Pour L’Hebdo-Blog, M. Annequin et N. Jan ont rencontré Bertrand Meslet, pour la sortie de son second ouvrage « Comment ça ? », recueil des textes et paroles des personnes en soin des « Marronniers » (unité de psychiatrie – Centre Hospitalier Guillaume Régnier).
En créant un espace, un temps avec chaque patient, Bertrand a fait le pari que la poésie peut jaillir dans n’importe quel lieu, même et peut-être plus encore, dans une unité de psychiatrie.
Cet ouvrage vise autant à lever la discrimination qui peut exister sur la folie qu’à la faire connaître telle qu’elle est : c’est-à-dire angoissante quelque fois mais aussi joyeuse, ironique, pleine d’esprit et poétique pour peu qu’on aille à la rencontre de chacun.
Ce livre est aussi un moyen de donner la parole à ceux que nous n’entendons jamais dans la Cité. C’est aussi une manière de leur signifier que leur parole a une valeur.
Hebdo-Blog: Comment est né l’idée de ce recueil ?
Bertrand Meslet : Ce livre « C’est quoi ? » a commencé quand je travaillais à la MAS1 du Placis Vert. La cadre de santé m’a demandé si je voulais rejoindre l’équipe d’animation et ce que je voudrais mettre en place comme atelier. J’avais décidé de reprendre l’atelier d’une collègue qui faisait faire des cartes postale personnalisées par les gens pour les envoyer aux familles. Et, la cadre m’a titillé vraiment en me demandant ce que j’aime dans la vie ? Et je lui ai répondu : “ la poésie”. C’est comme ça que l’ on a ouvert un atelier. Au début, j’avais trois patients, j’ai commencé à noter des mots mais je ne savais pas comment faire et le docteur Castille, psychiatre, m’avait dit : “ tu sais l’atelier que tu veux mettre en place, tu as des idées, une organisation personnelle mais quand tu vas être dans l’atelier tu vas vite te rendre compte que ce n’est pas vraiment toi qui dirige l’atelier. Ce sont les patients qui vont t’amener à un chemin précis, c’est leur chemin que tu vas emprunter, et c’est ensemble que vous allez faire l’atelier”.
Madeleine, une des premières patientes, m’avait dit : “moi j’aimerais bien parler d’amour, de toute façon il n’y a que l’amour sur terre qui compte, le reste c’est du pipeau“ et je lui avais demandé : “mais c’est quoi l’amour ? ”, et elle m’avait fait des réponses que j’avais trouvé très fortes, très profondes, très belles que j’avais noté. Et, je me suis dit : « c’est quoi ? », je vais répéter « c’est quoi » à chaque atelier et j’en ai fait 170 sujets différents en 5 ans. Et il faut du temps, beaucoup de temps.
H-B : Ce n’est pas un livre que vous avez fait seul. Vous le dites parce que vous le faites avec les patients, mais aussi dans la rencontre avec les collègues. D’abord la cadre qui vous donne un coup de pouce puis la phrase du médecin : « ils t’emmèneront sur leur chemins ». Donc, vous suivez leur chemin et quelque choses se créé.
B.M : Je n’aime pas que l’on dise « mon livre » j’aime bien que l’on dise « notre livre ». C’est vraiment un livre collectif. La phrase du psychiatre, c’était vraiment un très bon conseil. Il m’a suggéré de demander : « c’est quoi un psychiatre ? ». Ensuite, je lisais les premiers ateliers au médecin généraliste et puis on discutait. Au départ, c’est moi qui venait le voir et après, c’est lui qui venait me demander si j’avais une petite perle ! Et puis, mes collègues étaient friands de ça. Au déjeuner, tous mes collègues me demandaient : « c’était quoi le sujet aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’elle a dit untelle ? »
« Je suis guéri de l’alphabet ! » Faouzi M.
H-B : C’est un objet qui doit circuler après. Vous vous le concevez, vous le faites à plusieurs.
B.M. : Après il faut qu’il vive. Il y a deux troupes de théâtre qui jouent « C’est quoi ? ». Et une association de liseurs est venue lire des textes au pub2 de la MAS. D’habitude, quand on réunit autant de patients dans le pub, il y a énormément de bruit et Ce soir-là, il n’y avait pas de bruit. À un moment on se dit aussi, « tu vois, la chaise est cassée, le bout de bar il a même été bouffé par quelqu’un ». On entend des gens négatifs qui disent « ils cassent tout ». Les mots, les petits entremets, les petites perles, je les avais plastifiés pour pas qu’on les déchire parce qu’on m’avait dit de faire attention. Et puis je les avais mis haut. Mais on ne pouvait pas les lire. Et, je me suis dit, c’est bon j’arrête de plastifier, je les mets à hauteur de lecture. Deux ans plus tard, il n’y en avait pas un d’arraché. Donc ce n’est pas vrai tout ça, il y a du respect en fait.
H-B : Est-ce que vous avez eu des retours de l’effet que cela a eu sur les patients, de savoir qu’ils ont été publiés ?
B.M. : Non, je n’ai pas de retour de cela. C’est comme si le voyage était fini. C’est pendant que ça se passe, mais après c’est fini. Mais il y a un truc positif : il a fallu au moins trois ans d’atelier, pour que je découvre qu’au Pub, alors que tout le monde le fréquentait, les gens qui faisaient partie de l’atelier, c’est comme si ils faisaient partie de la même famille, puisqu’aujourd’hui ils se serrent la main. Et ça, c’est un détail – enfin c’est un détail… mais sinon, ils ne se disent pas bonjour.
« Je ne sais pas si c’est les stigmates du christ ou bien un poil dans la main qui me pousse ? » Alexis P.
H-B : ça les a fait se rencontrer entre eux ?
B.M. : Ah oui. Se dire bonjour. C’est déjà çà. Parce que ça m’avait choqué qu’ils ne se disent pas bonjour. Ça fait 15 ans qu’ils sont dans le même établissement, ils se croisent tout le temps, mais ils ne se connaissent pas. Mais dans l’atelier ils causaient entre eux. Ils se parlaient d’autres choses aussi. Des trucs que je ne notais pas forcement. Il ne faut pas tout noter non plus.
H-B : Comment vous faites alors ?
B.M. : La façon dont on note les choses, c’est difficile. Je crois qu’il faut connaître la poésie. Aussi bien la poésie « lettriste », disons, que la poésie surréaliste. Comparé à un délire, ça peut être aussi surréaliste, et les mots peuvent être jolis mais tu sens, dans la façon dont sortent les mots, quand ce n’est plus poétique du tout. C’est quelqu’un qui est mal. Je note quelques petites phrases, qui ne font pas de mal, j’allais dire.
H-B : Les phrases qui ne font pas de mal ? Il y en a qui pourraient faire du mal ?
B.M. : Oui je fais attention. Et surtout, si quelqu’un me dit « ça tu ne notes pas », alors je barre et c’est terminé. La ponctuation, c’est important aussi. C’est leur ponctuation, ce n’est pas la mienne. D’ailleurs, là il n’y en a pas : chacun avait son rythme, c’était saccadé, je ne savais pas comment faire. Je n’allais pas inventer une ponctuation, une nouvelle écriture. Je me suis dit, je n’en mets pas. Chacun lis avec son rythme à lui, son tempo.
« Les amis ne se cultivent pas tout seul ! » Angèle G.
H-B : Comment avez-vous procédé pour collecter les mots de chacun ?
B.M. : Au départ, je ne savais pas comment faire. Et c’est le psychiatre qui m’avait dit « tu devrais consigner ces mots-là de ton côté, tu devrais les garder ». Parce que, quand ça arrive dans la chambre de quelqu’un, même si les mots sont précieux, on en fait des cocottes en papier ou des avions, et puis il n’y aura plus de trace de çà.
H-B : Vous les rendiez précieux les mots ?
B.M. : Oui je crois. J’avais mon cartable et je sortais le cahier de chacun. Ils retrouvaient chaque fois leur cahier, et ils le regardaient tout le temps. Sur 21 patients, il y avait une seule qui avait la faculté d’écrire. Et un autre qui avait la faculté, pas d’écrire aussitôt – il fallait que je consigne pour lui – mais après, je donnais mon écriture, et lui tenait à recopier pour que ça soit son écriture à lui. Et tous les autres ne savaient pas écrire. Mais sur les 19 autres, je pense qu’il y en avait au moins 15 qui inventaient leur écriture : des vagues, des trucs complètement surréalistes. Et ils y tenaient vraiment.
Un jour, je suis sorti avec un patient, c’était sur un de ses sujets, l’architecture à l’hôpital. « Mais tu as remarqué comme le plancher, ça peut être le plafond des fois ? » « euh oui des fois… Mais comment ça ? » «Parce que t’as vu, y a des vagues aux plafonds. Mais à quoi elles servent les vagues au plafond ? » Je me dis, des vagues au plafond, bon… et puis je lui dis « viens me les montrer ! ».
Et puis on va dans le couloir, et c’est vrai, il y a des vagues au plafond. Mais j’ai failli douter. Ça aussi c’est important : je ne doute pas. Je ne doute pas de leur parole. Dès fois je trouve ça complètement fou, mais ça a beau être fou, c’est vrai. Je reçois ça en tant que vérité.
H-B : Comment ça ?, c’est le titre du livre. Tous les titres de vos livres sont interrogatifs. Vous considérez que c’est vrai ce que le patient te dit, mais vous ne comprenez pas trop vite non plus !
B.M. : C’est vrai. Je fouille un peu mais pas trop. Je cherche toujours davantage, c’est ma façon de faire. Et il y a aussi une autre façon de faire : on peut obtenir plus de mots des gens en faisant mine de pas trop s’impliquer non plus : mine de rien. Parce qu’il y a des moments où je sens bien qu’être trop concentré sur la conversation qu’on a, ça n’avance plus. Alors je fais mine de regarder par la fenêtre et c’est l’autre qui me fait « attends, je suis en train de te dire quelque chose ! ».
H-B : Chez chaque patient que vous rencontrez, vous essayez de débusquer le poète en chacun ?
B.M. : Ha oui, la poésie elle est partout. Mais faut un peu aller la dénicher.
H-B : Vous êtes un dénicheur de poésie.
B.M. : Après, je dirais, je ne suis pas un intellectuel. Je ne voudrais pas qu’on dise de moi que je suis un intellectuel.
H-B : La poésie ce n’est pas un truc d’intellectuel ?
B. M. : Ah non ! Tu lis Rimbaud, tu rencontres des patients du Placis Vert. Des Rimbaud, il y en a partout.
« Nous ne sommes pas si fous… la preuve, c’est qu’on a fait un livre ! » Bruno L.
Contacts pour se procurer l’ouvrage :
Association TVS : jean-luc.chevalier2@wanadoo.fr
Au CSTC (association Suzy Rousset) : cstc@ch-guillaumeregnier.fr
Association L’Hermine, pôle G04 : jj.martinez@ch-guillaumeregnier.fr
Et, auprès de l’imprimeur : Henry des Abbayes – 33, rue nationale – 35300 Fougères.
1 Maison d’Accueil Spécialisée
2 Café crée pour les patients à l’intérieur de la MAS