« Avoir un travail », « être inséré socialement », « être heureux » sont les signifiants maîtres de notre société. Si ces idéaux sociaux sont légitimes, ils peuvent aussi avoir pour effet chez certains sujets une exclusion encore plus radicale là où leur singularité est niée. Ségrégation, isolement, violence sont autant de conséquences face aux exigences sociales de plus en plus fortes où tout écart à cette norme est perçu comme négatif.
M. B consulte au CPCT dans un contexte d’urgence subjective. Il nous est adressé par un organisme où il a passé un entretien de validation des acquis. Il a depuis des idées suicidaires. Il ne sort plus de chez lui, ses douleurs de dos se sont accentuées. Il veut travailler. Je suis, dit-il, son dernier recours. Après 10 ans de vie professionnelle, M. a du arrêter de travailler suite à des symptômes invalidants, des douleurs de dos qui l’empêchent de tenir debout. Il souffre de grande fatigue qui le cloue au lit des mois durant. Les examens médicaux sont infructueux, il sort avec le diagnostic de fatigue chronique : « J’étais comme un légume, je n’arrivais plus à réfléchir, je ne me souvenais de rien ». Il m’apprend que cette période correspond à l’arrivée de son premier enfant. Le débranchement survient lorsqu’il est convoqué à occuper la place de père. Faute de la signification phallique, cet événement fait trou-matisme. Depuis, il a trouvé un équilibre en occupant la place de mère de famille : il ne peut pas s’imaginer travailler depuis qu’il est père. Aujourd’hui, la pression de pôle emploi pour qu’il trouve un travail l’angoisse et les symptômes se multiplient.
Le traitement analytique permet dans un premier temps la reconnaissance de sa souffrance en faisant déconsister l’idéal du travail qui écrasait le sujet et fonctionnait comme une injonction mortifère avec laquelle il se débattait. A sa question, « comment faire pour ne plus être exposé ? », je lui fais remarquer que les angoisses s’accentuent lorsqu’il a une convocation de Pôle emploi et lui propose de demander sa radiation, d’autant qu’il ne perçoit aucune indemnité. En parallèle, je souligne sa voie d’insertion par sa fonction au sein de sa famille, mettant en valeur la bonne entente avec sa femme – fait rare et précieux de nos jours.
Ces conversations ont eu pour visée de lui rendre sensible que malgré son parcours douloureux, il a trouvé un équilibre et un bien-être ; qu’il n’y a pas de recette idéale. Il est important de lui indiquer que ces difficultés ne le visent pas lui en particulier, mais qu’elles sont le lot de chacun. L’orientation du traitement au CPCT aura pour effet de mettre à distance un sentiment de persécution latent qui le poussait vers le suicide. Il quitte le CPCT soulagé de la pression du travail qui l’empêchait d’assumer pleinement son mode de vie, qui est un mode de vie digne dont il n’a plus à avoir honte.
L’urgence subjective se situe au joint le plus intime du sentiment de la vie. Ce qui fait symptôme est un arrangement, une solution trouvée par le sujet pour faire avec un impossible à dire, à une difficulté auquel il est confronté d’inassimilable et qui fait énigme. L’urgence subjective survient lorsque son bricolage s’effondre. Il y a urgence à dire. Mais surtout urgence à être entendu, et urgence a re-nouer ce qui a été défait !