D’être mère à devenir «maternelle»
Mme P. ne sait pas expliquer comment s’est présentée l’idée d’avoir un enfant. Elle peut juste dire que cela lui faisait peur, mais que quand sa sœur s’est trouvée enceinte ça l’a rassurée. Son fils a quelques mois de moins que son neveu. Elle a vécu dix ans avec son compagnon et ils se sont séparés quand Lucas, leur fils, avait un an et demi. La grossesse n’était pas prévue, leur vie était organisée autour de l’entreprise qu’ils avaient créée ensemble. Quand Lucas est né, Monsieur ne s’y est pas intéressé, il a eu une liaison avec une collègue, ce qui a provoqué la séparation. De ce fait Mme P. a perdu son emploi.
Trouver des appuis
Quand elle vient consulter au CPCT, Mme P. voudrait des conseils. Elle se sent « étouffée par son fils ». Lucas est agité à l’école et difficile à la maison, il dort mal, il fait beaucoup de colères.
Au moment où elle s’est trouvée seule, Mme P. dit qu’elle est tombée dans un « trou noir », elle était incapable de s’occuper de son fils et est revenue vivre chez ses parents. Mais rapidement elle s’aperçoit que sa mère, qui s’angoisse pour tout, ne lui est pas d’un grand secours. Elle décide de prendre un logement.
Sur ma proposition elle évoque quelques éléments de son histoire. Elle m’explique qu’elle est la quatrième de quatre enfants et que sa mère ne voulait pas d’elle. Sa scolarité a été difficile, les professeurs disaient qu’elle avait de réels problèmes de compréhension et qu’elle ne ferait jamais rien dans la vie. Elle précise que sa mère n’était pas surprise puisqu’elle répétait sans cesse qu’elle-même étant incapable, elle n’avait fait que des incapables. Durant toute son enfance elle s’est appuyée sur sa sœur qui lui servait de modèle. Sur ses traces elle a obtenu un BTS puis elle est partie étudier à l’étranger. Mais alors qu’elle se trouvait seule, sa sœur étant repartie, elle a fait l’expérience d’un moment de perplexité qui a précipité son retour. C’est alors qu’elle a rencontré son compagnon avec qui elle a vécu dix ans. Elle admirait cet homme mais cela n’a pas été une histoire d’amour, il était plutôt comme un frère sur qui elle s’est appuyée.
À l’occasion d’un cauchemar qui lui rappelle cet épisode vécu à l’étranger, elle interprète que c’est la solitude qui l’angoisse, ce à quoi j’acquiesce.
L’angoisse de la solitude vient se nouer à sa position d’incapable ; soit elle sait, soit elle ne sait pas, alors elle panique et perd complètement ses moyens. Dans ce cas il faut un autre qui lui donne les réponses dont elle ne dispose pas.
Dans la vie elle a toujours eu besoin d’un guide. Elle n’aurait jamais pris la décision de quitter son compagnon, mais aujourd’hui, elle dit qu’elle n’a pas été heureuse. Il était tyrannique, la rabaissait et lui imposait son mode de vie. L’appui imaginaire est nécessaire, mais le revers de la médaille, c’est qu’elle perd sa personnalité, comme elle le dit. C’est ainsi que j’ai soutenu qu’elle pouvait prendre appui sur les autres tout en trouvant sa manière à elle d’y faire. « Comment demander de l’aide sans être pour autant une assistée ? », se demande-t-elle. Elle peut alors faire appel à ses parents ponctuellement, et prend également rendez-vous avec un pédopsychiatre. Le trou commence ainsi à se border.
Étudier
Mme P. voudrait travailler pour avoir de la valeur et être comme les autres. Il faut qu’elle travaille, ça organise le temps et l’empêche de se laisser couler. Quand je la rencontre, elle cherche un emploi et passe ses journées à étudier mais avec beaucoup de culpabilité. Elle découvre qu’elle aime apprendre et qu’elle peut comprendre alors qu’elle s’était toujours sentie bête. J’ai encouragé sa solution et quand Pôle emploi lui a proposé une formation j’ai soutenu ce projet qui lui a permis de sortir un temps de sa solitude et de nouer quelques contacts. Se sentant plus à l’aise en société, elle peut côtoyer les autres parents et prend plaisir à aller chercher son fils à l’école. Sa relation avec lui se pacifie petit à petit. Elle dit qu’elle fait des compromis. La peur que le moment du coucher se prolonge l’amenait à couper court à toutes demandes. Face aux colères, qu’elle tentait parfois de régler par des douches froides, j’indique qu’on ne peut pas toujours dire non, quelquefois il faut dire oui, trouver des petites choses qui apaisent. Par la suite elle pourra accompagner le coucher plus sereinement, par exemple lire une histoire, voire deux, mais pas trois.
Se sentir « maternelle »
Après avoir passé un entretien professionnel, Mme P. se demande si être seule avec son fils la pénalise. Lors de cet entretien, le responsable lui a fait comprendre qu’élever seule un enfant pouvait être un handicap. Dans cette réflexion elle a entendu une volonté de l’Autre de la soumettre à des horaires excessifs, elle a donc décidé qu’elle ne prendrait pas cet emploi car elle veut garder du temps pour s’occuper de son fils.
Le monde de Mme P. a basculé à la naissance de Lucas. Avoir un enfant l’a ramenée au trou de la solitude qu’elle avait bordé par la rencontre avec son compagnon, dans le regard de qui elle avait trouvé de la valeur grâce au travail. Avoir un enfant la confronte de manière très vive à son incapacité. Elle cherche des conseils mais elle cherche surtout à comprendre et à répondre de la façon la plus appropriée.
Saisissant la logique de sa soumission à l’Autre, elle va se décaler d’une position de jouissance à laquelle elle était fixée depuis l’enfance. Elle ose apprendre, elle peut accéder à un savoir qui ouvre sur la perspective de soutenir sa propre parole. Elle peut, à partir de là, s’autoriser, dans sa position « maternelle », à questionner et peut se risquer à avancer des points de vue personnels.
Elle ne fait plus comme sa sœur qui s’énerve pour rien. Elle dit que sa sœur est encombrée par ses enfants. « Le problème avec ma sœur, c’est qu’elle est mère, mais qu’elle n’est pas maternelle », dit-elle, et elle explique que si être mère c’est avoir un enfant, alors être maternelle implique de pouvoir en prendre soin. Ce glissement signifiant est un capitonnage qui se réalise en fin de traitement lorsqu’elle a appris à être ce qu’elle nomme « maternelle ».
Alors qu’elle s’attendait à des solutions plus concrètes en venant au CPCT, elle dit avoir compris que je ne lui avais rien imposé pour lui laisser faire son chemin. Elle doit apprendre à faire avec son incapacité et sa solitude, et poursuit pour cela le travail avec une analyste en ville.
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