil notre présence est bien marquée. Ce n'est pas un pays centralisé autour de sa capitale comme c’est le cas en France, d’où une répartition de l'École en plusieurs sections toutes d'égale importance. Dans chaque ville où il y a une section, dans les services de soins, les Universités, mais aussi dans les prisons, les hôpitaux, sont présents des analystes de l'orientation lacanienne qui forment la communauté de l'EBP. Ce n’est pas la première fois que notre École recevra des collègues du monde entier, mais à Rio oui. Notre communauté ne sera plus la même après ce Congrès. Et vous serez initiés à une façon toute brésilienne de vivre la psychanalyse et l'enseignement de Lacan !

PBC – « Le Corps Parlant » implique le corps de celui qui parle et est parlé, c’est pourquoi Lacan le qualifiait de parlêtre, ce qui va au-delà de la seule prise en compte des formations de l’inconscient et de l’interprétation délivrant un sens. Le Congrès nous permettra-t-il d’appréhender de façon nouvelle ce sujet ?

MAV – Ce n'est pas un sujet simple, car J.-A. Miller nous propose de remanier nos concepts pour être capables de mieux dire ce qui se fait déjà dans la clinique actuelle, en un sens éloignée de celle de Freud. L’enjeu est donc, nous l’espérons, d'être à la hauteur des défis de notre temps que seule une communauté comme la nôtre, énorme, mais en même temps orientée par un sujet commun, peut réaliser et tout spécialement en ce moment en travaillant de plusieurs manières en direction de Rio.

PBC – Oui, c’est ça l’École Une, le Un, présentifié par un thème vecteur du travail des multiples Écoles de l’AMP. De plus, « Le corps parlant » est aujourd’hui un thème croisant l’actualité tragique des événements récents de Paris. C’est bien le corps parlant, vivant - celui qui fait lien à partir de sa singularité symptomatique, son mode de jouir - qui a été frappé violemment la nuit du 13 novembre dernier. Toutefois, le thème du Congrès - qui à certains égards a une allure prophétique - réunira les membres de toutes les Écoles de l’AMP au Brésil. Chacun y sera avec son corps parlant et son désir de faire lien analytique. Mais pourquoi Rio ?

MAV – C'est une ville où tendent à se croiser les riches et les pauvres au quotidien, non seulement dans le travail, mais dans la vie, car les favelas sont aussi en plein milieu de la ville des riches à la différence des banlieues pauvres d'autres villes comme Sao Paulo. Vous verrez sans doute que ce peut être à l'origine de tensions, mais aussi d'un mode d'échange qu'on trouve rarement ailleurs. Et s’il y a un lieu privilegié pour l’art de se servir des semblants articulés aux corps, ce lieu, c’est Rio !

PBC – C’est donc une ville toute en couleur, variée et riche d’un point de vue culturel où nous pourrons nous réunir.

MAV – Nous comptons beaucoup sur la présence des membres des Écoles à ce Congrès. C’est ce qui peut donner à cette rencontre le mode d’être aux prises avec le réel de notre communauté analytique de travail. C’est l’occasion de rappeler qu'il faut absolument s'inscrire au plus vite. La dernière limite concernant la priorité donnée aux membres de l’AMP est le 1er décembre. Après cette date les inscriptions seront ouvertes à tous et beaucoup de monde veut y aller.

PBC – Merci Marcus, je pense que les membres de l’ECF seront très sensibles à tes arguments qui ne peuvent que mobiliser et particulièrement en cette période de trouble où comme tu me l’indiquais dans un de tes mails, on ne peut que continuer à vivre et j’ajouterais, en ce qui concerne notre communauté analytique, continuer à formaliser notre clinique toujours plus en prise sur le malaise du XXIe siècle.

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Juste avant les J. 45 ! Avec le comité de pilotage, Damien Guyonnet, Virginie Leblanc, Camilo Ramirez

L’Hebdo-Blog – Bonjour Camilo Ramirez, répondriez- vous tout de suite ici à nos questions ? C’est la seconde fois que vous co-pilotez avec deux autres collègues les Journées organisées par Christiane Alberti. Y-a-t-il pour cette deuxième une spécificité, un renouveau dû au thème ou à autre chose encore ?

Camilo Ramirez – Oui, depuis le début nous nous sommes dits, au comité du pilotage, que nous allions favoriser la discontinuité entre les 44es et les 45es Journées, de telle sorte qu’elles ne puissent pas entre elles… faire couple ! Les Journées Être Mère ont beau avoir été un événement historique pour la psychanalyse d’orientation lacanienne, nous n’avons jamais songé à les reproduire sous une autre casquette, car pour que les Journées aient une chance de faire événement, elles doivent prendre acte du fait qu’entre elles il n’y aura pas rapport, elles se doivent d’être uniques.

D’où un blog ayant fait peau neuve, un drôle d’hybride : plus aérien, mais axé sur un tronc fort et moins touffu, doté de branches précises et fleuries à la fois. C’est sous ce signe novateur que Lacan TV a vu le jour, prenant acte de l’importance toute contemporaine de nouer image et discours, de façon aussi bien percutante que poétique. Même esprit de renouvellement du côté du comité scientifique, veillant à ce que l’ouverture des Simultanées reste aussi inoubliable que l’année dernière. D’où l’invention des Tac-o-tac, soit quelques dizaines d’analystes ayant dû forger à quatre mains des objets absolument singuliers, à partir d’une seule phrase soufflée à leur oreille, et pour le moins énigmatique ! Les Simultanées restent ce cœur des Journées où palpite l’expérience analytique transmise à travers 132 récits de cas sur l’actualité de « faire couple ».

Et bien évidement ce même vent soufflera sur les voiles de la plénière du dimanche, moment si fort des Journées pour lequel le moindre détail est soupesé, délicatement, afin de donner toutes ces chances à ce qu’entre la scène et la salle, par un dimanche pas comme les autres, il y ait une rencontre saisissante. De là à dire que ça sera Un long dimanche de fiançailles

L’Hebdo-Blog – Bonjour Damien Guyonnet, pourriez-vous nous livrer la pointe de ce que vous avez appris au cours de ces mois d’intense préparation sur le thème « Faire couple, liaisons inconscientes » ?

Damien Guyonnet – J’aborderai trois points (pointes).

Concernant le thème tout d’abord, quelle n’a pas été ma surprise de constater, à travers les nombreux textes que nous avons pu lire sur notre blog, que « Faire couple » constitue une question psychanalytique actuelle et cruciale, dont les abords sont multiples, comme ses déclinaisons d’ailleurs… Et si la forme que prennent ces liens à deux puisent dans notre époque, où tout est possible, ou presque, et où tout est montré, ou dévoilé, les liaisons inconscientes, quant à elles, demeurent toujours aussi complexes et obscures, gravitant autour d’un impossible qui ne cesse pas d’insister, et ce, toujours davantage. Et alors de nous étonner, pour ne pas dire nous réjouir, de toutes ces nouvelles solutions qu’inventent les parlêtres pour suppléer à ce non rapport, solutions qui doivent sans cesse se réinventer. Du nouveau, encore et encore…

Cette dimension de la nouveauté était omniprésente au sein même de la préparation des Journées (blog, messages, événements, etc.). Le challenge était le suivant : poursuivre activement le mouvement de renouveau impulsé par Christiane Alberti dès les J43, tout en innovant encore cette année. Et il a été réussi, me semble-t-il. La continuité n’empêche nullement le renouvellement – voyez l’enseignement de Lacan ! Voilà la deuxième grande surprise que cette intense préparation m’a apporté.

Enfin, j’ai beaucoup appris de nos collègues chargés de la diffusion dans toute la France. Je me suis aperçu combien notre sujet, notre façon de l’aborder, notre manière de le présenter, était en « phase » avec les attentes de l’ensemble des professionnels du champ médico-social. Concernant leurs questionnements cliniques bien sûr, parfois même personnels, mais aussi eu égard à la conception qu’ils ont du fait psychique et, pour les plus avertis, l’idée qu’ils se font de la psychanalyse en ce début du XXIe siècle. Sans aucun doute, nous sommes de notre époque !

Pour conclure, je dirais que cette préparation, si intense, si prenante et si sérieuse a été avant tout une aventure très joyeuse. Gageons que ces Journées en seront l’apothéose !

 L’Hebdo-Blog – Bonsoir Virginie Leblanc, nous diriez-vous comment vous avez vécu de « l’intérieur » cette longue préparation aux prochaines Journées de l’École ?

 Virginie Leblanc – Longue et courte à la fois, car depuis que Christiane Alberti a donné l’impulsion et le signal de départ l’année dernière, de l’intérieur, c’est plus un marathon qu’une course de fond que j’ai eu l’impression de courir, entourée de mes chers co-pilotes, Damien et Camilo, mais également de toute l’équipe du blog, Christiane en premier lieu bien sûr, avec Alice Delarue et Pénélope Fay, Christine Maugin et Xavier Gommichon. L’afflux de textes, de propositions et d’idées de sommaires, personnes à interviewer ou lieux inédits où recueillir les échos de la cité sur notre thème m’a en effet donné l’impression d’une urgence, mais non d’une précipitation, plutôt d’une hâte joyeuse et éclairée par le savoir analytique en construction sur ces liaisons inconscientes du « faire couple », toujours appuyée par mes collègues, toujours en dialogue dans des formes de couples multiples finalement : car de l’édition des textes aux conversations avec les responsables de rubriques, de l’orientation à donner à chaque numéro du journal à l’élaboration de la plénière, que de duos multiples et productifs avons-nous formés, le temps de cette préparation, sous-tendue par un duo plus abstrait et singulier celui-ci, celui du transfert avec l’École qui a soulevé notre désir tout au long de ces préparations et j’ai hâte de participer à un temps fort de sa réalisation en acte, dans quelques jours au palais des Congrès.

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La psychanalyse dans la cité, « à l’épreuve de la guerre »[1], au cinéma …

Pour la troisième année consécutive, « War on Screen », festival international de cinéma, s’est tenu à Châlons en Champagne. La Comète, scène nationale et cinéma Art et essai, est à l’initiative de cette manifestation.

Dédiée aux représentations à l’écran des guerres et des conflits d’hier, d’aujourd’hui et de demain, sa programmation allie les rétrospectives, les focus. Deux compétitions : celle des films documentaires et de fiction, pour la plupart inédits en France, et celle des courts métrages.

La présence d’un grand nombre de réalisateurs, lors des projections, en redouble l’intérêt. Ceux-ci viennent parler de leur film, déplier leur travail et rendre compte de leur démarche. C’est un climat particulier, alors, qui agite le centre de la ville. Comme si le réel de la guerre sur les écrans invitait à la convivialité, aux échanges impromptus entre cinéphiles, spectateurs, et artistes : le lien social pour supporter de voir la guerre?

On ne sort pas indemne de ce déferlement d’images sur les conflits.

La psychanalyse a pris une place au cœur du festival dès la première édition. Après une intervention sur le traumatisme de Bertrand Lahutte[2] en octobre 2013, et celle de Bernard Lecœur[3] l’année suivante sur la guerre et les jeux vidéo, c’est, cette fois-ci, Francis Ratier[4] qui est intervenu autour de la guerre d’Espagne.

Onze films faisaient rétrospective de ce conflit. La projection du Labyrinthe de Pan, de Guillermo Del Torro, clôturait l’ensemble et précédait immédiatement une table ronde « La guerre d’Espagne : Pourquoi? » mise en place à l’initiative de l’ACF-CAPA.

Ce film a d’abord été suivi d’une discussion passionnante entre Olivier Broche, programmateur pour La Comète, et Sergi Lopez, cruel capitaine franquiste dans le film.

La table ronde a prolongé ce moment. Y participaient Tangui Perron, historien, spécialiste en cinéma politique et F. Ratier, venu de Toulouse nous parler de cette guerre d’Espagne qu’il connaît si bien et sur laquelle il a beaucoup écrit, et plus particulièrement dans La psychanalyse à l’épreuve de la guerre.

Pour affirmer que la guerre était toujours prise dans une logique de discours, F. Ratier a commencé par décliner précisément, finement, ce qu’était un discours pour la psychanalyse. Il a poursuivi une conversation avec T. Perron face à une salle captivée par leurs approches singulières de la guerre d’Espagne. Ça et là des résonances apparaissaient avec l’actualité de la guerre dans le monde d’aujourd’hui.

Rappelant des moments précis de l’histoire, se référant à des images de la filmographie, F. Ratier a mis en exergue le régime de jouissance à l’œuvre dans cette guerre : « rien que de tuer »[5]. Après Le labyrinthe de Pan, S. Lopez avait conclu que le choix de Del Torro d’allier fiction et fantastique permettait une meilleure appréhension de la cruauté à l’œuvre dans ce conflit. D’introduire le concept de jouissance, le psychanalyste a permis d’éclairer et prolonger le propos de l’acteur.

Cette jouissance et ses effets, silence, exil, ont laissé des marques sur plusieurs générations. En écho aux questions du public, F. Ratier a rappelé que, à ces traumas, « ces blessures héritées »[6], à chaque fois propres à chacun, la psychanalyse permet d’inventer un mode de réponse singulier.

Depuis la naissance de « War on screen », en octobre 2013, à partir des liens créés avec l’équipe de la salle Art et essai et du succès des soirées « cinéma et psychanalyse », notre proposition, au titre de l’ACF-CAPA, d’un regard de la psychanalyse pendant le festival, poursuit son chemin.

[1] La psychanalyse à l’épreuve de la guerre, ouvrage collectif sous la direction de Marie-Hélène Brousse, Paris, Berg international, 2015.

[2] Bertrand Lahutte, psychiatre, psychanalyste à Paris, membre de l’ECF.

[3] Bernard Lecœur, psychanalyste à Reims, membre de l’ECF.

[4] Francis Ratier, psychanalyste à Toulouse, membre de l’ECF.

[5] Vicens A., « Guerre, dictature et régime de jouissance dans le franquisme», La psychanalyse à l’épreuve de la guerre, op. cit., p.171.

[6] Ratier F., Gonzales Delgado A., Goder L., « Blessures héritées », ibid., p.27 à 41.

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« Faire couple avec l’institution », comment en transmettre le sérieux des modalités singulières

Le Bureau de Ville de l’ACF-Belgique à Liège organisait le 10 octobre 2015 un après-midi de travail sur le thème « Faire couple avec l’institution ». Pascale Simonet en a extrait pour nous   le vif.

 « Faire couple » au cœur de la cité ardente à la Cité-Miroir, acte clinique, acte politique. Après-midi passionnante animée par des acteurs passionnés !

1e séquence : « On est mieux sans elle ». Cette phrase visse Nancy à une paralysie tourmentée jusqu’à la fixité. Aux côtés d’Anne Chaumont, elle va se tracer un chemin – pas sans des collègues posant des gestes très pratiques – allant d’un Autre qui, toujours, peut la perdre, à un Autre « qui la laisse respirer », la menant ainsi au bricolage d’une solution entre « faire couple à tout prix » et « faire coquille ».

Pour cet autre sujet que sa femme a quitté, « la vie essuie ses pieds en permanence sur [sa] figure ». L’« oreille attentive » de Boris Collin recueillant les infimes détails de sa pensée va lui permettre de trouver, dans le choix du beau mot qui habille l’obscénité de la langue, un ancrage palliatif à son besoin impérieux d’être aimé pour pouvoir prendre soin de lui. Sa vitalité nouvelle fera revenir sa femme. Passage ici d’un « trop peu de vie sans l’autre » à « une sorte d’intranquillité permanente ».Bandeau_web_j452_def2

2e séquence : formidable présentation à deux voix de ce qu’est « un corps pour deux » et le travail d’humanisation du regard, opéré par Stéphanie De Angelis avec l’équipe de la Coursive. « Léo, c’est le sang de ma chair », propos du père auquel répond celui du fils « on tient ensemble ». Léo, qui se soutient du regard sur son corps jusqu’à y être fixé, va se constituer un moi en nommant l’hallucination qui le traverse, puis en traçant les contours du monstre qu’il hallucine, et en les soustrayant au regard du père. Il s’accroche alors à la break dance. Cette constitution d’un bord au corps de l’enfant eût été impossible sans un soutien actif au père écorché vif, dont Nathalie Lequeux s’est fait l’écho.

3e séquence : très beau témoignage de ce que peut obtenir le désir décidé d’une équipe à la marge de manœuvre étroite. C’est d’une subversion, voire d’un renversement de l’institution qu’il s’agit, pas moins. Du mandat de cadrer à celui d’« ouvrir les portes », en s’appuyant sur un sésame : le repérage de la position subjective de la personne accompagnée et permettre ainsi à une mère « injustement attaquée », de trouver « les mots justes » en lui offrant « un tapis de langue », selon la belle expression d’Éric Zuliani. Avec toute la finesse qui les caractérise l’une comme l’autre, Anne-Françoise Mouchamps et Salvina Alba ont fait entendre la nécessité de « faire couple » avec l’ensemble des acteurs de la « justice ».simonet 22

Merci à Patricia Bosquin-Caroz, Véronique Mariage et Éric Zuliani pour la clarté et la force de la conviction avec laquelle ils ont transmis au public largement non-initié l’inestimable de l’orientation lacanienne à partir de ces très beaux témoignages !  

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2+0+1 = 2, (Faire couple) : Esthela Solano- Suárez à Toulon

                                              Esthela Solano- Suárez, invitée pour la première fois à Toulon le  3 octobre 2015, a ravi ses auditeurs, nous dit Marie-Claude Pezron, membre de L’ACF MAP, en proposant un abord du « Faire couple » empreint de modernité.

 La conférencière s'est penchée sur les nouvelles pratiques qui président à la rencontre et supposent la connexion à ce que Lacan, dès les années 70, en précurseur, désignait d'un néologisme, l'aléthosphère. Cette ceinture satellitaire entoure la terre et rend les petits objets, tels les ordinateurs, les Iphones, les vid2ophones, opérants pour des liaisons permanentes et immédiates.Bandeau_web_j452_def2

 Le discours de la science et le marché des lathouses.

 La science, en extrayant l'Un de la langue courante, a engendré le langage numérique et permis l'objectivation des ondes par la numérisation de vibrations imperceptibles. À sa suite, le marché a produit pléthore d'objets capteurs et a amené une nouvelle organisation environnementale. L'inventivité, les avancées techniques, rendent vite ces objets obsolètes, réduits au statut de déchets, de lathouses, autre néologisme inventé par Lacan, mais le temps de leur efficience, ils prolongent le corps, tant nous répugnons à nous en séparer. Leur sophistication ouvre l'accès à des applications dont les plus récentes, Tinder, Happn changent totalement la donne de la contingence. Il devient possible de contacter toute personne dont la photo déposée en ligne vous agrée. Leur géolocalisation facilite les choix de proximité et débouchent sur une consommation sexuelle rapide, multiple et parfois addictive. Certains médias dont le très connu Vanity Fair américain ont prédit de ce fait, « l'apocalypse de la rencontre » et l'advenue de « la culture du coup du soir ».

Esthela Solano-Suárez constate qu'il ne revient pas à l'analyste de se joindre au concert des anticipations défaitistes, et de déplorer la disparition du romantisme mais bien d'élucider ce qui se joue aujourd'hui dans la rencontre sexuelle.

Les êtres parlants et le rapport sexuel qu'il n'y a pas

 Les humains pris dans le langage, source de fictions et de semblants, ne bénéficient d'aucun programme instinctuel les conduisant vers un partenaire sexuel qui conviendrait à coup sûr. Contrairement à l'espèce animale, ils se confrontent au rapport sexuel qu'il n'y a pas.

Les réseaux géolocalisés prennent l'allure de boussoles actuelles alors qu'ils sont des révélateurs. Ils participent de cet impératif : « Connecte-toi, c'est facile! », et renvoient ceux qui y dérogent à l'isolement et la solitude coupable.

Ils mettent en évidence la tromperie. Les applications promotionnent l'image. Chaque candidat se détermine à partir de photos en ligne qu'il sélectionne d'un like ou rejette d'un nope. À cet égard, le mécanisme qui préside à la rencontre reprend une opération psychique fondamentale élaborée par Freud, engendrant la distinction moi/non-moi, par l'incorporation du bon en soi et l'expulsion du mauvais hors de soi. La technologie de pointe s'appuie ainsi sur un mécanisme primaire. Le marché de la rencontre sexuelle connoté d'illimité procure un sentiment de toute puissance au moment du choix, mais chaque élu peut très vite déchoir et se découvrir rebut repoussé, après consommation.

 La rencontre inter-sinthomatique

 Le corps des parlêtres, ceux qui tiennent leur être de la parole, ne se réduit pas au virtuel, à l’image, il y a le corps en chair et en os, la trace de jouissance produite par le langage. La rencontre originelle avec le signifiant provoque, en marquant le corps, une première expérience de satisfaction puis sa répétition dans une quête de récupération de jouissance jamais identique à l'initiale dont la trace s'effacera. L'effacement laisse un ensemble vide, un lieu vidé de jouissance, où le langage vient s'inscrire. Un mur sépare l'Un de jouissance et l'Autre du langage.

L'Un, en effet, ne fait rapport qu'avec l'objet pulsionnel qui peut se décliner à travers les lathouses technologiques supportant la voix et le regard.

La fonction phallique génère le sens, crée des fictions, et supporte le fantasme pour recouvrir le fait de la jouissance sexuelle qui ne fait pas rapport à l'autre, mais à un bout de corps. Elle voile le trou dans le savoir sur la jouissance. Et les objets connectés n'offrent aucune orientation pour la recherche du partenaire adéquat.

Lorsqu'à la suite d'une longue analyse, le parlêtre approche l'étranger en soi, son extimité, il isole le noyau de sa jouissance singulière, son sinthome. Alors la solitude profonde peut se révéler solitude féconde. Deux exilés délivrés des leurres de l'image, qui savent compter avec l'ensemble vide, accèdent à une autre dimension de la rencontre, dite inter-sinthomatique. 2+0+1 = 2.

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Soirée du mardi 6 octobre 2015 Le désir de contrôle. Des analystes parlent de leur contrôle

On a ri, on a réfléchi, on a contredit, on a soutenu, on a laissé des questions ouvertes, lors de la dernière soirée de la commission de la garantie où des analystes membres de l’École (AME) ont partagé les trouvailles et les vicissitudes de leur contrôle avec un auditoire bien réveillé et venu nombreux. Le style laboratoire initié par la présidente, Patricia Bosquin-Caroz, son orientation exigeante, la prestesse des échanges a donné une impulsion prometteuse à la discussion l’inscrivant dans un work in progress que les membres de la commission sont déjà décidés à poursuivre.

La question de chaque intervenante était bien articulée permettant qu’émerge une question d’École : Parler « à-propos » d’un autre que soi à un analyste qu’on a choisi comme contrôleur produit des effets de formation que la commission de la garantie a à recueillir et à remettre au travail. Que ce soit sur le mode de l’association libre, Jacques-Alain Miller l’avait souligné, implique, pour l’analyste en contrôle, à la fois de donner tout son poids de « pari sur la contingence » contenu dans cet « à-propos » et de l’articuler à des nécessités exigeantes : se détacher de l’association libre de l’analysant, de s’éveiller aux signifiants de la demande, de s’ouvrir à cette autre lecture que les interventions du contrôleur convoquent. Marga Auré a témoigné de cette nécessité qui ne va pas sans un certain apprentissage qu’il ne faut pas négliger. Hebe Tizio disait joliment au Congrès de l’AMP à Bruxelles en 2002 : « il faut parfois un rhinocéros pour trouver de nouveaux tournants ». Il faut donc du temps pour que l’analyste contrôlant sorte de son aveuglement et trouve la voie du symptôme, de son serrage, de sa sinthomatisation. À chaque analyste son trajet, son usage du contrôle, sa nécessité. Celle de Délia Steinmann par exemple qui, s’apercevant à grand frais que le recours au savoir universitaire ne traite pas les restes symptomatiques de l’analyste, s’est adressée cette fois au contrôleur dont elle savait pouvoir attendre de lui qu’il remette en jeu de la bonne façon la confrontation des corps que seul le désir de l’analyste peut régler. Quant à Monique Amirault, après l’analyse, elle se sert du contrôle pour traiter « le bavardage » de ses restes symptomatiques et c’est convaincant : consentant dans un cas à délaisser, pas sans difficultés, ses préjugés issus de ses acquis ; dans deux autres cas à faire valoir que l’analyste ne dispose que du « devoir de bien dire » face à l’impossible s’il ne veut pas tomber dans l’impuissance.

On aura appris que la voie de l’analyse et la voie du contrôle sont proches puisqu’elles prennent chacune leur départ dans l’association libre obéissant en cela à une même logique qui articule contingence et nécessité, mais en vérité ces deux voies diffèrent l’une de l’autre dans leurs finalités c’est-à-dire quant à l’usage éthique que fait le praticien de cette articulation logique dans l’abord du réel. En ce sens, la mutation de l’écoute à obtenir du contrôle est proche mais diffère de la mutation subjective à obtenir de l’analyse.

Ce 16 octobre 2015.

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