Ce dernier Hebdo blog permet de faire résonner à nouveau l’excellent numéro d’Horizon[1], publié par l’Envers de Paris : Haines, au pluriel.
On peut se demander de quoi cette diffraction est le signe là où Freud a davantage eu tendance à la coupler, au singulier et avec les résultats que l’on connaît par exemple dans la cure de l’homme aux rats, à son antagoniste, l’amour ?
L’accent est ici mis sur le caractère multiple que peut prendre l’expression de la haine aujourd’hui tout en rappelant son ancrage dans la structure et dans le corps en tant qu’elle habille et teinte chez Lacan le rejet nécessaire à toute séparation.
Ici le pessimisme de Freud cède donc le pas à la valeur constitutive de cette motion et au travail de la culture mobilisé pour venir approcher, comme le rappelle dans son éditorial Marga Auré, « cette part irréductible d’inhumanité, sans laquelle il n’est pas d’humanité qui tienne »[2].
La référence aux différents arts qui ouvre ce recueil n’y est pas indifférente et évoque l’autre perspective proposée à l’intervention du psychanalyste : plutôt que de saisir la haine comme nécessitant d’être voilée ou bridée par le processus civilisationnel, il est possible de penser une saisie par la conscience des contenus les moins civilisés tel que peut nous y mener par exemple la relecture du fantasme « Un enfant est battu » ou les investigations de tout un pan de l’art contemporain qui tend à mettre à nu un certain rapport à l’objet. Cet enjeu est rappelé par Freud à plusieurs reprises comme ici à l’endroit du désir maternel : « Cela semble peu agréable, écrit-il, et qui plus est paradoxal, mais il faut pourtant dire que celui qui dans sa vie amoureuse est appelé à devenir vraiment libre et de ce fait aussi heureux doit avoir surmonté le respect pour la femme et s’être familiarisé avec la représentation de l’inceste avec la mère ou la sœur. »[3]
Est à l’œuvre ici, rendu possible par l’incidence de la psychanalyse, ce qu’il nomme le Kultur arbeit, soit les « modifications qu’il effectue sur les prédispositions pulsionnelles humaines connues »[4].
Une haine qu’il s’agit de prendre en charge, telle que nous l’intime par exemple Pierre Sidon, pour éviter sa réalisation sous les multiples lignes de dé-liaisons qui lacèrent chaque strate de notre société et qui se trouvent finement précisées au fil de ce numéro, de l’incidence du racisme (Eric Laurent) à la haine de soi que Philippe Doucet lit sous le regard de Coppola.
Parions que cet Horizon ouvre le nôtre et participe de cette « vie de l’esprit » chère au travail de la culture dont la haine reste le protagoniste que chacun doit appréhender, intimement.
[1] « Haines », Horizon, Revue de l’Envers de Paris, , n°61, 2016.
[2] Miller J.-A., « Le théâtre secret de la pulsion », Le Point, n° 2062, 22 mars 2012.
[3] Freud S. « Du rabaissement généralisé de la vie amoureuse », La vie sexuelle, Paris, PUF, p. 61.
[4] Freud S. Le malaise dans la culture, OCF XVIII, Paris, Puf, 1994, p. 284.