La question de la responsabilité est en lien direct avec la découverte freudienne. Comment acte, éthique et responsabilité s’articulent-ils pour la psychanalyse ? C’est toujours orientée par l’éthique que la clinique psychanalytique met la responsabilité du sujet au premier plan. Loin de tout déterminisme mécaniciste, l’analysant répond de ses paroles et de ses actes en interrogeant la cause qui l’anime. Car avant tout, la psychanalyse s’oriente du discours de l’inconscient. Examinons ce qui se produit entre acte et responsabilité de l’analyste quant à la responsabilisation de l’analysant, et quelle logique y préside.
L’analyste responsable
L’analyste répond de son acte. L’éthique de la réponse de l’analyste, est un dire, « un dire qui pourrait avoir des conséquences1 ». La responsabilité de ce dire, c’est sa réponse à la parole de l’analysant, réponse qui convient au « style de l’inconscient2 ». Sa responsabilité y est engagée, elle peut se désigner comme responsabilité du dire. Est-il silencieux ? Parle-t-il ? Quid de son acte de coupure, de son interprétation, signifiante ou équivoque ? Induit-il des vagues ? C’est avec ses actes que l’analyste responsable opère, en prélevant un signifiant ou un autre qui ait chance de libérer la jouissance qui s’y loge. À suivre Lacan, se faire responsable veut dire « non-réponse ou réponse à côté3 ».
Responsabiliser le sujet
Appuyons-nous sur la formulation de Lacan, véritable pivot de la voie éthique de la psychanalyse : « De notre position de sujet, nous sommes toujours responsables.4 » À propos de la responsabilité dans les rêves, Freud répond sans ambages qu’il « va de soi que l’on doit se tenir pour responsable des motions malignes de ses rêves. Qu’en faire autrement ? [Il] est alors une partie de mon être5 ». Si cela vaut pour le rêve, ça l’est aussi pour le symptôme. Y être ou n’y être pour rien : ces mots donnent le ton pour notre clinique. « Cela veut dire, indique Jacques-Alain Miller : tu lâches la vérité dans un lapsus, tu ne peux l’effacer, ce qui est dit est dit. Tu t’excuses sur ton inconscient ? “Ce n’est pas moi, c’est lui” ? Précisément, Freud enseigne que ton inconscient, c’est toi aussi6 ». Il ne saurait y avoir ni effets thérapeutiques ni effets analytiques pour un sujet qui ne consent à prendre sa part7 dans ce qui lui arrive.
L’inconscient n’est pas déjà là, le sujet non plus. C’est la responsabilité de l’analyste dans son acte qui aura chance, par la grâce du transfert, de produire du sujet par un repérage de la position de jouissance de l’analysant. J.-A. Miller avance : « Il s’agit alors de savoir si Je n’y suis pour rien, qui est pardonnable, est décidé à se maintenir, à rester maçonné, ou bien si c’est bougeable, si on peut responsabiliser le sujet8 ».
Aussi, si en 1965 la responsabilité est l’affaire d’un sujet qui doit l’assumer, en 1975 Lacan propose, dans la veine du sinthome, une nouvelle formulation : « On n’est responsable que dans la mesure de son savoir-faire9 ». La question de l’invention singulière est ainsi convoquée.
Françoise Haccoun
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 15 avril 1975, Ornicar ?, n°5, janvier 1976, p. 53.
[2] Lacan J., « La psychanalyse et son enseignement », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 447.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 64.
[4] Lacan J., « La science et la vérité », Écrits, op. cit., p. 858.
[5] Freud S., « Quelques additifs à l’ensemble de l’interprétation des rêves », Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, PUF, 1985, p. 146.
[6] Miller J.-A., « Le pardon des offenses », La Règle du Jeu, 19 janvier 2015, publication en ligne (laregledujeu.org).
[7] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Cause et consentement », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 25 novembre 1987, inédit.
[8] Ibid.
[9] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, op. cit., p. 61.