Événements

Pourquoi ne pas le « dire direct » ?

Faufilons-nous en rappelant le hiatus entre le dit (l’énoncé) et le dire (l’énonciation) : c’est l’objet d’une psychanalyse que d’épeler, de peler les dits, les mots, qui ont compté dans la vie d’un sujet. Mais pour avoir chance de conquérir une marge de liberté par rapport à un dit qui nous a marqué, encore faut-il resituer à sa place le dire qui l’accompagne – qui parle ? que (me) veut-il en disant cela ?

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L’Histoire, c’est le corps

 J’introduis ce billet par une belle citation de Lacan qui consonne avec le moment présent : « […] l’histoire n’[est] rien de plus qu’une fuite, dont ne se racontent que des exodes.  […] Ne participent à l’histoire que les déportés : puisque l’homme a un corps, c’est par le corps qu’on l’a. »[1] L’histoire n’est histoire qu’au regard des corps, des corps parlants, en mouvement.

Le thème du Congrès  place la psychanalyse d’orientation lacanienne au cœur des grandes questions de la civilisation contemporaine – l’actualité des migrants associée à celle des attentats de Paris, du Liban, du Mali et tout récemment celui qui a frappé les États-Unis nous montre de façon tragique à quel point le corps affecté, « celui qui fait lien à partir de sa singularité symptomatique »[2], est la substance de l’histoire.

Ce corps n’est corps que par le truchement de la parole. C’est du fait qu’il parle que le corps peut jouir, mais c’est aussi par la parole elle-même qu’il se jouit. C’est ainsi que le corps peut-être dit corps parlant. Et c’est aussi à cette condition-là, contrairement au rat[3], qu’on peut le dire déporté.

« Parce que le corps on l’a », on peut analyser le parlêtre : c’est ce que démontre le tout dernier enseignement de Jacques Lacan dont Jacques-Alain Miller a dégagé la pointe dans son texte de présentation du prochain congrès de l’AMP. C’est un texte programme : à le lire, nous savons que nous n’analyserons plus jamais comme avant. Éric Laurent en a déplié les références tout au long de l’année 2014-2015 sous le titre Parler la langue du corps. C’est à la lecture et à l’étude de ce travail qui fera date que nous consacrons les séances du séminaire de l’ECF à Rennes cette année avec Pierre-Gilles Guéguen, dans la perspective du congrès de Rio.

Le corps du parlêtre n’est pas le corps mortifié du sujet. C’est le corps vivant, le corps qui « se jouit » et de ce point de vue, cette jouissance du corps est une jouissance autiste. Là encore, cet apex de la doctrine lacanienne consonne avec le moment actuel. N’est-ce pas en effet l’aboutissement, le point d’arrivée du déclin du père, dont le nom est passé, à mesure des développements de l’enseignement de Lacan avec le phallus et l’objet a, au statut de semblant ? À la solitude des corps parlants qui se jouissent répond celle du sujet moderne.

« L’inexistence du rapport sexuel est le réel du lien social », dit Jacques-Alain Miller dans son texte L’inconscient et le corps parlant[4].

C’est à ce point précisément que nous a amenés Lacan et c’est sur ce point que se fonde une pratique de la psychanalyse au XXIe siècle. Mais c’est aussi à partir de là que la psychanalyse a quelque chose à transmettre pour subvertir le déclin des idéaux qui sans cela réouvre, comme le montre l’histoire immédiate, la voie du sacrifice aux « dieux obscurs »[5].

[1] Lacan J., « Joyce le symptôme », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 568.

[2] Bosquin-Caroz P., « Vers le Xe congrès de l’AMP », L’Hebdo-Blog, 22 novembre 2015.

[3] Cf. « Le rat dans le labyrinthe », dont l’être est identifié à son corps, Lacan J., Le Séminaire, Encore, livre XX, Paris, Seuil, 1975, p. 127.

[4] Miller J.- A. « L’inconscient et le corps parlant », Le réel mis à jour au XXIe siècle, collection rue Huysmans, Paris, 2014.

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, p. 247.

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Note sur le Séminaire de l’ECF à Rennes

Grâce à Jean-Luc Monnier et Pierre-Gilles Guéguen, se tient actuellement à Rennes un Séminaire sur le dernier cours d’Éric Laurent, qui permet d’approfondir, et parfois tout simplement de comprendre, les notions nouvelles, denses et complexes développées tout au long de ces huit séances disponibles sur Radio Lacan.

Le cours d’É. Laurent donne un axe de travail précieux en direction du prochain congrès de l’AMP sur le corps parlant : « Comment parler la langue du corps ? »[1]

Le corps appareillé par lalangue s’oppose au concept du corps de la science : « le paradigme contemporain veut faire taire le corps, réduit au comportement »[2] – pur sujet de la cognition ou du comportement. Ici s’offre une nouvelle orientation différentielle aux autres approches du sujet et du langage. Le corps n’est plus rabattu sur l’émotion ou l’affect tels qu’ils sont pris en compte par le discours du maître contemporain.

Le corps est d’abord défini par É. Laurent dans son sens strict, à savoir en tant qu’il s’oppose aux incorporels. É. Laurent nous invite alors à « énumérer » ce qui est hors-corps et qui ne cesse « de vouloir rentrer dedans »[3], à savoir les objets a. « Parler lalangue du corps revient à énumérer les sous-ensembles de la jouissance dans leur statut hors-corps. »[4] Prenons la voix en exemple. Comment s’énumère-t-elle ? Si sa seule porte d’entrée au corps reste l’oreille, elle s’énumère pourtant par de nombreux objets techniques : le téléphone, le GPS, la voix enregistrée d’Hitler ou des djihadistes ordonnant au corps sa jouissance sur le versant du pire.

Mais dans « Radiophonie » Lacan l’a prise sur le versant de l’exploit relatif : « Le LEM alunissant, soit la formule de Newton réalisée en appareil »[5]. Ce qui s’appareille dans la mission Apollo XIII vers la Lune, avortée suite à l’explosion d’un réservoir, c’est d’abord la voix : « Houston, on a un problème. » Se déduit donc qu’« il y a les objets réels qui soutiennent le lien aux objets techniques. Si les astronautes n’avaient pas pu échanger avec Houston, ils seraient probablement morts ; les objets techniques ne fonctionnent pas tous seuls »[6]. Il nous reste la tâche d’énumérer d’autres exemples afin de donner à ce Cours ses résonnances dans l’interprétation de la modernité.

Le travail d’extraction et d’explicitation du Cours d’É. Laurent fait par J.-L. Monnier et P.-G. Guéguen ne procède pas de l’objet, mais du langage dans son lien au corps, mettant en valeur la façon dont le langage se lie à la jouissance, sans l’entremise d’un objet technique. Dans l’idée de saisir le langage dans sa rencontre avec le corps, se mesure aussi combien Joyce était désabonné de la langue, ainsi que les conséquences. J.-L. Monnier remarque que « dans la névrose, le symptôme renvoie à un au-delà du langage ; l’équivoque, l’interprétation. « Chez Joyce, dit-il, il n’y a pas d’au-delà du langage »[7]. Il existe en effet « un type de manque qui n’appartient pas au langage »[8], souligne P.-G. Guéguen. Cette nouvelle assertion pose le problème de cet « au-delà » différemment, et l’éclaire. Que signifie alors parler lalangue du corps, à partir de ce type de manque, de cet au-delà ? N’y a-t-il pas la place pour une nouvelle lecture des inventions, des objets lathouses de la science, à partir de cet au-delà du langage ?

Ces questions convoquent les psychanalystes qui trouveront dans ce Séminaire un lieu précieux où poursuivre leur formation : comment maintenir vivants les objets réels du désir, qui soutiennent en amont les objets techniques, dans la clinique contemporaine des sujets lathousés ? Comment saisir au plus près le lien qui attache le LEM à LOM[9] ?

[1] Laurent É., « Parler lalangue du corps », 2014-2015, disponible sur Radio Lacan : http://www.radiolacan.com/fr/topic/583/3

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Lacan J., « Radiophonie », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2005.

[6] Laurent É., « Parler la langue du corps », op. cit.

[7] Monnier J.-,L., Séminaire ECF Rennes, 5 décembre 2015.

[8] Guéguen P.-,G., Séminaire ECF Rennes, 5 novembre 2015.

[9] Miller J.-,A., Quatrième de couverture, Autres écrits, Paris, Seuil, 2005.

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