Est-ce que je parle d’une place différente en tant qu’AE et en tant que vice-président de l’ECF ? Je venais d’être nommé AE quand Christiane Alberti, alors présidente de l’ECF, m’a proposé la direction des J46 et c’est alors que je suis à la fin de mon mandat d’AE que Gil Caroz m’a fait l’honneur de me proposer de le suivre dans son équipe. Je me suis aperçu que mon action dans l’École était étroitement liée avec ce qui s’est dégagé de la fin de mon analyse et que, finalement, mon action dans l’ECF est un témoignage en acte.
J’ai témoigné de la traversée du fantasme suite à sa construction dans l’analyse et de sa réduction, de : M’en occuper avec enthousiasme au nom du père à Ça crie fils. Fantasme venant boucher la castration[1] et voiler le trou du non rapport sexuel, mais du coup permettant la rencontre de la croire possible. Soit : aimer une femme au regard triste et m’en occuper.
J’ai dégagé la place de l’objet prévalent : le regard. Objet condensateur et plus de jouir, à la fois soutient narcissique et pousse à l’élévation, à la sublimation. Le tout venant constituer mon escabeau. Ce dévoilement en a révélé sa face de semblant.
J’ai énoncé des noms venant encapsuler la jouissance, mais qui ne s’énonçaient que d’être déjà passé à autre chose : savoir de ça voir. Le symptôme initial : tirer vite – se tirer vite. Bayard, nom de jouissance, de se croire être le seul… Ces noms, je les ai construits dans mon analyse, ils ont découlé des fictions, des élucubrations, des effets de sens dû à la coupure, à la résonnance du signifiant dans le corps.
J’ai fait valoir comment le corps s’est réveillé de se voir réveillé. Mon corps était-il endormi ? Mortifié ? Pas du tout, jamais. Je le mortifiais. Mon corps a toujours habité ma parole. Depuis tout petit, prendre la parole a toujours été un événement de corps pour moi, un affect et la solitude, une réponse de ce qu’il y a dans toute parole une énonciation, une intention, une demande, un autre corps. Cette solitude s’éprouvait de ce fantasme que l’Autre pourrait à tout moment me laisser tomber radicalement, non sans son versant de réalité. Il ne me restait qu’à le savoir.
Il y a deux types de solitude, celle-là était une solitude d’être, une solitude articulée à l’Autre, façon pour moi d’être au monde, de me faire voir par mon absence, dans la famille, à l’école. Le changement eu lieu au lycée avec la rencontre de la bande et de l’Idéal, la politique au nom de l’Idéal. L’Idéal aussi est un semblant d’être face au réel du non rapport sexuel. Résonne pour moi à ce moment cette phrase de Lacan : « tout le monde (si l’on peut dire une pareille expression), tout le monde est fou, c’est-à-dire délirant »[2] . Peut-on échapper au délire ? Est-ce souhaitable ? Un peu d’Idéal, de fantasme, de regard, de « s’en occuper », c’est tout de même un savoir-faire de toujours, un savoir-faire qui tient compte du plus singulier, de l’incomparable.
Prendre la parole représentait un tel enjeu, qu’il y a d’abord eu une inhibition à la parole, jusqu’à l’adolescence, puis le recours à un savoir de livre et, ou, une abondance de citation venant mortifier mon énonciation, ou alors c’était la parole comme passage à l’acte, un trop, un débordement, façon pour moi de précipiter ce qui me suspendait dans l’indécision de ma pensée. Ces trois positions produisaient un affect toujours présent aujourd’hui : le dégoût. Prendre la parole est toujours et encore une jouissance qui, de sa satisfaction, me dégoûte.
Je dirai que face au réel, on n’apprend rien. Après trois ans d’enseignement de la passe, du réel, je n’ai rien à dire car il n’est ni symbolisable ni imaginarisable. Mais de l’avoir éprouvé, cela produit un savoir non articulable au-delà de le savoir comme tel. Cela s’arrête avec cet effet de savoir et pas de sens. C’est ça. C’est donc un nouveau rapport au signifiant maitre. Un rapport qui ne vise pas à l’articulation mais au repérage, à se tenir toujours au bord. C’est un éprouvé de solitude, cette fois, de la solitude du Un, cet éprouvé est pour moi un aperçu.
J’ai rencontré l’ECF par un corps, un corps vivant, le corps de Jacques Alain Miller à son cours « L’orientation lacanienne ». J’étais encore publicitaire. Une grande partie de ce qui se disait restait hors sens pour moi. D’ailleurs je m’étais dit « je vais essayer de lire Lacan », bien sûr je savais que c’était difficile à lire, alors, à la FNAC, j’ai choisi le plus petit livre de Lacan, pour débuter, et je me suis retrouvé avec Télévision… Ça c’était hors sens, mais pas sans effet. Le cours de J.-A. Miller, ça a fait voler en éclat toutes les représentations que j’avais des psychanalystes et des écoles de psychanalyse. Et puis on riait à ce cours, on était ému. Cette façon de parler de Lacan donnait envie de lire Lacan. C’était fait, je m’engagerai dans cette école, cette école du corps, où prendre la parole est un acte qui permet de cogner, de marquer, de dire. Voilà un débouché sinthomatique pour moi. Dans « Clinique ironique », J.-A. Miller dit ceci qui me touche toujours : « Pourquoi Lacan a évoqué manie et dépression à propos de la passe, au point où l’Autre se découvre inexistant ? Pour indiquer peut-être à celui qui va jusque-là, qu’il faut la cause freudienne comme garde-fou ? [3] ». Voilà un point fondamental sur la solitude me semble-t-il.
[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 9.2.2011, inédit.
[2] Lacan J., « Le journal d’Ornicar », Ornicar ?, n°17-18, 1979, p.278
[3] Miller J.-A., « Clinique ironique », La cause freudienne, Paris, Navarin / Seuil, n°23, Février 1993, p.10