C’est de mes analysants que j’apprends tout,
que j’apprends ce que c’est que la psychanalyse.
Jacques Lacan, « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines »
Épidémie
Dans son texte « Perspectives d’avenir de la thérapeutique analytique1 », Freud se demande ce que deviendra le dispositif de parole si singulier qu’il vient d’inventer. Plus d’un siècle après, nous ne pouvons que constater l’impact « historique » de la psychanalyse sur la société. Dans ses « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Lacan n’hésite pas à dire de la psychanalyse qu’elle est comme une épidémie, c’est-à-dire « un événement historique qui s’est propagé2 ».
En effet, qui ne s’est pas rendu, aujourd’hui, au moins une fois chez le psy ? Ou bien qui n’a jamais conseillé à un ami, un frère, un collègue, tel psy qui lui a été recommandé ? L’influence de la psychanalyse est partout : dans les séries, les films, l’art, la politique, etc. Tous les domaines ont été impactés par la découverte par Freud de cette terra incognita : « Ce fut pendant qu’il écoutait les hystériques qu’il lut qu’il y avait un inconscient.3 » Ainsi, chacun sait aujourd’hui qu’en allant voir un psy, l’on parlera de son père, de sa mère, de son enfance, etc., indique Lacan dans ces mêmes conférences. Les liens entre l’enfance et les symptômes de l’âge adulte n’ont plus à être démontrés. « Maintenant que les analystes sont si nombreux chacun peut savoir ce qu’est la lecture de l’inconscient4 ». L’analyse est elle-même devenue « un symptôme social5 », un refuge où le sujet peut faire entendre la singularité de sa souffrance, sans avoir à recevoir de vaines réponses prêt-à-porter face aux difficultés rencontrées.
Dans ce contexte où être écouté est presque devenu un droit, quelles demandes accueille l’analyste ?
La demande « d’un qui souffre »
Aujourd’hui comme hier, la demande est toujours celle d’être libéré de sa souffrance, donc de son symptôme. S’adresse à l’analyste celui qui souffre – et demande à être guéri. Quelqu’un qui viendrait simplement pour « mieux se connaître » ne serait pas encouragé à entreprendre une analyse : « Je mets l’accent sur la demande, affirme Lacan. Il faut en effet que quelque chose pousse. Et ce ne peut être de mieux se connaître ; quand quelqu’un me demande cela, je l’éconduis.6 » Ce quelque chose qui pousse, c’est le symptôme, à savoir « ce que beaucoup de personnes ont de plus réel7 ». Il y a donc – en préambule de toute analyse – une demande d’être soulagé de ses symptômes, demande qui légitime l’entrée en analyse.
Une rencontre inédite
La spécificité ne réside donc pas dans la demande proprement dite, mais plutôt dans le type de réponse qui est apportée. La différence se situe dans la rencontre inédite qui est faite avec un analyste, porteur d’un désir singulier – désir qui n’est pas celui de conseiller, consoler, aider, rassurer, etc., mais bien plutôt désir que le patient s’analyse, qu’il se lance dans cette lente et patiente recherche des pourquoi. L’analyse, « c’est ce qu’on attend d’un psychanalyste », indique Lacan, qui précise : « Ce qu’on attend d’un psychanalyste, c’est […] de faire fonctionner son savoir en termes de vérité.8 »
Qu’est-ce à dire ? Si ce n’est que c’est sur lui – l’analyste – que repose la tâche de transformer la demande d’Un qui souffre – et qui demande à guérir – en désir de s’analyser, en désir de partir à la recherche de ce savoir insu qu’est l’inconscient. Personne n’arrive en disant tout de go : je veux m’analyser. « J’essaie que cette demande les force [les analysants] à faire un effort, effort qui sera fait par eux.9 » C’est l’analyste – par une interprétation qui fait mouche, un maniement chirurgical de la coupure, une équivoque inattendue – qui, en suscitant une surprise, provoque le désir de partir à la recherche de « ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge10 ».
Solenne Albert
[1] Freud S., « Perspectives d’avenir pour la psychanalyse », La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1994, p. 23-34.
[2] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet, n°6/7, 1976, p. 31.
[3] Ibid., p. 10.
[4] Ibid., p. 11.
[5] Ibid., p. 18.
[6] Ibid., p. 33.
[7] Ibid., p. 41.
[8] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 59.
[9] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », op. cit., p. 32.
[10] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 259.