Flash Scilicet – Pulsion
Pulsion[1]
Chaplin, le corps, la voix
Chaplin a tourné Le Dictateur son premier film parlant en 1938-39, mettant en valeur « l'impact de lalangue sur le corps vivant » sa « marque de jouissance (...) traumatique introduisant un excès que le symbolique ne peut résorber entièrement ». Ce que signale Marisa Chamiso en référence aux effets de lalangue dont parle Lacan dans « Encore ».
Son film précédent, Les Temps modernes, 1934-35 est muet, mais pas tout à fait. La musique est synchrone au bruit des machines. On entend les sifflets de policiers, une réclame enregistrée décrivant le fonctionnement d'une "eating-machine" ou encore une voix à la radio qui vient couvrir les gargouillis d'un estomac affamé... mais aucun dialogue. C'est un monde muet où les travailleurs ne parlent pas.
Cependant, dans une scène, Chaplin fait basculer son film du muet au parlant. Son personnage, Charlot, doit chanter devant un public. Il danse mais... reste sans voix. Sa bien-aimée en coulisse l'encourage. Une pancarte transcrit ce qu'elle dit pour les spectateurs. Alors, tout en dansant, il interprète, en mélangeant des sonorités françaises et italiennes, une chanson : The Nonsense Song. Ainsi, Chaplin, formé au mime, fait du passage du muet au parlant un travail sur la parole et la voix qu'il désaccorde de la signification, laquelle est portée par le corps.
Puis, il commence Le Dictateur. Hitler lors de ses apparitions publiques se met en scène avec une gestuelle particulière cherchant à provoquer fascination, obéissance et terreur. Dans un enjeu artistique et politique, Chaplin choisit d'interpréter deux sosies d'Hitler, un barbier juif où l'on retrouve le personnage de Charlot, et le dictateur Hynkel. Il veut ridiculiser et attaquer Hitler. Le discours d'Hynkel parodie ceux d'Hitler : il vocifère dans une langue incompréhensible où se mêlent anglais, allemand, mots inventés, onomatopées, toux et silences soudains. Cela participe de la voix lacanienne, c'est-à-dire "tout ce qui, du signifiant, ne concourt pas à l'effet de signification", dans sa dimension de jouissance. Bien sûr, l'effet est comique, car le tyran trébuche. Le discours est rabattu sur la haine. Une clameur de la foule vient répondre à cette jouissance sans limite et donne une dimension inquiétante.
Dans ces deux films successifs, Chaplin donne, dans sa version du corps parlant, une grande importance à l'objet voix. Il dévoile la pulsion de mort véhiculée par la voix, et il met en valeur, à la fin du film, dans le discours de paix que tient le barbier juif, l'effet apaisant de la parole qui fait taire la voix.
[1] Chamizo M., « Pulsion », Scilicet – Le corps parlant – Sur l’inconscient au XXIème siècle, collection rue Huysmans, Paris, 2015, pp. 260-262.
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