Nous remercions Georges Haberberg, Élisabeth Leclerc-Razavet et Dominique Wintrebert,qui ont accepté pour l’HB de s’entretenir avec Marie-Christine Baillehache et Romain Lardjane.
Marie-Christine Baillehache – Dans votre ouvrage collectif L’enfant et la féminité de sa mère, vous donnez toute son importance à la découverte par l’enfant du pas-tout phallique de sa mère : un manque énigmatique s’attache désormais à l’Autre maternel, délogeant l’enfant de sa place d’objet plus-de-jouir comblant et le laissant au prise avec ce qui, en lui-même, se manifeste en silence, se répète et le déborde. C’est avec des symptômes nouveaux que l’enfant traite alors ce trou symbolique qui le précipite dans le processus de sa sexuation.
En quoi consiste l’accueil du psychanalyste de ce traitement symptomatique par l’enfant de cette jouissance énigmatique ?
Georges Haberberg – Le psychanalyste accueille d’abord la souffrance d’un enfant qui fait symptôme pour l’autre : parents, école, etc. La clinique, que nous avons explorée à plusieurs dans ce livre, est délibérément celle de la rencontre avec la castration de la mère qui détermine la production d’un sujet et ouvre sur celle, ultérieure, de la féminité de la mère proprement dite qui concerne au plus près le processus de sexuation du sujet. C’est la fécondité de cette clinique très particulière, plutôt ignorée dans la pratique par les nouvelles générations de praticiens, plus enclins à se débrouiller frontalement avec une clinique des efflorescences de la jouissance et des butées du réel, que nous avons entrepris de revisiter dans notre travail. Le livre vérifie qu’elle est invariablement au cœur de la psychanalyse avec les enfants, et qu’elle vaut tout autant pour les « dits » adultes. Encore faut-il, pour les praticiens, s’y repérer et s’en servir.
Pour répondre plus précisément à votre question, j’évoquerai brièvement le cas d’Ève, jeune analysante de sept ans, pour le coup très réveillée, que j’ai eu la chance d’accueillir. C’est en reconstruisant le cas après-coup que j’ai saisi que ma façon d’entrer dans le travail de la cure avait été aspirée par l’urgence subjective sur laquelle elle butait douloureusement depuis plusieurs mois par le biais du surgissement de son symptôme d’insomnie, au plus grand désagrément de ses parents. Le « juste accueil » est un accueil « sans concession » vis à vis du réel de la chose qui l’agite. Dans ce cas, il s’est agi du chiffrage de la rencontre traumatique avec la castration maternelle.
Élisabeth Leclerc-Razavet – Nous savons que le refoulement fait son travail face à la chambre à coucher des parents, lieu de l’impensable. Et ce n’est qu’au prix de cette interrogation, une femme, ma mère ? qu’un enfant peut se glisser entre mère et femme. Elle se présente toujours sous la figure d’une véritable irruption, pas sans haine. Elle introduit au manque et à la jouissance de la mère.
Dominique Wintrebert – La rencontre avec la castration maternelle fait sortir l’enfant du paradis des amours enfantines et produit des effets symptomatiques. Elle n’est pas toujours de mise, certains des cas abordés le montrent. Un passage de notre livre s’appuie sur la constatation freudienne que la sexualité de nos parents est déniée. La castration maternelle se présente alors souvent sous la forme d’une blessure de la mère, ou d’un problème de santé. Mais parfois la mère est trop femme, et cela peut aller au point d’oublier d’être mère, produisant là aussi des effets. Nous en trouvons une illustration lorsque Lacan traite crûment la mère d’Hamlet de « con béant ». Et certains cas proposés dans notre livre sont de cette veine.
Romain Lardjane – Votre ouvrage L’enfant et la féminité de sa mère, fruit des Travaux Dirigés de Psychanalyse, donne tout son poids de réel à l’Œdipe dans la psychanalyse moderne. Vous montrez à quel point la découverte de l’enfant que sa mère est une femme constitue un « scandale »[1] et un trauma.
Cette clinique du « Mèrefemme »[2] que vous dépliez fait-elle appel en creux à un – je vous le propose écrit dans ce sens – « Hommepère » ?
L.-R.– « Accueillir avec justesse » les besoins de « l’enfant qui s’y procrée » : repère incontournable que nous avons à dégager lorsque nous recevons un enfant, toujours pris dans la relation de ses parents. Lacan met la castration au cœur de la structuration dynamique des symptômes d’un sujet : avoir / ne pas avoir. Ainsi l’enfant s’inscrit dans la relation que la mère a, en tant que femme, au phallus, c’est-à-dire à son manque.
Tel serait, en contrepoint de votre formulation, l’Œdipe « classique ». Il convient cependant de souligner que le père, dans cette configuration, est déjà en fonction d’agent de la castration.
Le Séminaire R.S.I. met pleins feux sur la jouissance du père comme fonction : la père-version, faisant de sa femme la cause de son désir. Jacques-Alain Miller va plus loin en soutenant qu’« un homme ne devient le père qu’à la condition de consentir au pas-tout qui fait la structure du désir féminin »[3].
Le réel, vous le dites, est là, désigné, sinon dévoilé : le pas-tout phallique fait entrer dans le « jeu » la jouissance féminine. « Mèrefemme »… le sujet enfant ne peut se dérober à cette rencontre traumatique.
Et pourtant, il ne peut être question, au prétexte de la modernité, de livrer l’enfant à cette jouissance féminine. Nous avons donné tout son poids au tableau de la sexuation du Séminaire Encore : si l’enfant se confronte au manque maternel (elle n’a pas), la jouissance féminine (« ce qui de l’Autre reste toujours Autre ») est à la charge du père.
La clinique fourmille, bien sûr, d’accrocs dans cette partition qui relève de l’éthique. L’analyste est requis en ce point de disjonction.
Votre proposition « Hommepère » est séduisante et mériterait une réflexion plus solide. Il importe cependant de se prémunir d’un effet miroir. Les formules de la sexuation sont précieuses à cet égard. Si la mère trouve le signifiant de son désir dans le corps d’un homme, celui qui tient la fonction d’agent de la castration, c’est le père.
La sexuation du sujet – inconsciente et non anatomique – est distinguée très précisément par Lacan, côté homme et côté femme, en fonction du rapport au phallus.
Si nous mettons le père côté homme, sa fonction ne se soutient que dans un rapport direct au phallus. Une femme, elle, « se dédouble » et a, en plus, directement rapport à ce qui échappe au phallique : une « jouissance supplémentaire ». À suivre…
[1] Miller J.-A., « Mèrefemme », Le corps des femmes, La Cause du désir, n°89, p. 122.
[2] Miller J.-A., « Mèrefemme », Le corps des femmes, op. cit.
[3] Miller J.-A., « L’enfant entre la mère et la femme », La petite Girafe, n° 18, p.10.