Le cadre, terme à la mode dans les institutions, est fréquemment utilisé dans les prises en charge normées des enfants. Protocoles de soins ou encore règlements éducatifs s’accumulent dans l’organisation des institutions. Il s’agit alors de cadrer les enfants au sens du latin quadrare qui signifie « convenir à, être conforme à »(1). L’enfant se trouve assujetti à la demande d’un Autre qui détient le savoir et pose le cadre. La rééducation en jeu touche à la dimension moïque et toute singularité tente d’être gommée : le jeune patient doit entrer dans le cadre prévu pour tous. La logique de l’idéal règne. Orienter une institution à partir d’une pratique psychanalytique nous oblige à revisiter cette question du cadre.
Dans l’ouvrage A ciel ouvert, Dominique Holvoet propose de préférer le rituel au règlement : « Dans le rituel, il y a une dimension supplémentaire. […] Ce qui passe par le rituel, ce n’est pas la mise en forme d’un cadre, c’est vraiment la transmission du désir de l’intervenant à le faire de cette façon-là »(2). Pour rendre compte de cette dimension, nous devons référer le cadre à la coloration particulière qu’il revêt en italien à partir du quadro : « Le substantif italien est employé spécialement comme nom du carré en géométrie (déb. XIVe s.), puis pour désigner une ouverture carré, une petite fenêtre (1540), un tableau, une peinture (1584) »(3). Le cadre vient donc ici dessiner une bordure délimitant une ouverture. Tout comme le fait un peintre, il s’agit d’ouvrir une fenêtre devant laquelle le sujet se tient, « une fenêtre plus un sujet voyant »(4). L’enfant n’est plus situé dans le cadre mais devant celui-ci. Cette précision est essentielle car elle note un changement topologique : ce n’est plus l’instance moïque qui est visée mais l’apparition d’une position subjective dans l’existence. Dans cette logique, le désir fondé sur le manque à être est moteur, le savoir est situé du côté de l’enfant et l’intervenant se fait son partenaire devant l’ouverture ainsi créée. Comme l’écrit Lacan, « le non-su s’ordonne comme cadre du savoir »(5). C’est ainsi que l’irrésorbable peut être accueilli et la jouissance localisée. A partir de là, la logique du pas tout, « logique féminine », opère et « permet la recherche de solutions singulières à partir des inventions de chaque sujet »(6).
Dans un travail institutionnel, s’appuyer sur son désir positionne le cadre non pas comme quadrare mais en tant que quadro. Le cadre devient ouverture et comme le propose Alexandre Stevens, un délicat nouage entre logique mâle (délimitation d’une bordure) et logique féminine (création d’une ouverture) peut s’opérer dans l’institution. C’est à cette condition que le sujet peut trouver un espace et un partenaire pour se mettre à la tache de bricoler une invention singulière. Peut-être pourrions-nous oser la formule : se passer du cadre à condition de s’en servir.
1 Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, tome 1, Edition Dictionnaires Le Robert, Paris, 2001, p. 340.
2 Ibid. p. 80.
3 Dictionnaire historique de la langue française, op. cit., p. 340.
4 Wajcman, G., Fenêtre : chronique du regard et de l’intime, Lonrai, Verdier, 2004, p. 229.
5 Lacan J., Autres écrits, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école », Editions du Seuil, Paris, 2001, p. 249.
6 Stevens A., Mental 31, « Quand il y a du féminin en institution, la clinique après l’Œdipe », p. 33.