Frederik Hesseldahl est un artiste contemporain dont les recherches influencées par l’épure de la forme que constitue le design dans les arts graphiques et visuels de la société danoise, participent à faire sortir l’œuvre d’art des musées, pour l’exposer à l’extérieur au milieu du paysage urbain tout en l’adaptant aux contraintes de l’environnement. L’exposition est temporaire, conçue pour divertir le passant dont elle détourne le regard puisque l’œuvre s’étire sur une palissade derrière laquelle ont lieu des travaux de voiries.
Les palissades masquent la pollution visuelle, poussières et gravats, tandis que l’œuvre adresse au passant un message de tempérance par rapport à l’obstacle qui exige d’emprunter une conduite de détour pendant la durée des travaux. Elle remplit une fonction dans le lien social qui est celle comme l’indique Lacan, de provoquer une incitation au renoncement pulsionnel en apaisant les affects agressifs suscités par l’empêchement.
Diplômé de l’Académie Royale des Beaux-arts du Danemark, architecte de formation, F. Hesseldahl a disposé au centre de Copenhague, une œuvre intitulée Mirror Wave (La vague miroir). Des plaques de miroir sont assemblées selon un algorithme de faces convexes et concaves sur lesquelles l’artiste a ajouté des flaques de peinture. Ces giclées inertes d’opacité colorée contrastent avec le mouvement fluide du reflet animé des images de la ville dont la mouvance évolutive donne à la vague son effet de matière liquide.
Dans les points de courbure de la lumière, tout objet s’étire, se bombe, se tord, se dédouble, dans une constance de la déformation par rapport à la réalité de l’image sur un miroir plan. Cet art de la cinétique sublime les ressources de l’imaginaire en deçà du stade du miroir. Ici, pas de visiteur mais un citoyen visité par l’image qui s’impose comme réalité évanescente.
Sur une autre palissade, se détache sur fond de vert écologique, des lettres de miroir qui composent dans leur découpe la phrase suivante : You Look Great. « Tu es beau », « chic », « grand » : chaque Un peut puiser le signifié sous lequel l’artiste trouve à flatter son public en l’invitant à entrer dans la jouissance de la comédie narcissique. Se peindre dans le tableau en se croyant le maître beau, selon la formule de J-A. Miller, est une façon de monter sur son petit escabeau, le temps d’un joke. Elle permet d’oublier que la composition de l’artiste est préalablement déterminée par l’esthétique du camouflage qui vient planquer le désordre de la pulsion anale au sein d’une culture qui véhicule le signifiant maître de la propreté.
Son talent consiste à transformer le réel des nuisances de la contrainte urbaine par un dispositif de création qui vient illusoirement nettoyer l’impureté qui flotte derrière les palissades, mais aussi celle qui du corps ne s’attrape d’aucun reflet et gît peut-être au cœur de la fixité des flaques de peinture, dans l’objet déchet. L’adoration du résidu est ce que l’artiste récupère pour témoigner avec Lacan que […] Les déchets viennent peut-être de l’intérieur, mais la caractéristique de l’homme est qu’il ne sait que faire de ses déchets. La civilisation, c’est le déchet, cloaca maxima. Les déchets sont la seule chose qui témoigne que nous ayons un intérieur.[1]
[1] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Massachussetts Institue of Technology, 2 décembre 1975, Scilicet, 6/7, Paris, Seuil, 1976, p. 61.