Deux articles de la presse, l’un dans le Times Magazine du 29 janvier 2016 intitulé « What Barbies’s new shape says about american beauty ? »[1], l’autre trois jours plus tard dans un journal local « En réalité augmentée, elle essaye sa nouvelle poitrine »[2] témoignent du changement du rapport au corps. Entre ces deux publications, une journée préparatoire au congrès de l’AMP à Rennes intitulée « Idolâtrie du corps, haine de soi »[3] vise la part de leurre de ce corps contemporain et aussi à s’enseigner de diverses pratiques. Francesca Biagi-Chai invitée d’honneur, démontre d’emblée comment Lacan nous a préparés à accueillir ce grand désordre.
À partir de la nomination, reprise du cours « Pièces détachées »[4] de Jacques-Alain Miller, elle interprète cette modernité. « Nommer, c’est établir un rapport, instaurer un rapport entre le sens et le réel ; non pas s’entendre avec l’Autre sur le sens mais ajouter au réel quelque chose qui fait sens ». Elle poursuit : « Nommer les expériences pour faire discours, c’est bien là qu’est l’inversion propre à notre temps »[5] et non plus s’appuyer sur un discours établi.
Deux chirurgiens plasticiens interviennent dans une séquence intitulée « Les nouvelles exigences esthétiques ». Le Pr Watier définit sa pratique comme corrigeant une atteinte du corps dite fonctionnelle. C’est ainsi qu’il préfère parler d’une chirurgie réparatrice aux effets esthétiques, en prenant à sa charge la difficile frontière entre ces deux pratiques. Il refuse la standardisation de la beauté et utilise comme référentiel le corps harmonieux, ce qui lui permet de ne pas répondre oui à tout le monde ; ce qui viendrait à dire : tous le même corps. Il tente ainsi de freiner l’exubérance de certaines demandes, avant que le patient n’en fasse la douloureuse expérience. Il y oppose la subtile modification. C’est ce qu’il appelle la french touch. La cicatrice, signe d’un reste de jouissance, est utilisée pour avertir de la part de réel non résorbable dans la demande. « Il y aura toujours une façon individuelle de cicatrisation » dit le Pr Watier. L’équivoque dévoile cette dimension du corps qu’habille, au un par un, un discours où le réel n’est jamais très loin. Francesca Biagi-Chai parle d’esthétique mentale, en indiquant qu’un corps est aussi un corps parlant. À ceux qui penseraient que la psychanalyse s’oppose à ces interventions, elle répond par un cas où une indication de chirurgie, pour de simples poignées d’amour, vise le trop réel qui menace cet homme. Cette intervention illustre la version d’une chirurgie qui vient faire point d’arrêt à une jouissance illimitée. S’il n’est pas opéré, le nouage du corps, des études, et de son être homme se rompt. La féminisation l’empêche d’accéder à sa vie. La psychanalyse offre cette finesse de repérage des défenses modernes contre l’effondrement, contre la mélancolie.
Le Dr Bertheuil expose une autre version du réel du corps. Accueillant à l’hôpital les patients ayant subi un amaigrissement drastique suite à une chirurgie bariatrique, il décrit un parcours vers le pire pour ceux qu’ils rencontrent. Les corps se délibidinalisent, touchés dans leur « corps-sistance ». Des couples se séparent, des patients prennent des psychotropes et les cas de suicide ne sont pas rares. Ce tableau à « corps ouvert » est dépeint comme conséquence d’une rupture de discours. Le chirurgien plasticien n’a pas d’autre choix que de répondre par une clinique du discours, du lien entre le signifiant et ses conséquences de jouissance qui ne peuvent être que singulières. C’est ainsi que peut s’ordonner le parcours en chirurgie plastique post-bariatrique qui prendra plusieurs années.
[1] « Now can we stop talking about ma body ? », The Times magazine, February 8, 2016, time.com
[2]Publicité d’une clinique de chirurgie esthétique : http://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/rennes-en-realite-augmentee-elle-essaye-sa-nouvelle-poitrine-4012914
[3] http://www.associationcausefreudienne-vlb.com/se-muscler-un-corps-idolatrie-du-corps-haine-de-soi/
[4] Miller J.-A., « Pièces détachées », La Cause freudienne, n° 61, Paris, Navarin/Seuil, décembre 2004, p. 149.
[5] http://www.radiolacan.com/fr/topic/752/3