Événements

Après midi du CPCT : « Un traitement qui compte »

C'est sous le titre "Un traitement qui compte", et devant une salle comble, que s’est déroulé, samedi 9 avril le second rendez-vous clinique du Centre Psychanalytique de Consultations et de Traitement (CPCT) de Paris, après-midi de travail animé par Serge Cottet[1].

L'équivoque du terme "compter" était bien en effet le centre de gravité des cas présentés. Soit la rencontre avec un consultant psychanalyste qui à un moment donné produit un effet de rectification subjective, ou de déplacement de la question chez le sujet, cependant que les seize séances que compte le traitement constituent d'emblée son cadre et son rythme. Comment se conjugue ici temps de l'inconscient, temps logique, et temps chronologique ? Comment le consultant psychanalyste est-il lui aussi pris dans cette temporalité ?

Son intervention, dans les cas présentés, a pu être qualifiée d'intempestive, c'est-à-dire littéralement comme se manifestant dans un temps décalé. A l'inverse d'obvier à sa prise en compte par le sujet, comme on pourrait le croire, cette notion indique le pari souvent réussi, du fait du transfert établi, de s'adjointer au temps inconscient singulier du sujet, immédiatement ou en mode différé. Le traitement au CPCT est ainsi un cycle[2] qui dans un mouvement propre, donne occasion à l'inconscient transférentiel de se manifester. La surprise est autant au rendez-vous pour la personne reçue que pour le consultant, comme on l'a vu dans certains cas présentés.

Ici aussi le temps progrédient croise incessamment le temps régrédient, donnant lieu à une autre historisation par le sujet. Le traitement au CPCT démontre qu'une torsion peut s'opérer dans ce que le mouvement de civilisation présent produit quant à la place de la psychanalyse dans le monde, à savoir que "Le temps met en crise la vérité"[3]. Surprise subjective, expérience de transfert à l'oeuvre peuvent ainsi y poser ce contrepoint, qu'à l'instar d'une cure psychanalytique, la vérité met en crise le temps, départageant par exemple hâte, urgence, et précipitation, temps objectif et temps subjectif.[4]

[1] * L'après midi-comprenait deux séquences :

           Faut-il raccourcir le temps pour comprendre ?, intervention de Serge Cottet, modérateurs : Caroline Leduc et Ricardo Schabelman.

            Tempos du traitement avec 3 cas cliniques. Discutant : Serge Cottet ; modérateur : Pascale Fari

            "Un sas anti-écrasement", Hélène de la Bouillerie; "Le temps de l'acte", Jean-Claude Razavet; "Qu'est ce que l'histoire", France Jaigu.

[2] Effets Thérapeutiques rapides en psychanalyse, sous la direction de Jacques Alain Miller, Paris, Navarin, juin 2005

[3] Miller J.-A., "L'érotique du temps", la Cause Freudienne N°56, Paris, Navarin, 2004.

[4] Lacan J., " Le temps logique et l'assertion de certitude anticipée", Ecrits, Paris, Seuil 1966 et Miller J.-A., " Les us du laps ", séances des mois de mars, avril, et mai où ce texte de Lacan est commenté par le menu.

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Un peu de Rio à Paris !

Sans titre1

Nous sommes le 6 février. Le thème de la première séquence « Le corps parlant dans la séance analytique », présent en filigrane dans l’ouvrage d’Hélène Bonnaud, nous pousse au travail.

L’on parle des effets de savoir, de trou dans le savoir dans l’après-coup d’une séance d’analyse, d’un contrôle, d’une séance de cartel, mais  il y aussi ce qui se produit lorsque l’on travaille un livre, que l’on se laisse emmener dans sa lecture, que l’on écrit dans un effort d’extraction d’un bout, de bouts, qui soient transmissibles à d’autres. J’ai pour ma part d’abord rencontré un livre « Le corps pris au mot – ce qu’il dit, ce qu’il veut », le titre a eu valeur d’appel. J’ai ensuite rencontré l’auteure, Hélène Bonnaud, et nous avons préparé ensemble, rejointes par Camilo Ramirez, cette séquence. Hélène Bonnaud nous a parlé de son livre, de ce qui l’avait poussée à écrire à la fin de ses trois années d’enseignement de la passe. L’écriture face au vide, laisse-t-elle entendre. Hélène Bonnaud nous a surtout parlé avec précision et de manière incarnée, de la praxis analytique, faisant valoir la fonction du symptôme, et indiquant de manière précise et lumineuse comment le corps parlant est le corps percuté par un signifiant, un Un tout seul, hors-sens. Il faut une longue analyse pour en retrouver la trace. La conversation avec les participants nous a amené au point de saisir que nous ne pouvons retrouver l'entièreté de ce qui a fait trou, l'analyse porte le sujet dans la trouvaille d'une formule hors sens qui a percuté le corps. Pas sans la pulsion, comme nous le proposait Camilo Ramirez. Hélène Bonnaud, dans son style, montre que chaque parlêtre a à faire avec les signifiants entendus dans l’enfance, les signifiants rapportés, que c’est bien la rencontre du corps avec la langue qui fait traumatisme. J’étais sensible pour ma part au soucis d’Hélène Bonnaud de nous expliquer ce qui pousse le parlêtre à l’analyse : « On vient à l’analyse quand on sait que quelque chose ne peut fonctionner du côté de l’idéal et que le symptôme résiste à ce discours qui vous promet tant, sans vous prévenir de l’inertie propre au symptôme. Ce réel, ce réel du symptôme, les analysants disent en souffrir, les obligeant à osciller entre désir et renoncement, choix impossible et sentiment de rester à la même place. Le réel du symptôme, c’est son invariabilité. Le corps est alors éprouvé comme une énigme, ou recelant un trop. C’est lui, le corps, ou quelque chose dans le corps qui se manifeste et les attache au symptôme. » Le symptôme pas sans l’angoisse indique-t-elle aussi : « L’angoisse, je l’ai écrit dès la première page de mon livre, est l’envers de l’idéal, et se manifeste dans le corps. L’angoisse réduit le corps à ce sentiment d’oppression qui peut envahir certaines parties du corps, voire tout le corps. Le corps est donc absolument l’objet dont il s’agit dans une analyse. C’est lui le symptôme, corps parlé, joui par l’Autre dans la psychose et corps affecté par certaines paroles, oubliées, déniées dans la névrose. C’est pourquoi, le psychanalyste ne considère pas les symptômes comme des maladies mais comme des inscriptions parlantes si je puis dire, des formations signifiantes propres à chacun, et même incomparables les unes par rapport aux autres. »

Les questions de départ, quelles étaient-elles ? Que dit, que veut un corps allongé ou un corps en analyse ? Dans l’intimité et l’espace/temps particulier, qui se répète, du cabinet de l’analyste, comment les mots dits, les interprétations, les silences résonnent-ils dans le corps ? Les mots et silences de l’analysant et les mots et silences de l’analyste ?

Le corps dans ce qui s’y dit, dans ce qui y palpite, est entendu dans ce livre, il est effectivement pris au mot et le propos d’Hélène Bonnaud a marqué fortement ce point. Et son intervention nous a fait saisir à quel point le corps de l’analyste est présent lui aussi, un corps parlant, qui sait ce qu’il en est pour lui de la percussion du signifiant sur le corps, et qui prend au mot le corps de son analysant. « Le psychanalyste fait de son corps une présence intraitable, inconditionnelle et il en fait un lieu.  Un lieu et un lien. Il incarne à la fois le lieu de l’Autre et le lien à l’Autre. Son corps est un corps parlant en tant que son corps est porteur d’un sinthome qui s’appelle psychanalyse. »

S’il est question de nouage entre corps, symptôme et jouissance, il y a eu nouage aussi dans le travail de préparation de cette séquence : trois corps parlants, taraudés par des questions, soucieux qu’une transmission soit faite sur des points clés de la psychanalyse et qu’une conversation s’engage. Les échanges furent au rendez-vous et les analysants d’Hélène Bonnaud, auxquels elle fait la part belle dans son livre, étaient présents dans les questions : la théorie pas sans la clinique, ces énoncés précieux recueillis au plus près par l’analyste.

Emmanuelle Edelstein

À propos des interventions d’Esthela Solano et de Jean-Luc Monnier autour du Scilicet « Le corps parlant - Sur l’inconscient au XXIème siècle »

Esthela Solano nous a proposé un déploiement de son texte « compressé », paru dans le Scilicet consacré à la préparation du Xème congrès de l’AMP, et de le traiter comme « une fleur de papier qui se déplie dans l’eau ». Cette image poétique illustrait parfaitement son travail : son écrit paru dans Scilicet se déployait et prenait forme.

Cet exposé minutieux et précis a resitué le concept de l’Un articulé à celui du corps, dans l’ensemble de l’enseignement de Lacan. Voilà le tour de force ! Nous avons entendu comment Lacan a constamment, guidé par sa pratique, retravaillé ses formules et fait évoluer le statut du corps et du Un. Esthela Solano a déplié quatre points, l’Un unifiant, l’Un du trait, De l’Autre à l’Un, l’Un corps et le nœud à quatre, mettant en tension le rapport de l’Un au corps, et du corps comme Un.

Lacan est passé de l’image du corps unifiante donc non trouée (avec le stade du miroir et la primauté du registre imaginaire) au corps comme Un, résultant du nouage de la parole, de l’image et de la jouissance par le sinthome. Je m’attarderai sur un point de cet exposé qui m’a particulièrement interpellée : comment Lacan a-t-il visé, dans la cure, à atteindre la jouissance phallique du corps ? A la fin de son enseignement, il rompt avec l’intention de signification en faisant un usage du signifiant dans l’interprétation analytique comme d’une pure matière sonore, hors-sens. Afin d’illustrer cette question, Esthela Solano a témoigné de « la pratique à contre-sens » du docteur Lacan, une pratique de « contre-analyse » : « il s’employait à ne pas orienter la lecture du symptôme au niveau des effets de sens du langage mais à produire dans chaque énoncé, une rupture de l’articulation S1-S2. La phrase venait d’être commencée et la séance était déjà terminée ». L’effet de non-sens et de trouage de la phrase produisait dans l’après-coup de la séance « l’ouverture vers le dire, au-delà du dit ». Il vidait l’étalage de la jouissance phallique dans le corps et chaque séance touchait à la chair. Esthela Solano nous a fait partager les séances fulgurantes avec Lacan, qui par l’impact de la coupure allaient directement toucher au corps et à sa jouissance produisant alors un allègement ou un éprouvé inédit.

L’intervention de Jean-Luc Monnier s’est construite autour de cette citation de Jacques-Alain Miller : « l’inexistence du rapport sexuel est le réel du lien social ». Il nous a proposé une lecture psychanalytique de notre monde moderne en resituant tout d’abord le concept de lien social dans l’enseignement de Lacan, qui à partir du Séminaire XX place la jouissance au devant de la scène : reste de jouissance condensée dans l’objet a et jouissance du corps.

La jouissance de l’objet plus-de-jouir, désymptômatisée, encouragée par le monde contemporain, est particulièrement à l’œuvre dans les addictions et la pornographie en est une des déclinaisons. Cette lecture d’un symptôme de notre monde moderne va plus loin avec le concept d’itération qui désigne la jouissance Une, sans Autre et l’inexistence du rapport sexuel. Jean-Luc Monnier propose de faire de la psychanalyse « une fonction de déchiffrage et d’interprétation des formes actuelles du malaise dans la civilisation et des modes contemporains de l’insertion des parlêtres dans la dite civilisation. » La lecture du phénomène d’exhibition notamment sur internet que J.-L. Monnier nous a proposé a été particulièrement éclairante. En effet, le selfie pourrait être appréhendé comme un usage de l’image afin de témoigner de sa place singulière dans le monde « et fait signe dans cette closule de moi à moi du trou du corps et du non rapport sexuel. » Alors qu’en est-il de la place du regard ? Qui regarde qui ? Dans l’addiction au porno, c’est le sujet qui est regardé car il ne peut pas se voir et le porno s’évertue à démontrer qu’il n’y pas de jouissance de l’Autre ni de rapport sexuel. Alors comment pourrait-on lire le succès des programmes de téléréalité qui tentent de former des couples (L’amour est dans le pré, Le Bachelor...) ? Sont-ils également une tentative d’attraper ce qui ne peut se dire ni s’écrire ? Comment appréhender la place du téléspectateur, regard omnivoyeur plongé dans l’intimité des parlêtres, des Uns tout seul...

Cette après-midi d’étude nous a éclairé sur ce concept complexe qu’est le « corps parlant » mais a surtout ravivé notre désir de travail. Les exposés brillants mais également les discussions animées nous ont fait cheminer un peu plus vers Rio.

Vanessa Wroblewski

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Que se passe-t-il à presque dix-sept ans ? – À propos de la conférence de P. Lacadée

Le 27 février 2016, le laboratoire « Grain d’sel » du Centre Interdisciplinaire sur l’Enfant de Metz accueillait Philippe Lacadée pour une conversation inter-laboratoires suivie d’une conférence. L’argument proposé par Philippe Lacadée était le suivant : « Que se passe-t-il à presque dix sept ans ? […] Qu'en est-il au XXIe siècle là où les temps modernes offrent des nouvelles modalités de lien social réactualisant les questions essentielles des adolescents en ne leur offrant pas toujours la possibilité de bien situer ce qui peut leur poser problème ?»1.

Un passage de cette conférence aux accents rimbaldiens a particulièrement retenu mon attention : « Rechercher le lieu et la formule2 où être identifié, rechercher son nom de jouissance, faute d’avoir rencontré un non de jouissance ruineuse surgie au moment de la puberté, reste ainsi la quête centrale de l’adolescence. »3 Je profitais de l’occasion pour relater une courte vignette à propos d’un collégien d’une classe de sixième qui n’a pas attendu dix-sept ans pour trouver son lieu et sa formule, même si ce fut de manière fragile et transitoire – comme l’est toute création. JT est un élève épinglé des signifiants « agité » et « perturbateur », qui n’ont comme effet que de l’agiter encore plus. Pendant mon cours d’arts plastiques il sollicite énormément l’attention, se déplace constamment, parle à tort et à travers… Bref, comme s’en sont plaint dans un style très branché sur la pulsion ses camarades excédés au bout de quelques semaines : « Monsieur, il nous emmerde ! »

Jusqu’au jour où JT me propose en début d’heure de rebrancher un câble informatique débranché et d’allumer à ma place l’ordinateur et le vidéoprojecteur dont je me sers habituellement à mon bureau. Pendant que je fais l’appel il démarre une session à son nom, branche la clé USB que je lui confie et ouvre les documents à projeter à la classe. « Et voilà, vous voyez, je suis assistant ! » Si, après l’avoir remercié, je l’autorise à rester à côté de moi pour se servir de l’ordinateur à des fins de créations graphiques, je lui signifie cependant qu’il ne restera pas toujours à cette place. Depuis qu’il travaille à mes côtés j’accepte également qu’il dessine parfois au tableau plutôt que sur support papier.

Après tout certains sont accompagnés par des Auxiliaires de Vie Scolaire, d'autres ont des prothèses auditives ou des appareils de transcription ou des cannes... Pourquoi JT n'aurait-il pas un ordinateur ? C'est une aide pour lui, ce que Philippe Lacadée nomme joliment « point d’où l’adolescent peut se voir digne d’être aimé »4, d’où s'ancrer également dans l'espace. JT ne part dès lors plus à la dérive avec la volonté d'accrocher l'écoute et les regards. Il a donc su trouver son lieu et sa formule que j’ai pu et su accueillir. Jusqu’au jour où un assistant d’éducation est venu le chercher en classe pour cause de courriel anonyme et insultant envoyé à l’administration depuis l’ordinateur …

Philippe Lacadée a évoqué la manière dont la psychanalyse, d’une manière nouvelle, a éclairé le moment de la puberté « que Freud rendait équivalente au fait de percer un tunnel des deux côtés à la fois, et de le traverser. Donc, un trou dont une extrémité perce l’autorité, le savoir, la consistance de l’Autre parental, de ses idéaux et l’autre extrémité perturbe le vécu intime du corps de l’enfant, venant faire trou dans son image corporelle et son existence d’enfant. Un tunnel où s’opère une déconnexion pour le sujet entre son être d’enfant et son être d’homme ou de femme à venir.»5 Cet entre-deux, que Jacques-Alain Miller définit comme un moment de « mystère douloureux qu’est le sujet pour lui-même »6, est celui où l’adolescent doit tenter de dire ses sensations nouvelles, inventer un nouage entre le corps et les mots et renoncer pour cela à une certaine part de jouissance. Dans l’urgence, en proie à « l’insécurité langagière » au bord du vide créateur, « il peut loger cette jouissance du corps, par un usage de la langue, sous le mode de l’injure ou de l’insulte »7. Une autre anecdote m’est revenue depuis à ce propos – reste d’un ratage où je n’ai pas su me faire lieu d’adresse d’une formule percutante.

Kâli, adolescente en classe de troisième, a des capacités certaines mais reste l’objet d’une vive agitation qui la déborde, à l'image du volcan évoquée par sa mère lors d’un entretien avec sa professeure principale. Elle a en effet bien du mal à se positionner au collège par rapport à ses interlocuteurs. Elle questionne les limites et traite parfois les adultes d’égal à égal tout en restant du côté des ses camarades qu’elle amuse et séduit par son comportement, une manière de jouer sur les deux tableaux, un pied de chaque côté du tunnel évoqué par Freud. Lors d’un cours d’arts plastiques où j’étais particulièrement excédé par le comportement de cette élève frondeuse parmi d’autres, je me suis mis à élever la voix pour la tancer vertement au bord du cri. Un mot en appelle un autre… jusqu’à l’insulte qui fuse : « Il a ses règles ou quoi ?! ». Sous l’effet de l’ire, je passe à l’acte : mise en place immédiate d’un protocole d’exclusion de cours – « Dehors ! ». Sur l’instant je n’ai pas entendu toute l’ironie que pouvait recéler sa formulation prise au pied de la lettre, cette ironie des adolescents qui selon Philippe Lacadée « met en question le savoir de l’Autre, face au tout pouvoir de la sensation nouvelle à laquelle ils tiennent »8. Dans ce dialogue de sourds – la règle opposée aux règles – je me trouvais également renvoyé. Renvoyé, d’une part à mon trop de sérieux de censeur bêtement identifié à sa fonction et à « l’horreur de sa jouissance à lui-même ignorée »9, d’autre part à mon angoisse de castration et au réflexe de défense mis en place face à l’irruption de la différence sexuelle venant faire trou dans le réel : « Cachez ce sang que je ne saurais voir ! »10. Philippe Lacadée parle à ce propos de « crise de la langue articulée, S1-S2, liée de structure à ce trou dans le réel », d’un signifiant « tout seul » qui, « directement branché sur la pulsion peut alors se déchaîner, et perturber le lien à l’Autre. L’adolescent préfère s’assurer de son S¹ tout seul qui noue directement son corps à sa pensée, c’est ce qui montre les points d’impact du dire sur son corps, ce dont il fait un usage de jouissance en ne s’articulant plus au corps de l’Autre de la langue […]»11.

Comment faire alors pour échapper à la sidération, mettre du jeu entre les Je et articuler mon corps à la langue de l’Autre? Lorsque je fus informé du passage à venir de Kâli en commission disciplinaire en raison de ses nombreux écarts de conduite, j’essayai de rattraper ma bévue en donnant au signifiant tout seul une chance d’essaimer. J’adressai un courriel à mes collègues ainsi qu’à la direction du collège : « […] Kâli sait faire preuve d’humour, j’en aurais volontiers ri avec elle : ce genre de « bon mot » est à réserver au cercle des intimes ou à mettre à profit dans un cadre adéquat. Ce signifiant « règles » est des plus intéressants : témoin du passage de l’enfance à l’adolescence et marqueur d’un questionnement sur la sexualité des grands et notre commune finitude, règles du jeu, de l’art, règles de conduite définissant ce qui est conforme aux usages… Jouer avec les mots est déjà une manière de se les approprier et d’en discerner les sens par l’équivoque. Ce que Kali a très bien su faire lors d’une séance d’arts plastiques autour de l’œuvre de René Magritte et du sens des mots chez cet artiste surréaliste : cette fois-ci dans un cadre approprié. Ce qui a eu un effet drôle et apaisant ce jour-là. […] ». Temps de reprise, temps pour comprendre qu’un excès de jouissance m’avait laissé hors discours et qu’il restait à ma charge, après coup, de le cerner par l’écriture pour en transmettre quelque chose.

  1. Lacadée Ph., Que se passe-t-il à presque dix-sept ans ?, conférence au Grand Grenier des Récollets de Metz, 27 Février 2016.
  2. Rimbaud A., « Vagabonds », Œuvre-Vie, édition du centenaire établie par Alain Borer, Arléa/Le Seuil, 1991.
  3. Lacadée Ph., Que se passe-t-il à presque dix-sept ans ?, op cit.
  4. Ibid.
  5. Ibid.
  6. Ibid.
  7. Ibid.
  8. Ibid.
  9. Freud S., L'Homme aux rats, Journal d'une analyse, (1909), Paris. PUF, 2000.
  10. Schaeffer J. : « Le fil rouge du sang de la femme », article en ligne : http://www.spp.asso.fr/wp/?p=2486.
  11. Lacadée Ph., Que se passe-t-il à presque dix-sept ans ?, op cit.

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