Un petit livre choc, d’une écriture épurée et poétique, est en prise avec le thème être mère quelle question ! De quoi s’agit-il ? Quelques lignes dans un journal à la rubrique faits divers : Une femme tue ses enfants après leur avoir payé la fête foraine et les frites.
Le caractère terrible de cette phrase saisit Véronique Olmi, dramaturge. De ce surgissement du réel naît une fiction, Bord de mer[1], son premier roman dont la lecture éprouvante bouleverse le lecteur. Le talent de V. Olmi consiste à nous introduire dans l’univers mental de son personnage. Dans ce récit situé après-coup, elle donne la parole à la narratrice, long monologue intérieur d’une femme, mère de deux enfants, qui se clôt dans un hurlement. Alors que la lecture avait déjà créé une inquiétante étrangeté, le lecteur est saisi d’effroi à la fin du récit. La narratrice dont nous ne saurons pas le nom, sera auteur d’un double filicide[2]. Le récit éclaire à minima les coordonnées de son acte. En filigrane, le lecteur pressent le caractère désespéré du voyage qu’elle entreprend.
Elle vit seule avec ses deux enfants, Stan et Kevin (neuf et cinq ans). Pour la première fois, elle les emmène découvrir la mer, elle se l’était juré. Le récit commence quand ils prennent le dernier car du soir. Les enfants sont inquiets de partir en semaine en période scolaire. Il pleut, l’hôtel est minable, il fait froid, l’argent manque, elle a oublié sa « chimie ». C’est une mer déchaînée qui est au rendez-vous, non la belle bleue. Dans la ville, on les regarde, elle perçoit de l’énervement, du dégoût à leur égard. Rien ne va comme elle aurait voulu.
Elle est une femme désorientée, épuisée, sans appui, dont les souvenirs se perdent, excepté la chanson de son père et la ressemblance du père de Kevin avec son propre frère. Envahie par ses monstres intérieurs, par des angoisses qui l’empêchent de dormir la nuit, elle est amenée à dormir le jour avec pour conséquence son retard à la sortie de l’école qui n’est pas sans lui faire éprouver de la honte. Elle n’est pas comme les autres, se faufile dans la vie, se retire chez elle ressentant une hostilité foncière du monde qui l’entoure. Ses seuls liens sont contraints, l’école et le dispensaire.
Au-delà des difficultés sociales, voilà son drame : « on met des bébés au monde et le monde les adopte. On est des ventres, c’est tout, après ça nous échappe et très vite on nous explique qu’on est hors du coup ». Le discours normatif porté par l’assistante sociale lui fait injonction – être une mère normale, comme les autres, viser la perfection… Elle s’y soustrait, par éthique ou impossibilité ? Pour la narratrice, être mère elle n’est que cela : « J’étais la maman, pas plus, pas moins que les autres, le premier mot écrit par Kevin, j’étais ça, je faisais ça. »[3] Une bonne mère avec un intérêt particularisé, elle veille, prend soin, aime ses enfants, en est fière. Elle sait les faire sourire, les distraire de ses soucis pour qu’ils ne voient pas son malaise. Elle se transformerait en fée pour être à la hauteur de leurs espoirs[4] dans les limites de ses forces.
Pour elle, « Il y a l’enfance […] Mais juste après l’hostilité du monde»[5]. Aussi, elle voudrait dissoudre la frontière entre eux et éviter que le monde n’avale ses mômes alors qu’ils deviennent sujets. Elle veut les protéger, tout leur épargner, le froid, la honte, la contagion des autres, de la société. Dans sa solitude insupportable et son égarement, son désir de mère ne cesse pas de ne pas vouloir se séparer. En l’absence de médiation possible, la séparation sera radicale. Au-delà de son acte, envahie par son imaginaire, elle constate son échec à réunir Stan et Kevin dans la mort, ils se tournent le dos et ne se regardent pas, elle en est ravagée.
[1] Olmi V., Bord de mer, Paris, Actes Sud, coll. Babel, 2001.
[2] Un filicide est un passage à l’acte meurtrier soit un homicide d’un parent sur son enfant, il est à différencier de l’infanticide où la victime est un nouveau-né n’ayant pas une existence sociale.
[3] Olmi V., op. cit., p. 111-112.
[4] Ibid., p. 36.
[5] Ibid., p. 109.