Titre formidable pour la journée annuelle du CPCT-Paris le 26 septembre dernier, qui, pour l’occasion, avait invité le CPCT-Marseille. Dès le départ, tel que le situe argument, l’enjeu est : « En quel sens la rencontre brève avec un psychanalyste au CPCT peut-elle permettre à un patient d’apercevoir quelque chose de la satisfaction pulsionnelle à l’œuvre au coeur de son symptôme ? »
Dans une série d’entretiens à relire d’urgence sur le site du CPCT-Paris , Éric Laurent, Lilia Mahjoub, Pierre Naveau, Serge Cottet, Hervé Castanet et Alexandre Stevens, se référant aux derniers séminaires de Lacan repris par Jacques-Alain Miller, développent avec précision les principaux concepts, véritable feuille de route pour les débats attendus.
Le matin, dans une ambiance aussi sérieuse que détendue, L. Mahjoub, dans sa présentation, nous rappelait comment Lacan, dans son dernier enseignement, définit trois types de jouissance : la jouissance du sens, jouis-sens, à la conjonction de l’imaginaire et du symbolique, et propre au blabla de l’association libre ; la jouissance phallique entre réel et symbolique, hors imaginaire et donc hors corps ; et la jouissance de l’Autre J(A) entre réel et imaginaire, hors symbolique, la jouissance féminine dont la femme précisément ne peut rien dire ; tandis que l’objet a, résultat de l’effet du signifiant sur le corps, se situe hors corps, au centre des trois registres. Puis L. Mahjoub poursuivait à partir de Joyce et d’Artaud. Ainsi, pour Artaud c’est la béance mortifère qui constitue le rapport du sujet psychotique à son corps, tandis que le cas du petit Hans nous montre comment, grâce à sa phobie, il réussit à métaphoriser la jouissance du corps et développer la jouissance phallique.
Les trois cas qui furent ensuite présentés puis discutés vinrent illustrer par la clinique les propos théoriques.
France Jaigu avec Arnaud, un jeune garçon qui souffre de bégaiement, fait le lien entre ce symptôme et la relation particulière de ce sujet avec le temps entre précipitation et retenue.
Elle montre comment, en l’invitant à prendre son temps,et en ménageant un espace à la parole du père, elle permet un apaisement du symptôme et une ouverture sur ce qui, du sujet, ne pouvait se dire, « les paroles perdues ». Pour Serge Cottet, on peut donc saisir ici les deux versants du symptôme, « le versant du discours, du sens et de la vérité du couple parental, et le versant de la jouissance, de l’objet a dont la fonction serait d’apaiser une suractivité du corps ».
Concernant Priscilla, Pamela King insiste sur le choix qu’elle a fait de respecter le symptôme « se remplir puis se vider » de sa patiente. Elle montre comment, de façon remarquable en si peu de séances, en « produisant un Autre vidé de toute demande » et en encourageant sa patiente à reprendre son activité d’accordéoniste, cet « excès pulsionnel, qui dévore et rejette ou se fait rejeter », lié au deuil de sa mère et au regard persécutant du père, va s’apaiser. Pour Alexandre Stevens le symptôme se serait constitué en deux temps ; le symtôme boulimique renverrait au trou de la disparition de la mère, tandis que les vomissements seraient liés au rejet par la tante. Pour S. Cottet, cette patiente construit son histoire sur le binaire imaginaire absorption-rejet, avec un versant mélancolique et le risque que,dans un passage à l’acte, la patiente n’en vienne à « se vider elle-même », identifiée à l’objet déchet.
Éva est, elle, atteinte d’un eczéma étendu depuis sa petite enfance, qui l’isole. Elle ne peut chercher du travail, refusant de s’exposer au regard des autres. Claude Quénardel nous montre comment dans un temps très court, sans chercher à soulager le symptôme, elle va permettre à sa patiente de trouver une solution à sa difficulté à être. Ainsi, lorsqu’à l’avant-dernière séance Éva arrive un casque sur la tête en train d’écouter sa voix, l’analyste en lui demandant d’écouter sa voix provoque « un renversement, une soustraction de jouissance » permettant à sa patiente de « lui montrer sa voix », lui ouvrant alors la possibilité comme artiste de « suppléer à sa tenue phallique ». Pour S. Cottet, il y a ici deux versants du corps : d’un côté le corps comme surface, le corps entier, atopique, non troué comme le corps pulsionnel, et de l’autre un corps qui fait d’elle un déchet, une image dégradée d’elle-même à laquelle elle tente de suppléer par le maquillage et où se retrouve « le binaire signifiant se vêtir et se dévêtir ».
L’après-midi débute par un riche exposé d’Hervé Castanet qui, s’appuyant sur le Séminaire La logique du fantasme de Lacan et le Cours de Jacques-Alain Miller de 1999 sur les six paradigmes de la jouissance, prolonge la réflexion sur les rapports du corps et de la jouissance en considérant que « quand il n’y a de jouissance que du corps, ceci répond à une exigence de vérité ». Sur les rapports du corps et du signifiant avec « le passage au signifiant qui se caractérise par son caractère différentiel », il se réfère au terme de significantisation proposé par J.-A. Miller pour nommer le passage du réel au symbolique par l’opération signifiante. Il isole le signifiant et le savoir comme incorporels, suivant Lacan, pour évoquer la corporisation comme l’opération par laquelle le signifiant entre dans le corps et affecte le corps en désorganisant son homéostasie.
Avec le cas de Catherine, Françoise Haccoun déploie comment, pour cette patiente dont les excès traduisent « un monisme pulsionnel », il est question du « Un tout seul » mettant en péril son existence même. Pour Sonia Chiriaco, par l’intervention non réfléchie de l’analyste – « cette soirée est une de trop » – après le récit d’une énième nuit d’ivresse par l’analysante, F. Haccoun introduit pour cette dernière la dimension de la série qui fait coupure, permet un apaisement pulsionnel, de ne plus « se saboter » et peut-être de se soustraire à la jouissance maternelle mortifère.
Alice, elle, est en proie à une angoisse qui la paralyse et l’empêche de travailler. Elle craint de devenir folle et s’identifie à un ami de son frère schizophrène. Au fil des séances, son angoisse s’apaise et une suppléance se met en place au travers de la thèse qu’elle a pu reprendre. Pour S. Chiriaco, Aurélie Charpentier-Libert montre bien comment l’effraction de son ex-ami, puis de ses parents dans son quotidien, alors qu’elle était venue seule à Paris pour ses études, a provoqué son angoisse alors qu’elle s’était toujours protégée du réel de l’excès de jouissance familiale, par « une bulle ». S. Cottet souligne que l’on retrouve un signifiant central « décalage », et s’interroge sur la structure de cette patiente.
Enfin, pour clore cette passionnante journée de travail, Sylvie Goumet nous propose le cas de Pablo qui est « en panne », se plaignant de rester silencieux, de ne jamais avoir de place. À la troisième séance, une intervention de l’analyste qui insiste pour lui garder une place pour sa séance, entraîne une bascule. Pablo, jusque-là identifié au père mort, se surprend à répondre à sa compagne « je suis un homme debout, pas un homme couché ». « L’érection du corps signe le réveil du désir » et un rêve vient en accuser réception où se manifeste que, dès lors, il consent à « écouter la jouissance des femmes ».
Il est temps pour Victoria Woollard de clore cette journée clinique si intense et nous donner rendez-vous pour les après-midi cliniques de cette année et pour la journée 2016.