Focus

Pornographie : censure du langage

« Ou bien tu jouis, ou bien tu parles ». Serge Cottet cerne avec justesse et drôlerie la logique d’un vel propre au porno.

Dans le hard sex, tel que les vidéos le diffusent depuis les années soixante-dix, on ne parle guère. Est-ce alors le corps parlant qui prendrait le relais ? Distinguons :

Il y a le porno chic. Il arrive que les sujets disent quelque chose, du moins dans les préliminaires. Dans l’un d’entre eux, l’incontournable Brigitte Lahaie entreprend une femme dans la rue et lui propose de venir chez elle : « On s’occupe de tout ». L’impersonnel, tel un Dieu du sexe, garantit que la maison ne lésinera pas sur les moyens ; vous en aurez pour vos fantasmes. Ce cliché racoleur, genre Club Med, fait mouche et la femme de rencontre cède (on n’a pas la suite sur Internet). De brefs préambules, un semblant de scénario bâclé en quelques mots font fonction de simple mise en bouche. À partir du moment où ça baise, comme dans le porno hard, on ne parle plus. Normal, la jouissance est muette. Silence, on jouit. Un bruitage tout terrain accompagne les exécutants. L’hyper-réalisme oblige à tout faire, tout montrer, toute honte bue : « Dans la gêne, il n’y pas de plaisir », n’est-ce pas ? Les X les plus nuls gomment toute transgression ; nul interdit, pas d’angoisse. Sex machine, le corps est rivé à un protocole mécanique où les fantasmes pervers, loin de maximaliser la jouissance, la ravale ; on baise comme on passe le balai. Au fait, qui jouit ? Le phallus certes, en gros plan, mais pas le porteur du phallus ; c’est la jouissance de l’idiot que ne dément pas l’acteur Rocco Siffredi, malgré son harem affamé. Lui, sans émotion, impassible, fait le boulot. Un seul interdit : la parole. L’ascèse analytique sert ici d’antonyme s’il en était besoin : abstinence, équivoque phallique du discours, tout dire, ne rien faire, le corps n’en parle que mieux.

Dans le porno, côté mâle, si l’organe jouit seul, si la jouissance est hors corps, est-ce que « ça parle » ? Rappelons que « la jouissance est interdite à qui parle comme tel », selon l’axiome lacanien. Tout se passe comme si les imbéciles en concluaient qu’elle n’est permise qu’à condition de se taire. Ou tu parles, ou tu jouis ! Non seulement le corps ne parle pas, mais il ne faut pas qu’il parle ; cette intrusion du langage dans l’acte émousse la jouissance : la moindre concession à la sublimation prive l’acte de son énergétique, telle une castration par le langage prise au pied de la lettre. La seule concession que le porno fait à cette disjonction, c’est l’expression du cri, pour la fille ; le seul signifiant autorisé pour le porteur du phallus est l’insulte : « Salope » !

Un cinéaste de la nouvelle vague, José Benazeraf (Joë Caligula, Le désirable et le sublime) avait dénoncé cette dérive du X avec la prétention de faire de l’art : « Le porno, c’est fasciste ! », disait-il. Il avait pour argument que la jouissance féminine n’était pas prise en compte ; il voulait la faire parler (Bordel SS 1978). Tâche difficile : le corps ne parle pas tellement dans ses films, mais on parle beaucoup en son nom. J. Benazeraf, auteur hybride, verbeux, subversif, mélangeait les genres. Entre Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Mocky dans les années soixante-dix, son slogan avait la cote : le sexe est politique ! Le porno côtoyait la philo : Spinoza, Hegel... Or, nul n’a été plus que lui visé par la censure ; son « anthologie » des œuvres censurées en DVD (1975) ne va pourtant pas loin ; diffusée un temps en salle et sur Canal Plus, J. Benazeraf la commente en voix off. Il voulait faire parler le sexe, on lui a coupé la parole : on ne compromet pas la culture avec le porno. Conclusion : le porno parlant est plus censuré que le hard.

Par contraste, on se souviendra de la scène du coït dans Les amants de Louis Malle, une des premières dans le cinéma français, en 1958. L’acte sexuel lui-même n’est pas filmé, tandis que l’expression de la jouissance de Jeanne Moreau est explicite. Avec la montée de l’orgasme, rythmant sa jouissance, elle répète de plus en plus fort : « Mon amour ! » dans les bras de son amant de rencontre. Aveu incongru, dérangeant. Le réalisateur a su tirer profit de la censure de l’époque, tout en révélant une censure plus obscure, moins contingente : un impossible de tout dire sur la jouissance féminine.

Tel n’est pas l’avis de B. Lahaie, la voix féminine du porno qui entend en dire toujours plus sur la femme. Depuis ses années hard sex, elle a lu Freud et repris du service hors champ : promue, dans les années quatre-vingts, grand prêtresse de la fellation sur les ondes de RMC pour l’édification des jeunes filles maladroites, elle donne aujourd’hui des leçons de savoir vivre.

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Shame le silence de la pulsion

Dans une mise en scène glaciale et limpide, Steve McQueen raconte l’infinie solitude d’un porn-addict. Dominique Carpentier met en valeur le réel qui le rend esclave dans cette imparable capture.

Le film Shame de Steve McQueen, artiste plasticien et cinéaste anglais, sorti en décembre 2011, met en scène Brandon, sexual addict new-yorkais. Dans le cadre de ce dossier de l'Hebdo-Blog, il est intéressant de reprendre quelques points de ce film, pour illustrer ce que dit Jacques-Alain Miller : « Rien ne montre mieux l’absence de rapport sexuel dans le réel que la profusion imaginaire de corps s’adonnant à se donner et à se prendre. »[1] Brandon, joué de manière exceptionnelle par Michael Fassbender en fait la démonstration. Sa vie est rythmée par sa compulsion à regarder des sites pornographiques et à s’offrir des prestations tarifées pour des rapports sexuels sans affects ni paroles. Il est Un tout seul perdu dans un quotidien répétitif, sans relief, vide, comme l’est son appartement, froid et immaculé.

Enfermé dans une jouissance Une dévastatrice, il s’extrait du lien social, bien qu’il soit inséré dans le monde de la finance où il excelle. Outre cette compulsion sexuelle qu’il se doit d’épuiser, sous peine de souffrir d’insomnie, il court, ne peut rien faire d’autre que de courir, à en perdre haleine, sans but souvent, dans New-York que l’on découvre différente, New-York circonscrite à Manhattan, juxtaposition de lieux vides et transparents, tel cet hôtel où les chambres sont autant de vitrines exhibant des couples faisant l’amour. Cet homme, qui dit très peu, voire rien, de ses affects, les traduit par le silence. Très bel homme, il aurait « tout » pour plaire, si ce n’est cette blessure que l’on découvre, une histoire familiale douloureuse, dont il tente de s’échapper et qui lui revient sous les espèces du retour de sa sœur, qui lui réclame un toit, des paroles et de l’attention. Cette jeune femme se révèle être celle qui redonne « humanité » à ce frère qui n’a plus d’idéal, pourtant nécessaire pour faire tenir les semblants. Est suggéré, en filigrane, un rapport incestueux entre lui et sa sœur, tous deux étant comme sans filiation, sans famille, et pourtant unis par leur histoire commune.

Shame, qui signifie « la honte », mais aussi, dans l’expression anglaise What a shame ! « le dommage » révèle l’écart entre l’isolement et la solitude. Pourquoi le héros ne choisit-il pas la rencontre amoureuse ? Celle-ci échoue dès que le « sentiment » y est engagé. Pourtant, dans ce film dur, le plaisir est manifeste pour tous, les acteurs comme le spectateur, dans la jolie scène du restaurant, où un serveur entreprenant, un peu spécial il faut dire, vient alimenter un début de dialogue amoureux entre Brandon et sa collègue de bureau. Elle lui dit, regardant les autres couples dînant dans ce restaurant : « Les couples qui vivent ensemble des choses sont « connectés », au prix peut-être même de ne pas se parler ». C’est ce qu’elle aimerait, cette connexion qu’il n’y a pas, et qui exige un voile sur le réel pour permettre le lien. En cédant aux avances de son collègue, elle rencontre ce qu’elle connaît, le malentendu et le ratage, quand notre héros se trouve dépossédé de sa puissance, ici ravalée à un dysfonctionnement physique, vite effacé par une autre rencontre sexuelle, dans la foulée, mais cette fois tarifée, sans affect aucun.

Le silence qui entoure la pulsion est rendu sensible, la musique très présente est aussi ponctuation de la difficulté pour chacun à rencontrer l’autre, dans un monde où le lien social ne tient plus sans les semblants. L’article d’Alain Merlet, « La gloire et la honte »[2], nous enseigne sur ce qui, au plus intime du sujet, le réduit à son être pour la mort, son être pour la jouissance. Ce magnifique acteur, au fil de la narration, perd de sa superbe, pour, dans l’avant-dernière scène, « jouer » la mort dans la recherche éperdue d’une jouissance qui se révèle toujours vaine et inépuisable. La tentative de suicide de la sœur du héros oblige celui-ci à un « être là » qu’il abhorre. Au moment où le pire est advenu, où il se perd dans cette quête d’une jouissance phallique dont il se fait l’esclave, c’est le suicide de l’autre, de la seule qui compte un peu, sa sœur, qui donne un coup d’arrêt, peut-être fugace, à son « être-pour-la-mort ». Dans cette histoire sans parole, la possibilité de faire autre chose que « courir après la mort » est en perspective : remettre le désir en fonction, là où l’addiction au sexe et à la jouissance des corps entraînaient vers le pire, réduisant le sujet à son corps, pris ou donné, pur objet. S’il n’y a pas de rapport sexuel, il y a la jouissance, qu’il faut pouvoir tenir à distance pour ne pas s’y abîmer, et ce serait peut-être alors, pour Brandon, croire (un peu) à l’amour, c’est-à-dire aux pouvoirs de la parole.

[1] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », Le réel mis à jour, au XXIe siècle, AMP WAP, Paris, Collection rue Huysmans, 2014, p. 307. [2] http://www.psychanalyse67.fr/accueil/myFiles/70_72679I53BB.pdf

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Discordance

Stella Harrison tente ici de saisir pourquoi Jacques-Alain Miller, dans son texte d’introduction au prochain Congrès de l’AMP, énonce que « Le sexe faible, quant au porno, c’est le masculin, il y cède le plus volontiers. »[1]

Lacan, quand il invente les formules de la sexuation, indique qu’un homme c’est un sujet qui jouit de son fantasme et ne peut atteindre son partenaire sexuel que par l’objet a qui, dans le fantasme, cause son désir. Si La femme, elle, n’existe pas, une femme peut avoir rapport à la jouissance phallique et à la jouissance supplémentaire car elle n’est pas toute dans la fonction phallique. La jouissance supplémentaire a deux faces, précise J.-A. Miller : « C’est, d’un côté, la jouissance du corps, en tant qu’elle n’est pas limitée à l’organe phallique. […] Mais, deuxièmement […] c’est la jouissance de la parole »[2]. « C’est exactement, poursuit J.-A. Miller, la jouissance érotomaniaque, au sens où c’est une jouissance qui nécessite que son objet parle. »[3]

Que son objet lui parle ?

Nous voilà au cœur d’un discord ardent car ni le phallus ni l’inconscient ne parlent et la jouissance sexuelle, phallique, qui n’a que faire de l’Autre, est souveraine. La diffusion massive de l’image du porno travaille pour cette jouissance solitaire qui se protège de la rencontre réelle des corps. Même si prolifèrent à présent de nouveaux sites de rencontres qui semblent démentir cette seule tension vers le virtuel, nous objectons à nommer « rencontre » ces instants fugaces. Pourquoi ? Un mot d’abord sur la place du phallus dans le désir féminin. Quelles conséquences pourrions-nous tirer de ces passages des Écrits ? Commençons par « La signification du phallus » en 1958, Lacan écrit : « son désir à elle, elle en trouve le signifiant dans le corps de celui à qui s’adresse sa demande d’amour »[4]. La femme, si elle désire le phallus, aime le partenaire pour ce qu’il (ou elle) n’a pas. Mais, et déjà en 1960, Lacan, toujours visionnaire, nous propulse au XXIe siècle dans « Subversion du sujet et dialectique du désir » en écrivant, du sexe mâle, qu’il est « le sexe faible au regard de la perversion »[5], et il établit un répartitoire des modes de jouir :

Côté mâle, « la perversion […] accentue à peine la fonction du désir chez l’homme, en tant qu’il institue la dominance, à la place privilégiée de la jouissance, de l’objet a du fantasme qu’il substitue à l’Autre barré »[6]. Cet objet se distingue par sa permanence, sa fixité, condition nécessaire à la survie du désir. L’on peut donc penser qu’avant la fin d’une analyse menée à son terme, le désir, côté homme, est fragile par essence, comme ligoté au fantasme. Ce désir, « c’est un objet qui se satisfait du court-circuit de la parole. L’objet fétiche, c’est par excellence l’objet qui ne parle pas, l’objet inerte, l’objet en effet objectifié, objectalisé, et cohérent avec une exigence de jouissance qui admet que la parole reste hors jeu »[7]. Ce mode de jouissance est maître aujourd’hui, à l’heure où le porno est accessible à tous, à l’heure où, en cliquant sur « Charme » sur votre smartphone ou votre écran TV, jaillissent joyeusement les images d’organes sexuels et d’objets des plus spectaculaires. Le phallus se dévoile comme un réel ; sa représentation crève l’écran, ravalée, disponible, cocasse. L’homme s’y montre en position de faiblesse.

Du côté féminin, la jouissance est divisée. Avançons qu’une femme a plus d’un faible : le premier l’amène à prendre sa part dans la forme fétichiste du désir en tant qu’elle est inscrite dans la fonction phallique. Le second l’incite à quêter la lettre d’amour qui viendrait dire ce qu’elle-même ne saurait dire de son être de femme, pas-toute ; elle déchante et chante encore, comme la célèbre Lucienne Boyer en 1930, Parlez-moi d’amour […] Votre beau discours, mon cœur n’est pas las de l’entendre. Comme l’écrit Pierre Naveau « La condition de la rencontre est donc que le sujet divisé accepte que sa défense contre l’infini soit dérangée par ce qui, justement, le divise, c’est-à-dire par ce qui le surprend. Rencontre résonne avec surprise. »[8] Si J.-A. Miller put dire le sexe masculin « le sexe faible au regard du porno », n’est-ce pas en ce qu’il peut aisément trouver à se loger dans la forme fétichiste, figée et fragile donc, du désir ?

Au temps des gadgets, au timing du clic, quand règne l’urgence d’une jouissance instantanée, le sexe faible s’incarne chez l’idiot, et cela quelle que soit son anatomie, l’idiot dont la compulsion à jouir silencieusement déracine le désir d’un autre, le désir de la rencontre. La cure analytique vise à rompre avec cette pulsion homéostatique, avec la puissance mortifère du fantasme. C’est bien ce que nous avons pu apprendre de l’intervention de Bruno de Halleux lors de la soirée Enseignement de la passe du 13 janvier 2015. C’est d’une rencontre nouvelle, mordue par le langage, dégagée pour lui de l’image du corps féminin et de son poids menaçant, que B. de Halleux a témoigné, la parole prenant alors sa place.

[1] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », présentation du thème du Xe Congrès de l’AMP à Rio en 2016, http://wapol.org/fr/articulos/Template.asp?intTipoPagina=4&intPublicacion=13&intEdicion=9&intIdiomaPublicacion=5&intArticulo=2742&intIdiomaArticulo=5 [2] Miller J.-A., « Un répartitoire sexuel », La Cause freudienne, n° 40, Paris, Navarin/Seuil, 1999, p. 18. [3] Ibid. [4] Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 694. [5] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 823. [6] Ibid. [7] Miller J.-A., « Un répartitoire sexuel », La Cause freudienne, n° 40, op. cit., p. 17. [8] Naveau P., Ce qui de la rencontre s’écrit, Études lacaniennes, Paris, Éditions Michèle, 2014, p. 82.

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Le porno : quoi de neuf ?

« La psychanalyse change, ce n’est pas un désir, c’est un fait, elle change dans nos cabinets d’analystes, et ce changement, au fond pour nous, est si manifeste que le congrès de 2012 sur l’ordre symbolique, comme celui de cette année sur le réel, ont chacun dans leur titre la même mention chronologique, “au XXIe siècle”. »[1] Il faut dire que cette affirmation de Jacques-Alain Miller est loin de faire l’unanimité dans le monde analytique. Il n’est pas rare, lorsqu’on intervient auprès d’auditoires analytiques extérieurs au Champ freudien, de faire un étonnant constat. Des collègues, qui ont pourtant une pratique confirmée, rétorquent, chacun avec ses repères : « Non, rien n’a changé, ni dans la pratique analytique pas plus que sous le ciel étoilé de la clinique. Non, l’inconscient est éternel et atemporel, il est déconnecté de la subjectivité de notre époque. »

Alors que je tentais de faire entendre dans un colloque, fin novembre, ce que comporte comme nouveauté l’explosion du porno à l’échelle planétaire, et ses conséquences cliniques dans la sexualité masculine, l’analyste président de séance affirma que le porno était vieux comme l’histoire du monde et qu’il s’étalait déjà sur les fresques érotiques de Pompéi… Déni ? Passéisme ? « N’en rien vouloir savoir » ? Quoi qu’il en soit, je ne cesse de constater que le relief du monde ne se découpe pas de la même façon lorsqu’il n’est pas éclairé par l’orientation lacanienne. S’en sert donc qui veut.

Il n’est pas anodin que J.-A. Miller ait choisi d’ouvrir sa présentation du thème du prochain Congrès de l’AMP en s’attardant sur la coupure introduite dans la morale sexuelle civilisée par le déferlement pornographique : « Comment n’aurions-nous pas, par exemple, l’idée d’une cassure, quand Freud inventa la psychanalyse, si l’on peut dire, sous l’égide de la reine Victoria, parangon de la répression de la sexualité, alors que le XXIe siècle connaît la diffusion massive de ce qui s’appelle le porno, et qui est le coït exhibé, devenu spectacle, show accessible par chacun sur internet d’un simple clic de la souris ? »[2] Sa thèse est tranchante : le tsunami pornographique c’est du nouveau dans la sexualité. Plus il exhibe les ébats entre parlêtres, plus il fait saillir l’absence de rapport sexuel.

La copulation filmée et donnée à voir dans un large catalogue polymorphe a des effets dont les analystes recueillent les conséquences. Le décalage entre hommes et femmes concernant ces pratiques est saisissant. Le désintérêt majoritaire des femmes contraste avec le fait que c’est l’homme « le sexe faible » quant à cet accrochage pulsionnel, dépendance que nous pourrions qualifier paradoxalement d’inébranlable ! Aujourd’hui un site comme Youporn compte cent millions de connexions par jour et le nombre d’hommes, avouant « c’est plus fort que moi », se compte aussi par millions : il y a eu rencontre entre l’époque du Web et certains traits de structure propres à la sexualité masculine. Il y a eu rencontre entre l’hédonisme désinhibé, immédiat, de notre époque, le privilège accordé à l’image, et le ravalement de la vie amoureuse masculine. Objets a, objets fétiches, objets dégradés, jouissance féminine mise en scène par des réalisateurs masculins, fantasmes ready-made et bouts de corps envahissent le champ scopique masculin, produisant une irrésistible capture.

La prolifération du porno est solidaire d’autres modifications d’envergure dans le champ du sexuel. Marie-Hélène Brousse avait relevé certains traits concernant ces mœurs nouvelles, en indiquant que la marchandisation aussi bien que la logique consumériste avaient fini par envahir le terrain de la sexualité, provoquant des transformations qualitatives. Elle épinglait ainsi l’un de ces nouveaux traits de la rencontre sexuelle : « Elle est de plus en plus corrélée par contre à l’imaginaire au sens propre, soit à l’image du corps plus qu’au dire. »[3] Ceci est valable pour la pornographie, lieu par excellence de la non-rencontre et de l’évanouissement de la parole. Ici le sujet ne rejoint que ce que sa jouissance a de plus solitaire et de plus addictif.

L’Hebdo-Blog compte bien faire résonner autour de divers articles, ce nouveau phénomène qui éclaire aussi bien le cours des mœurs sexuelles que ses conséquences dans le champ de la subjectivité.

[1] Miller, J.-A. « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, Paris, Navarin Éditeur, n° 88, 2014, p. 105. [2] Ibid., p. 105. [3] Brousse M.-H., « L’amour au temps du “Tout le monde couche avec tout le monde” Le savoir de Christophe Honoré », Lacan Quotidien, n° 81, 6 novembre 2011.

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Les signifiants familiaux sont-ils à interpréter ?

Ni causalité psycho-familiale, ni causalité organique. L’acte du psychanalyste doit porter sur la manière dont le sujet psychotique ou autiste construit une réponse pour contrer le réel rencontré, comme nous l’indique Alexandre Stevens dans cette contribution, dernière, de la série du dossier spécial JIE.

L’histoire familiale intéresse le psychanalyste, c’est certain. Toutefois cette histoire, pour importante qu’elle soit, voile le réel en cause. Lacan fait ainsi remarquer que trop souvent un analyste s’accoutume aux termes : « le père, la mère, la naissance d’un frère ou d’une petite sœur, et il considère ces termes comme primitifs, alors qu’ils ne prennent sens et poids qu’en raison de la place qu’ils tiennent dans l’articulation du savoir, de la jouissance et d’un certain objet »[1].

Certains vocifèrent sur les psychanalystes culpabilisant les parents par les interprétations qui donnent au père, ou surtout à la mère, la responsabilité de ce qui arrive à l’enfant. C’est une pente qui existe dans certains courants psychanalytiques, laissant croire à une causalité psychologique familiale de la psychose ou de l’autisme. Ce n’est pas la nôtre.

La causalité des symptômes d’un enfant ne tient pas à telle ou telle pathologie familiale ou de l’un de ses parents, mais elle est à situer à partir de la faille où la névrose – aussi bien la psychose d’ailleurs – se raccorde à un réel. C’est ce que nous appelons « le choix du sujet ». Quelle que soit la difficulté rencontrée – et pour certains enfants cette difficulté a parfois été très lourde – ce qui compte est la manière dont le sujet y a réagi. Ce choix du sujet concerne ce mode de réaction au réel qui a surgi.

À l’inverse certains imputent une causalité organique à l’autisme. Nous n’adhérons pas davantage à ce type de causalité qui n’est d’ailleurs en rien démontrée à ce jour. Nous n’avons simplement pas à trancher entre psychogenèse et organogenèse : ni l’une ni l’autre ne donne la vérité du processus au sens où nous aurions à l’interpréter. Ce qui nous importe, et emporte notre interprétation, c’est le réel qu’a rencontré le sujet et la réponse qu’il lui a donnée comme sujet.

Dans le Séminaire XI Lacan situe ainsi l’inconscient freudien : « entre la cause et ce qu’elle affecte, il y a toujours la clocherie. L’important n’est pas que l’inconscient détermine la névrose – là-dessus Freud a très volontiers le geste pilatique de se laver les mains. Un jour ou l’autre, on trouvera peut-être quelque chose, des déterminants humoraux, peu importe – ça lui est égal. Car l’inconscient nous montre la béance par où la névrose se raccorde à un réel – réel qui peut bien, lui, n’être pas déterminé »[2].

Dès lors il ne s’agit pas d’interpréter les symptômes à partir d’une supposée causalité familiale, mais bien dans l’économie de jouissance d’un sujet. Les signifiants familiaux font partie de l’histoire du sujet qui se prête à être interprétée, mais c’est au-delà de ces signifiants où le sujet trouve ses identifications que doit porter l’acte de l’analyste.

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, Dun Autre à lautre, Paris, Seuil, 2006, p. 332. [2] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 25.

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Interpréter l’enfant, une mise au travail

L’interprétation apophantique, terme introduit par Lacan, a toute sa pertinence, y compris dans les cures d’enfants, comme nous l’indique Laurent Dupont, coordinateur du Nouveau Réseau CEREDA.

Le 21 mars 2015 aura lieu la 3e Journée d’étude de l’Institut de l’Enfant. C’est autour de son thème, INTERPRÉTER L’ENFANT, proposé par Jacques-Alain Miller, que les trois réseaux qui composent l’Institut de l’Enfant, CIEN, RI3, CEREDA, travaillent depuis deux ans.

À la lecture du thème, nous pourrions penser que nous sommes dans notre élément car interpréter est ce que l’on attend de celui qui s’oriente de la psychanalyse. Pour autant, une question se pose d’emblée : qu’est-ce qu’une interprétation ? Cette question en entraîne d’autres : d’où interprète-t-on ? Qu’interprète-t-on ? Comment et quand ? Pourquoi ? Et surtout : qu’est-ce qui opère ? C’est donc à une mise au travail de ces questions que nous sommes conviés.

De l’effet de sens à la lecture

L’interprétation freudienne donne du sens, du S2 à partir du S1. Pour Freud, le père est le point indépassable. L’amour pour le père est le fondement de la première identification, qui elle-même fonde les autres. Cette interprétation au nom du père repose sur l’idée de la prévalence du symbolique, la cure menant le sujet vers le roc de la castration. Cette perspective sera reprise par Lacan et trouvera son apogée dans la métaphore paternelle. Lacan va déployer toute une série d’enjeux autour de l’interprétation à partir de la question du Nom-du-Père. J.-A. Miller en reprendra le fil pour dégager trois termes sur lesquels s’appuie l’interprétation : la parole, le langage, la lettre qui donnent des effets, effets de sens, effets de vérité[1].

Puis, en déployant la question de l’objet a, de la jouissance et de la pluralisation des Noms-du-Père, Lacan montre que c’est lalangue qui prend en charge la jouissance. Le sinthome est ce qui vient l’appareiller. Ce qui est alors visé, ce sont des S1 tout seuls qui ont imprimé leur marque de jouissance dans le corps propre du sujet. Pour toucher la jouissance en jeu, l’interprétation devient équivoque, elle maintient l’énigme de l’énonciation et laisse un sens opaque. À ce moment, l’interprétation vise le bord, la limite, l’événement, et le clinicien accompagne l’enfant dans ce qu’il lui sera possible de construire à partir de cet aperçu. Ce type d’interprétation est trans-structurel et opère sur la jouissance par la coupure. Il ne s’agit plus d’écouter le sens dans la séance, mais de lire la séance hic et nunc via la syntaxe, la grammaire, l’homophonie...

Quelle place pour l’intervention ?

Comment attraper ce qui échappe au sens ? S’il y a disjonction du signifiant et du signifié, l’interprétation repose donc sur le signifiant dans sa matérialité. Plus que jamais, il est important de ne pas se hâter de comprendre, par exemple avec les dessins d’enfants. Il faut les considérer eux-mêmes comme une écriture afin de permettre l’émergence de signifiants et faire reposer l’interprétation sur ces signifiants. Ce n’est plus une compréhension, mais une lecture de la séance. Lacan nommera cela l’interprétation apophantique[2]. Comment faire passer la parole du côté de l’écriture et de la lecture ? Ce terme apophantique implique une ouverture vers l’énigme dans le registre de l’énonciation, soit jouer sur les équivoques signifiantes, ce qui permet au sujet d’isoler les mots dans leur statut hors sens, avec des incidences au niveau du corps. Les enfants saisissent rapidement que le statut de la parole n’est pas le même suivant les interlocuteurs, cela offre une plus grande liberté, mais doit aussi nous inciter à la prudence.

Accompagner l’enfant

Ce mode d’interprétation, au-delà de l’Œdipe, n’annule pas les autres. Les effets de sens et de vérité restent patents et fondamentaux dans une cure. Dans le texte de J.-A. Miller « Une réflexion sur l’Œdipe et son au-delà »[3], il est repérable qu’il y a l’Œdipe et son au-delà, cela ne veut donc pas dire sans l’Œdipe. Nous avons plutôt affaire à un élargissement du champ de l’interprétation. Quand un enfant rencontre un clinicien qui s’oriente de la psychanalyse, il est un sujet à part entière et sa parole, comme toutes les productions qu’il réalise, doit être accueillie comme telle. Si, là aussi, il est parlé avant de parler, par ses parents par exemple, il convient de pouvoir redonner sa place à son énonciation. Là se joue souvent un moment initial de l’interprétation. Nous pouvons lire l’indication de J.-A. Miller « de la signalisation à la transformation » comme un trajet constitué de multiples étapes, qu’il balise à l’aide de cinq axes : situer l’idéal du moi, interpréter les parents, capturer dans le réseau, extraire le sujet et même critiquer l’hallucination[4].

La Journée d’étude de l’Institut de l’Enfant promet donc, bien au-delà des enfants, de nous enseigner sur l’interprétation dans la psychanalyse aujourd’hui.

Le blog de l’Institut de l’Enfant[5] en est d’ores et déjà le témoignage.

[1] Miller J.-A., « Le monologue de l’apparole », La Cause freudienne, Paris, Navarin/Seuil, n° 34, octobre 1996. [2] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001. [3] Miller J.-A., « Une réflexion sur l’Œdipe et son au-delà », Mental, n° 31, avril 2014. [4] Miller J.-A., « Interpréter l’enfant », Le savoir de l’enfant, Paris, Navarin, 2013. [5] http://jie2015.wordpress.com

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Interpréter les parents en institution

« Interpréter les parents » est une des cinq initiatives que Jacques-Alain Miller nous propose pour la 3e JIE « Interpréter l’enfant ». Il s’agit d’un champ de recherche peu exploré. À la lumière d’une vignette clinique, Bruno de Halleux nous montre qu’il est important de ne pas le négliger.

« Rendons un peu de dignité à « interpréter les parents » en examinant sérieusement la place que nous y accordons. […] Cristallisons ce concept ». Jacques-Alain Miller, dans le texte qui oriente la journée de l’Institut de l’Enfant, nous dit qu’en général on parle un peu rapidement des parents, on dit seulement comment on a eu affaire au père, à la mère.

Voilà une difficulté souvent rencontrée dans la clinique en institution. C’est ce qui est appelé « le travail avec les parents ! » Ce travail délicat, complexe et subtil reste peu élaboré dans notre champ. J.-A. Miller nous l’indique comme nécessaire quand il note que l’idéal du moi, s’il n’est pas introjecté chez l’enfant, à l’occasion, il se balade au dehors.

Nous-mêmes vérifions depuis de nombreuses années combien ce « lien » avec les parents, s’il est le plus souvent nécessaire, n’en reste pas moins sensible et fragile. Nous constatons que le travail clinique en institution avec les enfants est facilité lorsqu’un lien avec les parents a pu se nouer. C’est spécialement vrai lors des candidatures, à l’entrée d’un enfant dans l’institution.

À l’Antenne 110, la directrice et moi-même avions été sensibles à la détresse d’une mère d’un enfant autiste de quatre ans. Cet enfant ne restait pas en place. La seule façon que les parents avaient trouvée pour le calmer un court moment était de lui donner une sucette. Lors de l’entretien d’admission, la mère avait sorti de son sac toutes les quatre ou cinq minutes une nouvelle sucette afin de calmer l’enfant.

Elle n’osait plus aller dehors, elle ne pouvait plus faire la moindre course, elle était empêchée de toute activité à l’extérieur. Elle avait frappé à différentes portes, avait demandé de l’aide tous azimuts, mais aucune piste ne s’était ébauchée pour un début de solution.

Face au désarroi de la mère, nous avions accepté son fils en externat sans creuser davantage la position en impasse que les parents avaient rencontrée dans les lieux où ils s’étaient adressés.

Une fois son fils accueilli à l’Antenne, il n’a pas fallu quinze jours pour que les critiques à l’égard de l’équipe commencent à fuser. La mère nous reprochait un grand nombre de choses, elle nous indiquait que si l’enfant était agité et agressif en institution, il ne l’était pas à la maison. Elle et elle seule savait y faire avec lui. Même son mari n’arrivait à rien. Autrement dit, sa détresse et sa position de femme divisée lors de la candidature avaient disparu bel et bien. Nous étions les « incapables » et elle nous faisait la leçon.

Assumant les critiques sans trop nous décourager, l’enfant avait malgré tout trouvé, au cours de l’année, un fragile équilibre qui lui ouvrait une place dans les divers ateliers de socialisation et d’apprentissage que nous lui proposions. La coupure des vacances arriva. La famille rentra au pays avec les enfants. Ils passèrent un mois épouvantable, enfermés dans leur maison de vacances car l’enfant, dès leur arrivée, était revenu à son agitation et à ses agressions incessantes, comme au premier jour.

À son retour à l’Antenne 110, l’enfant était méconnaissable, pire qu’il ne l’était lors de ses premières semaines avec nous. L’équipe n’en pouvait plus. Nous avons alors pensé que nous ne pourrions pas le garder car il mettait en danger d’autres enfants.

La mère est venue nous dire son désespoir. Nous avons décidé de lui proposer un entretien une fois par mois pour nous soutenir (elle et nous) dans la poursuite de l’accueil de son enfant. Elle donna son accord, ce qui nous surprit. Un accord qui nous a semblé se rapprocher d’une demande vraie de parole et d’écoute. Dans les entretiens, elle nous a dévoilé, entre les lignes, les impasses auxquelles elle avait affaire, impasses qui touchent autant aux difficultés propres à l’autisme de son fils, qu’à celles de sa vie familiale soustraite à toute vie sociale, ou de sa relation à son mari qu’elle doit sans cesse encourager pour qu’il ne sombre pas dans la dépression. Elle se révèle être une femme qui tient par-dessus tout à son honneur, elle se soustrait à la vue des autres, elle évite, en se cachant, la honte que pourrait générer la maladie de son fils auprès de ses proches.

Ces entretiens l’interprètent – c’est une deuxième surprise et c’est la sienne –, ils ont transformé ses plaintes en une parole plus authentique. Elle en est déconcertée, elle rit parfois, elle est plus détendue.

L’enfant est toujours chez nous, les entretiens se poursuivent.

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Quel dire ?

Jean-Robert RABANEL est membre de la commission d’initiative de l’Institut de l’Enfant et, à ce titre, participe activement à la préparation de la 3e Journée de l’IE. Il nous propose ici quelques réflexions très précises sur l’interprétation avec « l’enfant aliéné ».

« Interpréter l’enfant »

Palais des Congrès d’Issy-les-Moulineaux

21 MARS 2015

http://jie2015.wordpress.com

La 3e Journée de l’Institut de l’Enfant, avec ce titre proposé par Jacques-Alain Miller « Interpréter l’enfant », nous fait aborder l’interprétation analytique par un autre envers, cette fois, que le « Vous ne dites rien », par une communication d’un procédé. Le passage du texte d’orientation pour la journée de J.-A. Miller, relatif à la critique de l’hallucination par Lacan dans Le Séminaire VI, retiendra particulièrement l’intérêt de ceux qui recueillent les impacts primaires de lalangue sur le corps vivant des enfants aliénés. Il les conduira peut-être à souhaiter faire part de leurs inventions, dans des contributions pour le blog de la JIE, ou en proposant une intervention pour la Journée, propositions attendues pour le 22 décembre au plus tard.

Partons de l’isomorphisme structural entre l’inconscient et l’interprétation.

Cela fait correspondre autant de modalités de l’interprétation à autant de conceptions de l’inconscient, autant de sémantiques. Il y a deux sortes d’interprétations.

Il y a l’interprétation dans la névrose qui ajoute un signifiant venant de l’analyste comme grand Autre, ou il y a l’interprétation comme coupure qui provoque l’émergence de l’objet a.

Il y a l’interprétation dans la psychose où c’est l’invention du sujet qui guide l’analyste et l’amène à prolonger celle-ci.

Ainsi est-il possible d’interpréter l’enfant comme sujet de l’inconscient, comme objet de désir, comme objet pulsionnel, comme jouissance, comme parlêtre.

Comment cela se passe-t-il ? Il y a la rencontre qui fait émerger des signifiants. On accueille les signifiants de la rencontre. Puis il y a le transfert qui recouvre d’un voile l’objet de l’horreur. Vient ensuite le moment de l’interprétation, car l’enfant aliéné est un parlêtre que le surmoi relie à l’humanité, même si sa parole est réduite à son trognon[1], ce que Lacan complètera par : « Il y a quelque chose à leur dire. »[2]

J.-A. Miller a distingué le S1 tout seul du S1-S2 articulé, dans son Cours de 1987.

Le signifiant articulé vaut pour les significations qu’il produit, alors que le signifiant tout seul vaut pour les effets de jouissance dans le corps. Il reprend à son compte, en quelque sorte, les effets dévolus, précédemment, à l’objet a. Plus récemment encore cette considération du S1 tout seul sera dénommée, par J.-A. Miller : l’Un-corps pour autant que les effets de jouissance induits par le S1 tout seul nécessitent un corps.

Avec la notion de parlêtre, c’est d’abord la parole en tant qu’elle véhicule ou non le langage, ce qui permet de distinguer les structures cliniques : le schizophrène, dans sa parole, n’entraîne pas l’Autre, au contraire du paranoïaque qui entraîne l’Autre sans la clé de voûte de celui-ci : le Nom du Père.

Dans la névrose, il y a séparation du signifiant et de la jouissance, S1-S2. Dans la psychose, il y a coalescence du signifiant et de la jouissance = S1a ou S1 tout seul ayant des effets de jouissance dans le corps.

Quels traitements de la jouissance, quelles interprétations autres que l’interdit peuvent alors être envisagés ? Une satisfaction écornée ? Un échange symbolique de la parole hors sens ?

Cela commence par l’attraction par l’amour de la langue singulière d’un parlêtre, ensuite vient l’échange symbolique de la parole hors sens qui permet au partenaire symptôme d’apprendre lalangue du sujet. Les reprises des S1 tout seuls apparus en bout de chaîne, ou au moment de rupture de chaîne dans la psychose, alors que dans la névrose, ce qui apparaît aux points de rupture de la chaîne c’est le sujet divisé corrélé à petit a, sont autant de savoir-faire interprétatifs. Car si nous considérons l’interprétation comme dans la névrose, autant convenir que la psychanalyse est contre-indiquée dans la psychose.

Alors deux modes de traitement de la jouissance autres que l’interdit sont à prendre en compte : la soustraction de l’objet dans l’Autre dans la paranoïa, la soustraction dans la langue dans la schizophrénie.

Comment produire du symbolique ?

Comment introduire du semblant ?

En provoquant une sidération au niveau de l’image ?

En provoquant une perplexité dans le symbolique : phi 0 ?

Quel savoir-faire mettre en jeu pour critiquer l’hallucination de la bonne façon qui comporte le point de fuite du sens, mystère propre au discours analytique ?

Autant de questions qui feront débat entre les différentes façons d’interpréter l’enfant chez les psychanalystes, aujourd’hui.

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p.119. [2] Lacan J., Conférence à Genève sur le symptôme, Bloc- Notes de la Psychanalyse, 1985.

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Une présence en acte

« L’interprétation analytique n’est pas faite pour être comprise ; elle est faite pour produire des vagues. »[1] Claudine Valette-Damase nous en propose ici une lecture éclairée.

Une rencontre opportune au cours de la préparation de la 3e journée de l’IE, « Interpréter l’enfant », avec ce dire de Jacques Lacan prélevé dans l’« Entretien avec des étudiants – Réponse à leurs questions » à l’université de Yale en 1973, va servir de boussole au propos : « L’interprétation analytique n’est pas faite pour être comprise ; elle est faite pour produire des vagues.»

La particularité de la pratique analytique est de faire mouche avec les mots dans le but d’obtenir une transformation. Dans le premier temps de sa découverte, pour Freud, la parole dans la cure délivre par l’interprétation un sens caché. Rapidement, cette modalité de l’interprétation le conduit à une impasse dont il trouvera l’issue en donnant un autre statut à la parole que Lacan n’aura de cesse de remanier et de transformer tout au long de son enseignement.

Chez Lacan, nous trouvons trois conceptions de l’interprétation correspondant à ses trois théories de l’inconscient. Au temps du primat du symbolique, l’interprétation est signifiante. La deuxième conception de l’interprétation vise, par la coupure, la jouissance de l’objet a incluse dans l’Autre. Dans le troisième temps, l’interprétation est orientée par le réel du symptôme à partir de la jouissance du parlêtre.

Alors que la psychanalyse lacanienne considère l’enfant comme un sujet parlant au même titre que l’adulte, pourquoi et comment l’enseignement de Lacan ouvre-t-il à une pratique de l’interprétation analytique au XXIe avec l’enfant ?

L’enfant convoque l’analyste à une interprétation qui réfute celle qui s’en tiendrait à analyser le retour du refoulé. Il invente sans cesse pour grandir, il apprend à celui qui y consent que l’invention ne relève ni du savoir ni du vouloir. Lacan donne dans son Séminaire Le désir et son interprétation de précieuses indications sur la constitution du Je de l’enfant. Le langage lui préexiste et s’impose de fait. La distinction du sujet dont on parle et du sujet parlant, « du Je en tant que sujet de l’énoncé et du Je en tant que sujet de l’énonciation »[2] est un tournant décisif.

« L’interprétation analytique n’est pas faite pour être comprise ; elle est faite pour produire des vagues ». L’acte de l’analyste requiert une intervention « équivoque », telle la vague dont la signification est aussi bien une déformation plus ou moins importante de la surface d’une masse d’eau sous l’impulsion du vent ou des courants, que quelque chose de flou, d’insignifiant… Lacan précise qu’il ne faut donc « pas y aller avec de gros sabots, et souvent il vaut mieux se taire ; seulement il faut le choisir »[3].

Dans la clinique, l’enfant ne cesse de proposer la matière signifiante sans fioriture et par le biais d’une variété de moyens : il joue, dessine, bouge, reste figé, s’assoit où bon lui semble, touche et déplace les objets, se couche par terre… L’enfant n’est pas aussi docile que l’adulte au dispositif analytique ; il en découle que l’analyste doit prendre des initiatives.

Je reçois Félix, qui a cinq ans, depuis peu ; son bilan de santé scolaire vient d’évaluer des troubles du langage, son enseignante pousse les parents à me rencontrer. En séance, il parle très peu, à la limite du cri, sans adresse. À chaque fois, il y parvient avec un certain malaise, lesté de ses parents, de son petit frère qu’il « déteste » et les bras de plus en plus encombrés de jouets. Dernièrement, j’accompagne mon bonjour d’un « quel chargement !». À peine entré dans le bureau, contrairement à son habitude, Félix dépose ses jouets dans un coin, saisit sur l’étagère des petits animaux en plastique et joue à les faire se battre en disant dans un soupir : « Ici, chez toi, je peux jouer ». C’est l’effet après-coup, qui ne se fait pas attendre, qui donne à ce signifiant, dit sans y avoir réfléchi, un statut d’interprétation. Avec ce signifiant dit à la cantonade, Félix consent à l’énonciation et son travail analytique peut ainsi s’engager.

[1] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet 6/7, Paris, Seuil, 1976, p. 35. [2] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, Paris, Éditions La Martinière et Le Champ Freudien Éditeur, 2013, p. 92. [3] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », op. cit.

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Pas de mère sans enfant

Alors que les J44, qui nous tinrent en haleine des mois durant, viennent tout juste de s’achever, un autre grand événement se profile : la 3e Journée d’étude de l’Institut de l’Enfant-UPJL, le 21 mars prochain.

Son thème « Interpréter l’enfant » est une question chère aux psychanalystes et elle ne va pas de soi. Qu’est-ce qu’une interprétation ? Comment et sur quoi interprète-t-on ? Quel usage particulier de l’interprétation pouvons-nous faire avec l’enfant ?

Jacques-Alain Miller, dans son texte d’orientation pour la JIE, nous invite à prendre des initiatives avec l’enfant, plus encore qu’avec l’adulte, des initiatives qui ne se limitent pas à l’interprétation sur le modèle du déchiffrement. Il utilise l’expression « post-interprétative »[1], pour qualifier notre pratique interprétative. L’âge de l’interprétation prenant appui sur la signification est bel et bien révolu.

Quelles seront les initiatives de l’analyste et les interprétations « post-interprétatives » ? Comment vont-elles opérer ?

Autant de questions qui seront mises au travail lors de cette rencontre de l’IE et dont nous souhaitons proposer un avant-goût aux lecteurs de L’Hebdo-Blog.

Pour ce premier numéro du dossier, Daniel Roy, directeur de la Journée, nous ouvre les coulisses de l’événement à venir.

Puis cinq auteurs, responsables de la Journée et membres du Comité d’initiative de l’Institut de l’Enfant, se succèderont, semaine après semaine, pour commenter une occurrence de leur choix sur l’interprétation.

[1] Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », La Cause freudienne, n°32, Paris, Navarin/Seuil, février 1996.

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